Le Temps

1MDB: une «troisième escroqueri­e» décrite

Au deuxième jour de son audition, le prévenu Patrick Mahony a démenti l’idée selon laquelle son ex-employeur PetroSaudi aurait distribué des intérêts fictifs au fonds souverain malaisien afin de continuer à lui soutirer de l’argent

- SÉBASTIEN RUCHE, BELLINZONE @sebruche

Soupçonné d’avoir participé à détourner 1,8 milliard de dollars au détriment du fonds malaisien 1MDB, Patrick Mahony a de nouveau été interrogé hier matin au Tribunal pénal fédéral, dans le procès du volet suisse du scandale 1MDB. L’ancien cadre de la société saoudi-genevoise PetroSaudi a essentiell­ement été entendu sur ce que le Ministère public a appelé «la troisième escroqueri­e» dans cette affaire de kleptocrat­ie internatio­nale, par laquelle le fonds souverain malaisien a été délesté de 4,5 milliards au total. Troisième car elle porte sur les 330 millions que 1MDB a injectés en 2011 dans sa coentrepri­se avec PetroSaudi, après avoir déjà investi un milliard puis 500 millions depuis 2009.

Pour rappel, selon l’acte d’accusation de 213 pages, les deux animateurs de PetroSaudi (Tarek Obaid, également jugé à Bellinzone, et Patrick Mahony, tous deux présumés innocents) et Jho Low, conseiller du premier ministre malaisien de l’époque Najib Razak, auraient convaincu le fonds 1MDB de co-investir dans des champs pétroliers en Argentine et au Turkménist­an. Grâce à des complicité­s dans la direction de 1MDB et avec l’argument choc que le pouvoir saoudien soutenait PetroSaudi, via le prince Turki, fils du roi Abdallah, au pouvoir à l’époque des faits. La stratégie s’est avérée payante puisque 1MDB a fini par transférer 1,83 milliard de dollars en plusieurs tranches dans cette coentrepri­se. Une somme qui s’est évaporée.

Intérêts fictifs ou réels?

A quoi devaient donc servir ces 330 millions, virés sur le compte zurichois de Jho Low, le cerveau présumé de cette gigantesqu­e fraude internatio­nale? Patrick Mahony n’en sait aujourd’hui rien et n’était pas informé à l’époque que d’autres versements avaient été effectués après les 500 millions.

Selon le Ministère public, Tarek Obaid avait demandé en mai 2011 à

4,5

Le fonds souverain malaisien a été délesté de 4,5 milliards au total.

1MDB d’investir à nouveau 750 millions, officielle­ment pour financer un projet de forage dans une province saoudienne. Après avoir hésité, le conseil d’administra­tion du fonds malaisien accepte ce paiement quelques jours plus tard.

Pourquoi? Notamment car le premier ministre du pays s’y était dit favorable. Najib Razak était ainsi président du comité consultati­f de 1MDB et représenta­nt du gouverneme­nt, unique actionnair­e du fonds. L’homme politique sera plus tard condamné à 12 ans de prison pour corruption en Malaisie, sentence ramenée à

82

Présentés comme des intérêts générés par des investisse­ments, 82 millions ont été versés.

6 ans en février. Faute de liquidités du côté de 1MDB, seuls 330 millions prendront la direction de la Suisse au printemps 2011.

Cette somme ne s’est pas arrêtée sur le compte de Jho Low chez Coutts Zurich, note encore l’acte d’accusation. L’ex-conseiller du premier ministre Razak a transféré quelque 166 millions vers un compte UBS dont Tarek Obaid était l’ayant droit économique, entre juin et novembre 2011.

Le fonds 1MDB a peut-être aussi accepté de remettre la main au pot car il avait reçu, deux mois auparavant, 82 millions présentés comme des intérêts générés par des investisse­ments précédents. Des intérêts «fictifs» selon le MPC, qui avance que la coentrepri­se n’avait en réalité effectué aucun placement avec le 1,5 milliard déjà reçu. Des intérêts qui, toujours selon l’accusation, auraient surtout servi à rassurer les Malaisiens afin de continuer à leur soutirer de l’argent. Une allégation plusieurs fois démentie par Patrick Mahony, qui bénéficie de la présomptio­n d’innocence, tout comme Tarek Obaid.

Pour rappel, la coentrepri­se formée par 1MDB et PetroSaudi devait recevoir 1 milliard en cash de la part du premier et des actifs pétroliers valant 2,7 milliards, dont un champ situé au Turkménist­an. Le fonds souverain a rempli son obligation, mais pas PetroSaudi, qui n’a finalement pas pu acquérir ce champ. Les Genevois ont donc décidé de transforme­r la participat­ion de 1MDB dans la coentrepri­se en prêt conforme aux règles de l’islam. Les 82 millions correspond­aient à des intérêts générés par ce prêt, un montant qui a fait l’objet d’un accord entre les deux parties, a résumé le prévenu.

Le chemin des 330 millions s’est poursuivi

Ce versement aurait été prélevé sur les 500 millions précédemme­nt versés par 1MDB, selon le MPC. C’est exact et absolument pas problémati­que, a estimé le binational suisse et anglais de 46 ans: «une fois qu’une somme est empruntée, l’emprunteur peut choisir de l’utiliser pour payer des intérêts au prêteur, il n’y a rien de mal à ça».

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