Deux titres au lieu d’un pour les initiatives
Dans le but de relancer le débat sur le titre des initiatives populaires, un modèle innovant préconise une nouvelle approche évolutive de l’intitulé de nos initiatives: à chaque initiative populaire correspondraient deux titres ou, plus précisément, un titre qui évoluerait en deux étapes. Ce modèle dynamique du titre «bicéphale» vise à renforcer le droit du peuple suisse à la libre formation de sa volonté sur le contenu essentiel des initiatives, parfois mis à mal lors des scrutins populaires.
Les ressemblances sont parfois frappantes, et pourtant. A l’instar de Janus aux deux visages, le modèle «bicéphale» du titre des initiatives populaires fédérales se penche aussi sur un mythe. Et si les électeurs suisses n’étaient, lors des votations, pas aussi rationnels qu’attendu? C’est bien l’avis de feu le professeur Andreas Auer, qui soulignait déjà qu’«aujourd’hui, presque aucun politologue n’ose affirmer que le comportement de vote des électeurs n’est déterminé et soutenu que par la raison et la logique […] Les sentiments […] jouent toujours un rôle*».
Pour cette même raison, le législateur fédéral a pris le soin de prévoir dans la loi fédérale sur les droits politiques l’interdiction, pour tout titre d’initiative populaire, d’induire l’électorat en erreur. C’est à la Chancellerie fédérale qu’incombe la tâche de contrôler la validité du titre de chaque initiative avant le lancement de la récolte des signatures. Si la dernière décision de la Chancellerie en modification d’un titre trompeur remonte à l’année 1997, elle préfère, depuis lors, entrer en négociation avec les comités d’initiative pour leur faire modifier, ponctuellement, tout titre jugé trompeur dans une démarche concertée et amiable.
Un second titre serait rédigé ultérieurement par la Chancellerie de façon neutre et objective
Mais, depuis 1997, le monde a drastiquement changé: augmentation du nombre d’initiatives, taux d’acceptation croissant, «émotionnalisation» des titres, risque grandissant d’ingérence étrangère dans les débats par le biais des réseaux sociaux. Autant de phénomènes qui nourrissent une volonté nouvelle de réviser la loi pour actualiser la réglementation du titre des initiatives populaires.
Dans ce sens, les conseillers nationaux libéraux-radicaux Giovanni Merlini et Damien Cottier portèrent la voix de la réforme législative sous la coupole fédérale entre 2019 et 2020, sans résultat. Leur proposition de révision pour une rédaction neutre du titre des initiatives populaires – inspirée de l’Etat de Californie où le titre des initiatives populaires est rédigé de façon neutre et objective par le ministre de la Justice – a été jugée excessive par le Conseil national sur recommandation de la Commission des institutions politiques, car contraire à la liberté des initiants de choisir le titre de leur initiative. Cette liberté, consacrée par la jurisprudence du Tribunal fédéral qui reconnaît le «droit au choix d’un titre attrayant», se dresse comme l’obstacle principal à tout projet de réforme du titre des initiatives.
Comment sortir de cette impasse? C’est là tout le projet du nouveau modèle évolutif du titre des initiatives populaires que je propose dans mon mémoire, dans le prolongement des travaux du juriste Lukas Schaub.
En plus de garantir au peuple de pouvoir former sa volonté plus librement sur le contenu essentiel des initiatives, le modèle du titre évolutif présente l’avantage de respecter le droit d’intituler des initiants. Selon l’exemple suivant, le projet consisterait à ajouter, au titre initial de l’initiative librement choisi par ses initiants, un second titre rédigé ultérieurement par la Chancellerie de façon neutre et objective, après aboutissement de la récolte de signatures:
«Initiative populaire contre l’immigration de masse.
Introduction de nouveaux quotas à tout type d’immigration vers la Suisse. Renégociation des traités internationaux contraires.»
Le titre «bicéphale» ainsi obtenu serait amené à figurer sur les documents officiels comme le matériel de vote ou le bulletin de vote final. Il n’y a plus qu’à espérer, pour la liberté d’opinion du peuple suisse, que la rumeur de cette réforme parviendra jusqu’à Berne. ■
* AUER Andreas, Volksinitiativen: Der Titel soll’s (nicht mehr) richten, in Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht (ZBI) 2014, p. 577, traduction libre