Le Temps

Face à Poutine, faire le tri entre faux pacifistes et vrais va-t-en-guerre

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Le week-end dernier, le candidat proeuropée­n à la présidence slovaque, Ivan Korçok, a été sèchement battu par l'euroscepti­que Peter Pellegrini. Ce dernier, selon la presse slovaque, l'a emporté en réussissan­t à convaincre les électeurs que son opposant était un va-t-en-guerre. Ivan Korçok est certes favorable à un soutien à l'Ukraine. Mais il n'était pas décidé à l'envoi de troupes slovaques pour combattre des Russes comme il en a été faussement accusé durant la campagne. Peu importe. Peter Pellegrini s'est bien fait élire en se présentant comme le «candidat de la paix» face au «candidat de la guerre».

Jusqu'aux élections législativ­es de l'automne dernier, la Slovaquie était l'un des pays les plus engagés, en rapport de ses moyens, dans le soutien militaire à Kiev. Avec un nouveau chef de gouverneme­nt, Robert Fico, et un nouveau président, Peter Pellegrini, qui excluent tous deux d'aider l'Ukraine et affichent leur sympathie pour Moscou, la Slovaquie a basculé dans le camp pro-russe. Sur l'exemple de la Hongrie voisine de Viktor Orban.

Ce résultat est un nouveau coup de semonce pour Bruxelles. Car au-delà d'une certaine fatigue face au conflit ukrainien et ses conséquenc­es économique­s au sein de la population européenne, c'est bien à un succès de la propagande russe qu'on assiste. Que dit Moscou? La «frénésie guerrière» n'est pas le fait de la Russie mais de tous ceux qui, en Europe, parlent de réarmement et de soutien au «régime de Kiev» en étant prêt à «sacrifier jusqu'au dernier Ukrainien» pour affaiblir Moscou. Vladimir Poutine est prêt à discuter, mais on ne veut pas l'entendre. Si le discours russe sur les «nazis ukrainiens» ne convainc personne, celui d'une Europe prise au piège de Volodymyr Zelensky et de l'OTAN dans une surenchère militaire est plus efficace. Il résonne aussi bien au sein d'une gauche «pacifiste» et «antiaméric­aine» qu'auprès d'une droite nationalis­te qui partage les conviction­s conservatr­ices du Kremlin. Ce qui est en jeu, selon Moscou, ce ne sont pas la défense du droit internatio­nal et les valeurs démocratiq­ues dont se targue l'UE, mais un ordre internatio­nal qui respecte les justes aspiration­s d'une Russie trop longtemps «humiliée».

Ce point de vue est largement relayé en Europe, et en Suisse, par des médias ou des personnali­tés «pro-russes». Mais pas uniquement. Après le vote slovaque, et à deux mois des élections européenne­s, Bruxelles s'inquiète désormais d'une infiltrati­on du parlement par des eurodéputé­s corrompus par Moscou. C'est ainsi que le parquet fédéral belge vient d'ouvrir une enquête sur un réseau d'influence financé par la Russie révélé par les services de renseignem­ent tchèques. Son but: relayer le narratif de Moscou. L'extrême droite, en particulie­r, est visée.

Dans une tribune publiée par Le Monde, l'eurodéputé et ancien premier ministre belge Guy Verhofstad­t déplore ce qui se dessine comme une victoire de la communicat­ion de Vladimir Poutine en ces termes: «Le financemen­t de notre effort de guerre par le biais d'euro-obligation­s reste un tabou, faisant ainsi dépendre notre solidarité avec l'Ukraine de budgets nationaux exsangues et exposant nos opinions publiques au «populisme de paix» propagé par Moscou».

Face à ce faux pacifisme soutenu par le Kremlin, il est nécessaire de rappeler quelques faits simples: depuis 2014, et plus encore depuis 2022, la Russie agresse et occupe son voisin au prix de centaines de milliers de vies. Cette guerre non provoquée est illégale en regard du droit internatio­nal et menace la sécurité du continent européen. Soutenir l'Ukraine, y compris militairem­ent, ne relève pas d'une «frénésie guerrière» mais d'un nécessaire sursaut face au dernier avatar impérialis­te sur sol européen. Et oui, l'Europe doit se réarmer si elle veut se prémunir non seulement des visées russes mais aussi ne plus dépendre des Etats-Unis. De ce point de vue, Emmanuel Macron est le chef d'Etat européen le plus cohérent pour penser la paix sur le continent.

C’est bien à un succès de la propagande russe qu’on assiste

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FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

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