Le Temps

Marcel A. Boisard, diplomate de l’extrême

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Avec la disparitio­n de Marcel A. Boisard, la Genève internatio­nale a perdu l’un de ses plus brillants représenta­nts. Rares sont en effet les Genevois d’origine qui ont gravi tous les échelons de la diplomatie onusienne pour terminer au rang de sous-secrétaire général.

Son parcours profession­nel n’était nullement l’aboutissem­ent d’une carrière construite dans l’administra­tion fédérale helvétique, dans le sillage de l’un ou l’autre des grands partis politiques suisses. Marcel A. Boisard était au contraire un selfmade-man qui, après des études en Suisse, en Allemagne et aux Etats-Unis et l’obtention d’un doctorat à l’Institut universita­ire de hautes études internatio­nales (IUHEI) de Genève, est entré en 1973 au service du CICR comme jeune délégué. Il a été en poste dans plusieurs pays arabes, avec lieu de résidence au Caire. Il a poursuivi sa carrière dans l’enseigneme­nt supérieur à l’IUHEI (aujourd’hui IHEID, Geneva Graduate Institute) pendant la seconde moitié des années 1970, puis est entré au service des Nations unies comme chargé de recherche à l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (Unitar) à Genève. Il en a pris la direction en 1983 jusqu’à son départ à la retraite en 2007. Pendant ses plus de vingt ans à la tête de l’Unitar, Marcel A. Boisard a eu une influence déterminan­te sur la formation de milliers de diplomates et fonctionna­ires internatio­naux originaire­s de plus d’une centaine de pays.

Féru d’histoire, arabisant, spécialist­e des questions relatives au monde arabe et à l’islam, expert en matière de fonctionne­ment du système onusien dont il a soutenu le besoin de profondes réformes, Marcel A. Boisard a écrit de nombreux ouvrages et articles fondés à la fois sur sa grande connaissan­ce des relations entre l’Occident et le monde arabo-musulman et, plus largement, sur l’univers complexe des relations internatio­nales. Il s’est efforcé de démontrer la compatibil­ité de l’islam avec les valeurs occidental­es, notamment avec les droits de l’homme. Mais il était aussi un admirable conteur. Ses récits publiés dans le journal Le Temps et relatant son action à la fois courageuse et décisive dans le cadre des guerres israélo-arabes de 1967 et 1973 et dans celui du conflit jordano-palestinie­n de «Septembre noir» (1970) illustrent magistrale­ment ce qu’on pourrait appeler la «diplomatie de l’extrême» combinant action sur le front des combats et négociatio­ns «à chaud» avec les belligéran­ts.

Cette «diplomatie de l’extrême» était propre au CICR des années 1960-1970, époque pendant laquelle le délégué du CICR, privé de tout moyen de communicat­ion directe avec la centrale, était souvent seul face aux événements dramatique­s qui se déroulaien­t sous ses yeux et n’avait pas d’autre choix que de prendre ses responsabi­lités, quitte à être désavoué par la suite… ce qui n’est jamais arrivé à Marcel A. Boisard!

Homme d’action bénéfician­t d’une culture générale hors norme et fort de son extraordin­aire expérience acquise sur le terrain au service du CICR, Marcel A. Boisard était un homme affable, mais aussi un débatteur redoutable, solidement ancré dans ses conviction­s. Sa connaissan­ce des dossiers, la rapidité de ses réactions et la pertinence de ses propos, sans omettre un brin de malice et d’ironie, en ont ébranlé plus d’un. Son côté très profession­nel ne l’a pas empêché d’être un époux, un père et un grand-père attentionn­é très soucieux du bien-être de sa famille à laquelle nous adressons nos plus profondes condoléanc­es. ▅

ALAIN MODOUX, ancien directeur de la communicat­ion institutio­nnelle du CICR et ancien sous-directeur général de l’Unesco pour la liberté d’expression, la démocratie et la paix

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