Au procès 1MDB, retour sur la genèse de l’affaire
Interrogé hier matin, le principal prévenu du volet suisse de ce dossier affirme avoir seulement noué des contacts entre sa société Petrosaudi et d’autres entités. Dont le fonds souverain malaisien
Le procès du volet suisse de l'affaire 1MDB s'est poursuivi hier matin avec l'audition de l'ancien patron de Petrosaudi. Soupçonné d'avoir participé au détournement de 1,8 milliard de dollars au détriment du fonds souverain malaisien, Tarek Obaid est accusé d'escroquerie par métier, de gestion déloyale et de blanchiment aggravé. Le quadragénaire de nationalité saoudienne et suisse est présumé innocent. Son interrogatoire avait débuté mercredi soir dans un huis clos partiel, accordé afin de le protéger de menaces dont il a déclaré faire l'objet. L'ancien financier a affirmé avoir exercé diverses activités pour la cour royale saoudienne, avant de tomber en disgrâce après la mort du roi Abdallah en 2015.
Lancée à la fin des années 1990 à Riyad avec le prince Turki, fils du roi Abdallah, Petrosaudi avait pour but de créer des associations avec des entités d'autres pays, a résumé Tarek Obaid, une fois l'audience redevenue publique. Selon l'accusation, les deux animateurs de Petrosaudi (l'autre étant Patrick Mahony, entendu mardi et mercredi dans ce procès) auraient convaincu le fonds souverain 1MDB de co-investir dans des champs pétroliers en Argentine et au Turkménistan. Avec des complicités au sein de 1MDB et l'argument choc que le pouvoir saoudien soutenait cette initiative.
Selon l'accusation, le tout était plus ou moins piloté depuis les coulisses par Jho Low, cerveau présumé de ce scandale planétaire et conseiller du premier ministre malaisien de l'époque, Najib Razak (condamné à 6 ans de prison pour corruption dans cette affaire). L'acte d'accusation affirme que Tarek Obaid aurait reçu au moins 570 millions sur le 1,8 milliard volé à 1MDB.
Le lanceur d’alerte «ne savait pas de quoi il parlait»
Selon le lanceur d'alerte dans ce dossier, Xavier Justo, interrogé durant la procédure, Petrosaudi n'avait jusqu'à l'automne 2009 aucune activité réelle, ne valait pas grand-chose et ne possédait pas de champ pétrolier au Turkménistan. Une vision balayée par Tarek Obaid, trapu dans un costume foncé à rayures, avec cravate et baskets On: «Xavier Justo ne savait pas de quoi il parlait, son rôle se limitait à payer les factures et à imprimer des documents.»
Le contrat d'embauche de Xavier Justo, que nous avons pu consulter, mentionnait un titre de responsable du développement international et un salaire de base annuel proche du quart de million, pouvant être assorti de bonus.
Les missions, justement, au sein de Petrosaudi, semblaient bien réparties. L'autre prévenu, Patrick Mahony, s'occupait des investissements, assurant à la cour les jours précédents n'avoir qu'un rôle d'exécutant des consignes données par Obaid. Ce dernier a précisé n'avoir pas exercé de fonction opérationnelle au jour le jour dans l'entreprise, étant très pris à l'époque par d'autres activités dont il ne peut pas parler. Son rôle se limitait aux «aspects politiques», c'est-à-dire aux contacts avec des officiels de haut niveau essentiellement.
«Seulement transmettre des messages»
L'un des contacts déterminant dans cette affaire tentaculaire a eu lieu sur un yacht au large de Monaco en 2009. C'est là que Tarek Obaid et le prince Turki ont rencontré le premier ministre malaisien, Jho Low et un autre conseiller de Najib Razak. Un rendez-vous à l'initiative du premier ministre, fraîchement élu, qui souhaitait l'aide des deux Saoudiens afin de rencontrer le plus haut niveau du pouvoir de leur pays, selon Tarek Obaid, qui préfère s'exprimer en anglais, même s'il maîtrise le français, notamment après son passage à l'Ecole internationale de Genève.
L’acte d’accusation affirme que Tarek Obaid aurait reçu au moins 570 millions sur le 1,8 milliard volé
A cette époque, le prévenu ne savait «absolument rien» de 1MDB, si ce n'est que l'idée d'un fonds souverain avait été vaguement discutée lors de cette rencontre. Mais il était clair que Najib Razak était intéressé par la conclusion d'un partenariat entre ce fonds nouvellement créé et l'Arabie saoudite, à travers une coentreprise, a encore souligné Tarek Obaid, durant une session marquée par quelques échanges tendus entre ses avocats et le juge Bacher.
Interrogé sur le sens des mêmes e-mails déjà présentés à Patrick Mahony en début de semaine, l'ex-patron de Petrosaudi a parfois répondu qu'il fallait poser la question à Jho Low, leur auteur, actuellement en fuite. Par exemple, lorsque ce dernier demandait à ne pas être mis en copie des échanges entre Petrosaudi et 1MDB. Et quand Jho Low insiste pour que l'accord entre les deux parties soit conclu au plus vite, en quelques semaines de septembre 2009? «Je ne crois pas que l'Arabie saoudite ait eu besoin de financement de la Malaisie, ironise Tarek Obaid. Le premier ministre voulait conclure la transaction rapidement.»
Ce qu'il savait, en revanche, c'est que «la Malaisie, c'était Najib Razak et Jho Low était l'homme de Najib Razak. Quand on parle avec des souverains, on ne pose pas de questions, on se contente de transmettre des messages.» Le procès, prévu jusqu'à la fin avril, reprend lundi. ■