Le Temps

La trilogie de Gautier Massonneau

- S. GT

Ainsi vont les salons. Il y a au coeur de Watches and Wonders une alcôve très fréquentée. C’est le Carré des horlogers, là où logent les marques indépendan­tes montantes. On y croise du monde. Mardi après-midi, c’est Philippe Léopold-Metzger qui est passé par là. Une figure de la haute horlogerie et du groupe Richemont, entré chez Cartier dans les années 1980, dirigeant de Piaget à la fin des années 1990. Il a pris sa retraite il y a plusieurs années, mais ne s’est pas retiré. D’un pas décidé, il a rejoint le stand de Trilobe. Jeune marque parisienne dont il est entré au capital il y a trois ans, en même temps que Philippe Mougenot, ancien directeur horlogerie et joaillerie de Chanel.

Philippe Léopold-Metzger commence l’exposé: «C’est l’histoire d’une marque…» Il s’interrompt et invite Gautier Massonneau à prendre le relais. C’est lui, le visage du jour. Barbe bien taillée, 34 ans, il commence par passer ses collection­s en revue. Trois familles de montres, toutes construite­s sur un affichage circulaire, sans aiguilles. Toutes nommées en référence à des monstres littéraire­s: Les Matinaux (René Char), Nuit Fantastiqu­e (Stefan Zweig), Une Folle Journée (ou Le Mariage de Figaro, de Pierre Augustin Caron de Beaumarcha­is, qui fut aussi horloger).

La ligne est claire, Gautier Massonneau la trace d’un trait: «Je voulais un objet identifiab­le, artistique, qui exprime une vision très «anti-utilitaris­te» de l’horlogerie.» C’est gagné. Le temps de comprendre comment lire l’heure, trente secondes sont passées. Les indication­s sont sur des disques, qui tournent les uns dans les autres. Les différents modèles sont basés sur ce principe et le déclinent.

Gautier Massonneau a tout dessiné, les boîtes, les cadrans, les mouvements. Et c’est là que l’histoire devient vraiment singulière, car il n’est pas horloger. Il est Parisien et «vient des mathématiq­ues», diplômé des Ponts et Chaussées. Un jour, l’envie d’acquérir une montre le prend. Mais celle qu’il cherche n’existe pas, trop classique ou trop chère. Alors il la conçoit. La construit et la réalise en s’appuyant sur le savoir-faire suisse. En 2018, sa montre est posée devant lui, sur l’une des petites tables de la section «incubateur» du salon de Bâle.

A partir de là, on serait tenté de dire que tout s’emballe. Ce n’est pas le cas. «Je me hâte lentement, comme vous dites ici», rit l’entreprene­ur. Philippe Léopold-Metzger confirme: «Ce qui m’a attiré dans l’aventure Trilobe, c’est la volonté de construire une marque sur la durée, pas à pas. Moi, j’aurais tout fait

«Je voulais un objet qui exprime une vision très «anti-utilitaris­te» de l’horlogerie»

GAUTIER MASSONNEAU, FONDATEUR DE TRILOBE

d’un coup… et j’aurais tout bousillé!» Cette année, la marque présente une nouveauté – Les Matinaux, L’Heure Exquise, avec phase de Lune –, mais en 2023, il n’y en avait pas. Pas d’excès sur les prix non plus, entre 10 000 et 23 000 francs (en horlogerie, tout est relatif). «Et pas d’augmentati­on cette année.»

Petit à petit, donc, Trilobe trouve sa place. La jeune marque décroche même une première consécrati­on en 2022, avec le Prix de la Petite Aiguille au Grand Prix d’horlogerie de Genève. Sur les marchés, elle est portée par l’air du temps. «L’écosystème nous est favorable, pointe Philippe Léopold-Metzger. En jouant la rareté, les grandes marques ont donné un signal aux détaillant­s. Les indépendan­ts sont plus qu’une diversific­ation, ils représente­nt un futur.» Résultat: 30 points de vente dans le monde, un objectif de 600 montres cette année, une équipe de 20 personnes à Paris (dont six horlogers). «Et six fois plus de demandes», assure Gautier Massonneau, même pas fâché de voir sa progressio­n ralentie par les difficulté­s d’approvisio­nnement en composants. ■

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