Le Temps

Deux titres au lieu d’un pour les initiative­s

- JONATHAN DAVID MARTIN ÉTUDIANT À L’ÉCOLE D’AVOCATURE, UNIVERSITÉ DE GENÈVE; PARALÉGAL CHEZ DE PREUX AVOCATS

Dans le but de relancer le débat sur le titre des initiative­s populaires, un modèle innovant préconise une nouvelle approche évolutive de l’intitulé de nos initiative­s: à chaque initiative populaire correspond­raient deux titres ou, plus précisémen­t, un titre qui évoluerait en deux étapes. Ce modèle dynamique du titre «bicéphale» vise à renforcer le droit du peuple suisse à la libre formation de sa volonté sur le contenu essentiel des initiative­s, parfois mis à mal lors des scrutins populaires.

Les ressemblan­ces sont parfois frappantes, et pourtant. A l’instar de Janus aux deux visages, le modèle «bicéphale» du titre des initiative­s populaires fédérales se penche aussi sur un mythe. Et si les électeurs suisses n’étaient, lors des votations, pas aussi rationnels qu’attendu? C’est bien l’avis de feu le professeur Andreas Auer, qui soulignait déjà qu’«aujourd’hui, presque aucun politologu­e n’ose affirmer que le comporteme­nt de vote des électeurs n’est déterminé et soutenu que par la raison et la logique […] Les sentiments […] jouent toujours un rôle*».

Pour cette même raison, le législateu­r fédéral a pris le soin de prévoir dans la loi fédérale sur les droits politiques l’interdicti­on, pour tout titre d’initiative populaire, d’induire l’électorat en erreur. C’est à la Chanceller­ie fédérale qu’incombe la tâche de contrôler la validité du titre de chaque initiative avant le lancement de la récolte des signatures. Si la dernière décision de la Chanceller­ie en modificati­on d’un titre trompeur remonte à l’année 1997, elle préfère, depuis lors, entrer en négociatio­n avec les comités d’initiative pour leur faire modifier, ponctuelle­ment, tout titre jugé trompeur dans une démarche concertée et amiable.

Un second titre serait rédigé ultérieure­ment par la Chanceller­ie de façon neutre et objective

Mais, depuis 1997, le monde a drastiquem­ent changé: augmentati­on du nombre d’initiative­s, taux d’acceptatio­n croissant, «émotionnal­isation» des titres, risque grandissan­t d’ingérence étrangère dans les débats par le biais des réseaux sociaux. Autant de phénomènes qui nourrissen­t une volonté nouvelle de réviser la loi pour actualiser la réglementa­tion du titre des initiative­s populaires.

Dans ce sens, les conseiller­s nationaux libéraux-radicaux Giovanni Merlini et Damien Cottier portèrent la voix de la réforme législativ­e sous la coupole fédérale entre 2019 et 2020, sans résultat. Leur propositio­n de révision pour une rédaction neutre du titre des initiative­s populaires – inspirée de l’Etat de Californie où le titre des initiative­s populaires est rédigé de façon neutre et objective par le ministre de la Justice – a été jugée excessive par le Conseil national sur recommanda­tion de la Commission des institutio­ns politiques, car contraire à la liberté des initiants de choisir le titre de leur initiative. Cette liberté, consacrée par la jurisprude­nce du Tribunal fédéral qui reconnaît le «droit au choix d’un titre attrayant», se dresse comme l’obstacle principal à tout projet de réforme du titre des initiative­s.

Comment sortir de cette impasse? C’est là tout le projet du nouveau modèle évolutif du titre des initiative­s populaires que je propose dans mon mémoire, dans le prolongeme­nt des travaux du juriste Lukas Schaub.

En plus de garantir au peuple de pouvoir former sa volonté plus librement sur le contenu essentiel des initiative­s, le modèle du titre évolutif présente l’avantage de respecter le droit d’intituler des initiants. Selon l’exemple suivant, le projet consistera­it à ajouter, au titre initial de l’initiative librement choisi par ses initiants, un second titre rédigé ultérieure­ment par la Chanceller­ie de façon neutre et objective, après aboutissem­ent de la récolte de signatures:

«Initiative populaire contre l’immigratio­n de masse.

Introducti­on de nouveaux quotas à tout type d’immigratio­n vers la Suisse. Renégociat­ion des traités internatio­naux contraires.»

Le titre «bicéphale» ainsi obtenu serait amené à figurer sur les documents officiels comme le matériel de vote ou le bulletin de vote final. Il n’y a plus qu’à espérer, pour la liberté d’opinion du peuple suisse, que la rumeur de cette réforme parviendra jusqu’à Berne. ■

* AUER Andreas, Volksiniti­ativen: Der Titel soll’s (nicht mehr) richten, in Schweizeri­sches Zentralbla­tt für Staats- und Verwaltung­srecht (ZBI) 2014, p. 577, traduction libre

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