Un rapport dénonce les traitements inadéquats pour les jeunes transgenres
Dans un climat politique clivant, le texte, dirigé par une pédiatre britannique de renom, juge la prescription de bloqueurs de puberté et d’hormones trop généralisée
Quand Hilary Cass, une pédiatre britannique de renom, a débuté à l’automne 2020 son rapport sur la prise en charge des mineurs transgenres au RoyaumeUni, le sujet était particulièrement clivant et explosif. Près de quatre ans plus tard, en rendant ses travaux mercredi – 250 pages denses, auxquelles s’ajoutent de longues annexes –, il l’est encore plus. «La toxicité du débat est exceptionnelle», regrette-t-elle dans son préambule.
D’un côté, le gouvernement conservateur exploite et manipule le sujet, surfant sur la «guerre culturelle» importée des Etats-Unis. «Un homme est un homme et une femme est une femme, c’est juste du bon sens», aime déclarer Rishi Sunak, le premier ministre. De l’autre, des associations militantes défendent l’«autodétermination» – le droit à choisir librement son identité de genre sans limites.
Entre les deux, regrette Hilary Cass, le sort des enfants et adolescents atteints de dysphorie de genre est presque oublié. «La connaissance et l’expertise du personnel soignant expérimenté, qui a souvent atteint des conclusions différentes sur la meilleure approche à adopter, sont parfois balayées du revers de la main.»
Effets bénéfiques pas clairement prouvés
Au-delà des regrets sur la virulence du débat, la principale conclusion du rapport est lourde de conséquences. Hilary Cass estime que la prescription de bloqueurs de puberté et d’hormones s’est trop généralisée, sans que la recherche ne prouve clairement leurs effets bénéfiques. «Pour la plupart des jeunes, un chemin médical n’est pas la meilleure façon de gérer leur détresse liée au genre. Pour ceux pour lesquels un traitement médical est indiqué, cela ne suffit pas de fournir (ces médicaments), sans aussi traiter les questions plus larges de santé mentale et/ou les problèmes psychosociaux.»
Le rapport rappelle les chiffres. Au Royaume-Uni, au début des années 2010, environ 250 jeunes par an étaient envoyés à la clinique Tavistock, qui était alors la seule à s’occuper des dysphories de genre chez les mineurs. En 2018, ils étaient 2500. En 2021, ils étaient 5000.
Aux trois quarts, il s’agit de personnes nées dans un corps de fille.
Jusqu’en 2014, la clinique adoptait une approche «d’attente vigilante», prescrivant rarement des traitements médicamenteux. Tout a basculé sur la base d’une étude venant des Pays-Bas. Les médicaments sont devenus plus courants.
Le problème de l’étude néerlandaise, selon Hilary Cass, est qu’elle est très incomplète. Elle ne couvrait que 70 patients, et semblait indiquer une amélioration de la santé mentale des jeunes prenant des bloqueurs de puberté. Mais un test clinique similaire mené par la clinique Tavistock (malheureusement sans groupe témoin, ce qui rend l’étude peu utilisable) n’indiquait au contraire aucune amélioration de la santé mentale.
«Souvent, il faut de nombreuses années avant que des études très positives changent la pratique médicale, note Hilary Cass. […] Il s’est passé le contraire dans le champ des soins de genre pour les mineurs. Sur la base d’une seule étude néerlandaise, qui suggérait que les bloqueurs de puberté pourraient améliorer le bien-être psychologique d’un groupe d’enfants ayant des non-congruences de genre, défini de façon étroite, cette pratique s’est répandue rapidement dans d’autres pays. Cela a été suivi par des prescriptions plus communes d’hormones masculinisantes/féminisantes dès le milieu de l’adolescence.» Elle en conclut que les jeunes qui sont traités «méritent mieux». Aujourd’hui, la prise en charge médicale est d’autant plus difficile au Royaume-Uni que la clinique Tavistock a fermé, étant la cible des attaques.
Elle souligne que ces traitements doivent être pris avec une grande précaution, à cause des conséquences de long terme pour ces jeunes. «J’ai parlé à des gens qui ont «détransitionné» [qui sont revenus à leur sexe biologique], certains regrettant profondément leurs décisions antérieures.» Elle souligne un paradoxe: beaucoup de ces enfants ou adolescents se décrivent comme non-binaires, alors même que ces médicaments ont des conséquences binaires. Hilary Cass ne rejette évidemment pas pour autant les traitements dans leur intégralité: «J’ai parlé à des adultes transgenres qui mènent des vies positives, avec succès, et se sentent renforcés d’avoir effectué leur transition.»
«Un biais politique»
«Un chemin médical n’est pas toujours la meilleure façon de gérer leur détresse liée au genre» HILARY CASS, PÉDIATRE
Le rapport a inévitablement provoqué d’importantes critiques. Freddy McConnell, un journaliste lui-même transgenre, rappelle dans le Guardian que seules 1% des personnes qui ont subi une opération de changement de sexe expriment des regrets. Il souligne également qu’en 2022, seuls 378 mineurs étaient «éligibles à recevoir des bloqueurs de puberté du NHS (le service de santé britannique), un nombre relativement petit».
Pour lui, le rapport, dont il accepte par ailleurs une large partie des recommandations, a échoué en ne condamnant pas «l’idéologie anti-trans» menée par «une coalition de politiciens, de journalistes et même de personnels soignants», qui affirme que «des gens trans comme moi n’existent pas». Selon lui, faire un rapport purement consacré à la prise en charge médicale de la dysphorie de genre sans prendre en compte ce biais politique le rend incomplet. ■