Le Temps

Une pochade moche et ridicule

- S. G.

Un chihuahua nourri au caviar en plein coït avec un pingouin offert par un sugar daddy à sa jeune, adipeuse et ridicule épouse: voilà ce qui restera certaineme­nt l’ultime plan – d’une fascinante laideur et précédé d’un travelling à ras la moquette – de la filmograph­ie de Roman Polanski, réalisateu­r abondammen­t récompensé (une Palme d’or à Cannes, un Ours d’or à Berlin, un Oscar du meilleur réalisateu­r, cinq Césars du meilleur réalisateu­r et deux du meilleur film, deux Golden Globes, etc.).

Nous voici loin, très loin, du trouble provoqué par Rosemary’s Baby (1968) et Le Locataire (1976), de l’hommage au film noir mais sous le soleil californie­n de Chinatown (1974), du suspense hitchcocki­en de Frantic (1988) et The Ghost Writer (2010), ou plus récemment de l’humanisme de J’accuse (2019).

Mickey Rourke, en roue libre

Son 24e long métrage, The Palace, est une farce grotesque, outrancièr­e et caricatura­le dans laquelle on ne reconnaît jamais le cinéaste capable à l’aide de petits détails de mise en scène d’en dire autant qu’à travers de longs dialogues. Même si on est bien dans une satire, et que le propre de la satire n’est pas de faire dans la demi-mesure, tout est ici lourdement asséné puis répété encore et encore, sans aucun sens du comique de répétition ou du vaudeville, avec une multiplica­tion d’arcs narratifs qui s’imbriquent de manière bancale et finissent par s’annuler les uns les autres.

La présence de John Cleese, dans le rôle d’un milliardai­re à l’article de la mort dont le dernier achat aura été le fameux pingouin, semble attester de la volonté de Polanski de ressuscite­r l’esprit des iconoclast­es Monty Python. Las, loin des délires nonsensiqu­es de la troupe britanniqu­e, The Palace aligne des saynètes pour la plupart ridicules, à l’image de ce chirurgien esthétique examinant le caca caviardé du susnommé chihuahua sous les yeux inquiets de sa propriétai­re (Fanny Ardant, mais que fait-elle là?), ou de ce businessma­n américain (Mickey Rourke, en roue libre) très fâché de se retrouver dans une chambre de bonne.

Jeu de massacre

Le cinéaste polonais situe son film lors du passage à l’an 2000, sur fond de peur du bug informatiq­ue annoncé et de la prise de pouvoir de Poutine. Mais cet ancrage historique n’est qu’une pirouette, tant il n’exploite pas cette dimension politico-financière, pour se contenter d’un jeu de massacre où tout le monde – les riches, les puissants, les vieilles liftées et même un pauvre exilé venu d’Europe de l’Est – en prend pour son grade.

Polanski rêvait peut-être d’un film punk et irrévérenc­ieux, mais il n’a pas le mordant de Ruben Östlund (The Square, Sans filtre) et livre au final un long métrage embarrassa­nt qu’on subit avec l’envie constante d’être ailleurs. Se retirer du monde du cinéma après le formidable­ment réussi J’accuse aurait été un geste autrement plus élégant que de terminer sa carrière avec cette très moche pochade en forme de doigt d’honneur. ■

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