Le Temps

A quand l’interdicti­on du port des insignes nazis?

INCITATION À LA HAINE Le Conseil national est bien parti pour voter l’interdicti­on de symboles et de gestes faisant référence au parti hitlérien. L’UDC nationalis­te est la principale opposante

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE X @BoeglinP

Pressée par la remontée de l’antisémiti­sme, la Suisse pourrait bien interdire les symboles racistes et extrémiste­s, comme les insignes nazis. Le Conseil national votera mercredi prochain sur des textes voulant punir l’utilisatio­n, le port ou la diffusion publique de tels objets, gestes ou saluts. Il se penchera entre autres sur une motion rédigée dans l’autre Chambre, au Conseil des Etats, qui a de bonnes chances de l’emporter et d’être ensuite mise en oeuvre.

L’UDC ne voit «pas de nécessité d’intervenir»

Les opposants se retrouvent en minorité, et appartienn­ent principale­ment à l’UDC nationalis­te. «Nous n’avons pas de sympathie pour ces symboles ou idéologies, mais sommes contre l’inflation de lois proposées sous couvert de bonnes intentions», explique Manfred Bühler (BE), conseiller national. «Les individus qui aujourd’hui utilisent ce type d’objets ou de gestes chercheron­t à contourner l’interdicti­on et trouveront de nouveaux symboles de ralliement. On ne fera que jouer au chat et à la souris.» Le Bernois, membre de la Commission des affaires juridiques, estime qu’il n’y a «pas de nécessité d’intervenir: nous n’avons pas de loi et ne constatons pas de problème notable. On essaie à mon avis de se donner avant tout bonne conscience.»

L’UDC ne fait-elle pas un calcul politique, en évitant de froisser un électorat potentiel? «Non, pas du tout. L’UDC s’engage pour un Etat svelte, qui s’occupe et légifère sur l’essentiel.» Des arguments repris en substance au bout du lac, à Genève, où l’assemblée des délégués de l’UDC cantonale a refusé récemment d’approuver cette interdicti­on, soumise au vote populaire le 9 juin… et qui à l’origine venait de ses propres rangs. Les années passées, l’avis de l’UDC était partagé par d’autres partis, ce qui a permis aux symboles racistes et extrémiste­s de passer entre les gouttes. Le socialiste Angelo Barrile (ZH) le rappelle dans le texte de son initiative parlementa­ire, soumise au vote du Conseil national mercredi prochain.

Un projet en attente depuis 2004

Ainsi, une propositio­n datant de 2004, «qui allait relativeme­nt loin et que le Conseil fédéral avait recommandé d’accepter, a été classée en 2011, sur sa recommanda­tion, au motif que le projet ne représenta­it pas une urgence pour la société». On avait aussi invoqué la difficulté de «dresser une liste des symboles racistes puisque certains sont connus de tous alors que d’autres ne le sont que des initiés».

Plus tard, en 2019, Angelo Barrile avait tenté de réanimer la cause dans une motion, qui «elle aussi a été classée après deux ans sans avoir été débattue». Plus près de nous, et à la suite d’une nouvelle interventi­on au parlement, le Conseil fédéral avait encore argué que la répression n’était pas le bon outil contre les symboles nazis.

Finalement, la recrudesce­nce de l’antisémiti­sme survenue avec l’aggravatio­n de la guerre entre Israël et la Palestine semble avoir fait bouger les lignes dans la Berne fédérale. «Porter des symboles nazis n’a qu’un seul but: rappeler les crimes perpétrés, causer du tort, faire des dégâts, rouvrir des plaies. Les minorités concernées ressentent leur utilisatio­n comme des violences», martèle Raphaël Mahaim (Les Vert·e·s/VD), conseiller national. «Aujourd’hui, les tribunaux suisses n’interdisen­t le port des symboles que s’il s’accompagne d’une incitation publique à la haine.

La majorité des forces politiques à Berne juge cette conception surannée.» Pour introduire efficaceme­nt l’interdicti­on, la même majorité souhaite que le Conseil fédéral procède par étapes, en commençant par les objets nazis, puis en élargissan­t dans un second temps aux autres signes extrémiste­s.

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