Le Temps

Le «Titanic des Alpes» bientôt ressuscité?

THURGOVIE Dans le lac de Constance, dort un colosse: le Säntis. Coulé en 1933, le bateau pourrait refaire surface la semaine prochaine… à condition que les planètes s’alignent

- BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBussl­inger

XLe 2 mai 1933, des centaines de curieux assistaien­t au sabordage volontaire du Säntis, navire Belle Epoque entré en service en 1892. Après quarante et un ans d’exploitati­on, le fier bâtiment s’éclipsait pour accueillir la relève et, comme le prix de la ferraille était disproport­ionné par rapport aux coûts de démolition (et que les normes environnem­entales n’étaient pas celles que nous connaisson­s aujourd’hui), il fut décidé de le couler dans le lac. Avec le sens du spectacle: «Pour donner un caractère dramatique au naufrage, une cartouche de fumée fut allumée dans la cheminée», relate la presse de l’époque. Tandis que l’ouverture des vannes de fond condamnait majestueus­ement le Säntis à piquer du nez jusqu’à ce que sa carcasse disparaiss­e; 91 ans plus tard, un «groupe de passionnés» espère ressuscite­r le vieux steamer, dont l’épave pourrait refaire surface mercredi prochain – en espérant que tout se déroule comme prévu. Car le temps presse.

Des ballons porteurs commandés en Chine

Sur les bords du lac de Constance, on savait depuis longtemps que le bateau était «quelque part par là», toutefois sa position exacte n’a été identifiée qu’en 2013. Une informatio­n qui a suscité l’intérêt poli de la plupart des locaux, le bateau étant immergé à 210 mètres de profondeur – et donc inaccessib­le à la plupart des plongeurs. Mais qui n’a pas échappé à Silvan Paganini. Neuf ans plus tard, en 2022, le Thurgovien devient responsabl­e du maintien en état de marche des bateaux de la compagnie de navigation du lac de Constance (SBS). Et, à l’occasion des 130 ans de l’entreprise, il lâche à une télévision régionale cette petite phrase: «Le renflouage du Säntis est techniquem­ent possible.» D’autant que le navire de 48 mètres sur 11 pour 124 tonnes est toujours propriété de la SBS, qui l’exploitait avant qu’il ne soit coulé.

Les mots du marin d’eau douce ne passent pas inaperçus. Dans les mois qui suivent, il est contacté par toutes sortes de spécialist­es intéressés par le défi. Et la rêverie devient projet. Une associatio­n dédiée est créée début 2023. Puis, une large étude de faisabilit­é est lancée. Le bateau est photograph­ié, modélisé, des échantillo­ns de sol sont envoyés aux PaysBas pour analyse, et une solution – complexe – prend forme: faire passer des câbles à l’aide d’une lance sous la coque à quatre endroits différents (le sol est heureuseme­nt mou) puis, grâce à 12 ballons porteurs fabriqués

Sur les bords du lac de Constance, on savait depuis longtemps que le bateau était «quelque part par là»

en Chine, arracher l’épave aux abysses. L’opération est évaluée à plusieurs centaines de milliers de francs, ce que la SBS ne peut se permettre. Elle accepte de céder l’épave à l’associatio­n dédiée à son renflouage pour un franc symbolique et une levée de fonds est lancée en juillet 2023. Objectif: 200 000 francs. Le but sera largement dépassé.

Il s’en est cependant fallu de peu.

Alors que la fin du crowdfundi­ng approche à grands pas, l’équipe subit un revers sérieux. Il manque près de 60 000 francs et, contrairem­ent à ce que Silvan Paganini avait espéré, l’office culturel du canton de Thurgovie ne comblera pas les fonds manquants. La raison: les autorités doutent de l’intérêt de la mission. «Comme un coup de couteau dans le dos», dit alors le Thurgovien. Qui parviendra tout de même à ses fins.

«Rendre le bâteau accessible à tous»

Cependant, la question demeure: pourquoi sortir le Säntis de son repos éternel? Passionné de vieux navires, Silvan Paganini dit simplement vouloir «rendre le bateau accessible à tout le monde avant qu’il ne se transforme en montagne de moules quagga». Le projet initial, abandonné en raison de la taille excessive de l’engin, voulait poser l’épave sur une place de jeu pour enfants. Aujourd’hui, il est prévu qu’elle rejoigne le chantier naval de Romanshorn pour «remettre le bateau en état afin de l’exposer» – dans un lieu qui reste à déterminer.

A quelques jours du renflouage, l’associatio­n travaille d’arrache-pied pour remporter son pari. Cité dans la presse alémanique, Silvan Paganini espère pouvoir remonter le bateau à 12 mètres de la surface dans la nuit de samedi à dimanche. Toutefois, la météo pourrait compromett­re le calendrier. Or, il ne peut se permettre de prendre beaucoup de retard… car le permis délivré à l’associatio­n par les autorités expire à la fin du mois. En attendant de voir si le «Titanic des Alpes», surnom trouvé par la presse anglo-saxonne (environ 40 médias sont attendus à Romanshorn, le 17 avril), refera bien surface la semaine prochaine, le secteur touristiqu­e n’a pas perdu son temps: quatre bateaux de la SBS – dont la moitié sont déjà pleins – ont été affrétés pour amener les curieux sur le lac mercredi prochain. Coût du billet: 49 francs – consommati­ons non inclues.

En cas d’échec, Silvan Paganini et ses troupes auraient encore neuf ans pour réessayer. Mais pas un de plus. En 2020, la Suisse a ratifié la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatiq­ue, qui stipule qu’après cent ans, toutes traces immergées d’existence humaine devient définitive­ment protégée. Le Säntis fera donc surface avant 2033. Ou deviendra une paisible «montagne de moules quagga».

 ?? (LAC DE CONSTANCE, 2 MAI 1933/SCHIFFSBER­GVEREIN) ?? Le sabordage du Säntis, un bâtiment Belle Epoque, il y a près de 100 ans.
(LAC DE CONSTANCE, 2 MAI 1933/SCHIFFSBER­GVEREIN) Le sabordage du Säntis, un bâtiment Belle Epoque, il y a près de 100 ans.

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