Sur l’IVG, l’Arizona retourne au XIXe siècle
La Cour suprême de cet Etat du sud-ouest compte rendre l’avortement quasiment impossible, en confirmant une loi de 1864 qui interdit cette procédure dès le moment de la conception. Une décision que Joe Biden a déjà qualifiée de «cruelle» et d’«extrême»
Le retour en arrière est tel que lorsque cette loi est entrée en vigueur, l’Arizona n’était pas encore un Etat américain à part entière: il n’était alors qu’un territoire, et n’allait accéder à l’autonomie que quarante-huit ans plus tard, en 1912. Sa Cour suprême vient de réintroduire une loi datant de 1864, qui restreint encore un peu plus les droits des femmes aux Etats-Unis. La décision, prise à 4 voix contre 2, est la dernière conséquence en date de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême américaine en juin 2022. Redevenu compétence des Etats, l’avortement a été banni depuis cette date dans pas moins de 14 d’entre eux, notamment au Texas, au Mississippi ou en Virginie-Occidentale.
La faute à Trump
Concrètement, la loi arizonienne interdit purement et simplement toute interruption volontaire de grossesse, médicamenteuse ou non, même en cas d’inceste ou de viol. La seule exception autorisée est le cas de mise en danger de la mère. Jusqu’à présent, l’Arizona autorisait l’IVG jusqu’à 15 semaines de grossesse, mais depuis l’annulation de Roe v. Wade, de nombreux militants anti-avortement tentaient de réintroduire cette loi vieille de 160 ans. Pour le moment, et jusqu’à fin mai, ce délai tient toujours pour les femmes désirant avorter car «l’ancien procureur général avait promis de ne pas appliquer la loi jusqu’à ce que 45 jours se soient écoulés après que la Cour a rendu un arrêt définitif», informe le média Politico.
Une fois de plus, cette nouvelle loi anti-avortement risque d’obliger les femmes à fuir l’Arizona pour se rendre dans un Etat où l’IVG reste légale. La criminalisation de cette intervention place également les médecins la pratiquant en porte-à-faux avec la loi. L’arrêt de la Cour suprême stipule bien que «les médecins sont désormais informés que tous les avortements, à l’exception de ceux nécessaires pour sauver la vie d’une femme, sont illégaux et que des sanctions pénales et réglementaires supplémentaires peuvent s’appliquer», pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison, d’après la loi de l’Arizona.
Au coeur de la campagne
Reste que certains comptent bien faire barrage à l’application de ce texte. C’est notamment le cas de la procureure générale de l’Etat, la démocrate Kris Mayes, qui a qualifié cette décision de «déraisonnable et d’affront à la liberté», mettant en péril «la santé et la vie de nombre d’Arizoniennes». Dans un communiqué, elle a également averti que tant qu’elle siégerait à son poste, «aucune femme ou médecin ne serait poursuivi» en lien avec cette loi. Pour mesurer l’absurdité de ce retour en arrière, Kris Mayes rappelle aussi que la Cour suprême rétablit un texte qui a été écrit à une période où le droit de vote des femmes n’était pas entré en vigueur aux Etats-Unis et où la guerre civile faisait rage.
Joe Biden n’a pas tardé à réagir à cette décision, la jugeant «cruelle». «[Elle] est le résultat de l’agenda extrême des élus républicains qui sont déterminés à priver les femmes de leur liberté.» Sur X, il a pointé du doigt Donald Trump comme principal responsable de ce retour en arrière. L’avortement est devenu un des points centraux de la présidentielle de cette année entre les deux hommes. Pas plus tard que mardi, la campagne de l’actuel locataire de la Maison-Blanche a publié un spot publicitaire accusant le milliardaire d’avoir mis en péril la vie d’une Texane. Cette dernière a souffert de graves infections après s’être vu refuser une IVG après une fausse couche. Les démocrates accusent Donald Trump d’avoir noyauté les juridictions du pays de juges anti-avortement.
Ce dernier s’est aussi récemment prononcé sur l’IVG en déclarant que sa législation devait rester la compétence des Etats, refusant d’approuver une interdiction de l’IVG à l’échelle nationale. Cette prise de position a provoqué l’ire de la frange la plus conservatrice de son électorat, mettant ainsi Trump dans une position difficile, alors même que certains républicains ont trouvé la décision de la Cour suprême de l’Arizona trop extrême. Ils ont demandé au législatif, contrôlé par le Grand Old Party (GOP), de l’abroger. La candidate républicaine au Sénat Kari Lake a également déclaré s’opposer à cette loi de 1864, dernier signe en date que les positions radicalement anti-avortement ne font pas forcément recette chez tous les membres du Grand Old Party.
Un bannissement total de l’IVG dans l’Arizona, Etat pivot, pourrait bénéficier aux démocrates
Kamala Harris en route pour l’Arizona
Les démocrates comptent bien capitaliser sur ces dissensions au sein de la droite. Kamala Harris se rend à Tucson dans l’Arizona aujourd’hui pour un rallye de campagne, prévu avant cette décision de la Cour suprême. Le droit à l’avortement sera, à n’en pas douter, l’un des sujets phares de sa visite, elle qui a déjà pris à partie Donald Trump lundi sur le sujet: «Une fois de plus, il a déclaré qu’il était fièrement responsable de l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade. Et l’on peut se demander s’il est fièrement responsable du fait qu’une femme sur trois en âge de procréer vit aujourd’hui dans un Etat où l’avortement est interdit. Fièrement responsable du fait que les médecins et les infirmières peuvent désormais être emprisonnés à vie dans certains Etats pour avoir prodigué des soins? Fièrement responsable que des Etats aient adopté des interdictions sans exception, même en cas de viol ou d’inceste?» Assez cyniquement, un bannissement total de l’IVG dans l’Arizona, Etat pivot, pourrait donc potentiellement bénéficier aux démocrates le 5 novembre prochain. ■