«Il faut en faire davantage contre le crime organisé»
A l’heure du bilan annuel, Stefan Blättler, procureur général de la Confédération, estime que les autorités de poursuite manquent de personnel et d’instruments efficaces pour lutter contre diverses formes de criminalité
XRien à dire. Le calme est bien revenu à la tête du Ministère public de la Confédération (MPC). Même quand il a un message un peu fort à faire passer, le procureur général Stefan Blättler le déroule sans fioriture. Mercredi, en commentant le rapport de gestion qui détaille le travail de ses 282 collaborateurs en 2023, ce dernier a insisté «sur la nécessité d'avoir des instruments efficaces pour combattre les organisations criminelles qui agissent comme un cancer».
En bon ancien chef de la police bernoise, le patron du parquet fédéral est sensible «à ce véritable fléau» et veut collaborer activement avec les cantons pour démanteler les pieuvres dormantes à travers le pays. Il demande aussi des moyens supplémentaires pour faire face à l'augmentation des affaires de cybercriminalité et de djihadisme.
Stefan Blättler en est convaincu: «Le MPC a contribué au bon fonctionnement de notre Etat de droit en 2023, je peux l'affirmer haut et fort.» L'autorité de poursuite a ouvert davantage de procédures pénales que l'année précédente (318 contre 256), elle a porté plusieurs procédures complexes aux répercussions internationales devant les tribunaux, elle en a classé d'autres faute de soupçons suffisants, elle a obtenu 24 condamnations et essuyé 7 acquittements en première instance (20 de ces décisions ne sont pas encore entrées en force). Elle a aussi négocié 4 procédures simplifiées.
Mais peut faire mieux, souligne le procureur général. Faute de moyens, la police judiciaire fédérale n'arrive pas à conduire certaines enquêtes, notamment dans le domaine plus opaque des mafias. «Il faut en faire davantage.» Stefan Blättler ajoute que de nombreuses informations, parvenues d'Italie et d'ailleurs, méritent une attention soutenue. Une coopération plus intensive avec les cantons et leurs polices serait bienvenue. «Mais leurs moyens sont aussi limités, reconnaît-il. L'esprit de collaboration est là et est extrêmement positif.» Alors le procureur général se veut confiant: «On ne va pas rester dans le statu quo.»
Stefan Blättler se sent aussi très bien compris des parlementaires qui l'ont
«Les amendes infligées aux entreprises sont aujourd’hui trop basses pour avoir un effet dissuasif» STEFAN BLÄTTLER, PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION
reconduit dans ses fonctions en juin 2023, avec un score soviétique de 209 bulletins valables sur 210. Mais cette écoute semble moins évidente lorsqu'on pense au récent rejet par le Conseil national d'une motion visant à mieux protéger les lanceurs d'alerte qui dénoncent la corruption et à augmenter l'amende maximale prévue pour sanctionner les entreprises. «Les amendes sont aujourd'hui trop basses pour avoir un effet dissuasif, en particulier pour des groupes qui pèsent des milliards», insiste toujours le procureur général.
Malgré ce cadre juridique qualifié de peu favorable, le MPC se félicite d'avoir enregistré quelques succès, en l'espace de dix ans, avec 12 ordonnances pénales (dont les cas ABB et Sicpa pour défaut de vigilance en lien avec des actes de corruption internationale) et deux condamnations devant le Tribunal pénal fédéral. Une vingtaine d'autres procédures sont en cours. Dont celle visant Trafigura Beheer BV, deux collaborateurs de l'entreprise ainsi que l'ancien PDG de la société pétrolière étatique angolaise Sonangol, sur fond de pots-de-vin.
Appel au deal et aux repentis
Autre regret. Le MPC déplore que la révision du Code de procédure pénale n'ait pas intégré la possibilité de conclure des accords de coopération avec les entreprises qui dénoncent elles-mêmes des infractions présumées ou coopèrent pleinement avec les autorités de poursuite pénale. Ce type de solution transactionnelle qui évite une condamnation s'inspire de ce qui se fait aux Etats-Unis ou en France.
Le parquet fédéral reste convaincu qu'une telle solution doit absolument être instaurée en droit suisse des entreprises. Selon le modèle proposé, la société concernée devrait payer un montant égal à l'amende et reverser les bénéfices obtenus de manière illicite. Elle devrait également réparer le préjudice causé par son activité et réformer ses structures de manière que l'infraction ne puisse pas se répéter. L'accord ainsi négocié devrait être entériné par un tribunal, précise le rapport d'activité.
Autre sujet de friction politique: l'absence d'une réglementation complète et efficace concernant les témoins repentis dans l'arsenal du droit pénal suisse. Stefan Blättler a déjà soulevé la question plusieurs fois et souligné à plusieurs reprises l'importance de relancer le débat au parlement. A travers un postulat concernant la création d'une loi sur les repentis de la mafia, le Conseil national a enjoint le Conseil fédéral de se pencher sur le sujet. «Malheureusement, le gouvernement s'est à nouveau opposé à cette intervention.» Le sujet a ensuite été réanimé, via le Conseil des Etats, et un nouveau rapport est attendu. Le MPC restera sur sa position et continuera à solliciter la création d'un programme de clémence.
Gros sous et propagande
S'agissant de criminalité économique, le MPC revendique une approche proactive afin de contribuer au maintien «d'une place financière suisse propre». Celui-ci s'est par exemple interrogé sur la dimension pénale de la reprise de Credit Suisse par UBS. Le parquet fédéral précise avoir aussitôt mis en place un monitoring interne afin de pouvoir réagir immédiatement s'il devait constater des faits relevant de son domaine d'activité, il a confié des mandats d'enquête à différents services afin de déterminer si des infractions ont été commises, et examine encore diverses plaintes déposées à l'échelon cantonal.
Enfin, sur le terrain du terrorisme, principalement des actes à connotation djihadiste (recrutement, propagande, financement, départs et retours), le nombre de nouvelles procédures a augmenté de 50% en 2023, avec 21 nouvelles affaires. Au total 121 procédures étaient en cours à la fin de l'année. Stefan Blättler s'est dit particulièrement préoccupé par le fait que les auteurs sont de plus en plus jeunes. «Dans de tels cas, la compétence judiciaire revient aux tribunaux cantonaux des mineurs, qui ne sont pas spécialisés dans les délits terroristes», a-t-il relevé. Mais ceux-ci sont peut-être mieux armés pour affronter le contexte qui fait dériver ces adolescents.
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