Le Temps

«Le marché retrouve sa normalité»

Thierry Stern, le dirigeant et propriétai­re de Patek Philippe, décrit une situation assez inédite: il a fallu réduire le nombre de détaillant­s pour leur permettre d’avoir des montres en vitrine. Résultat d’une demande qui dépasse largement la capacité de

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE GACHET

Thierry Stern, dirigeant et propriétai­re du genevois Patek Philippe, entre dans la salle de réunion sur son stand de Watches and Wonders, un petit immeuble, tout en verre et en étages. Il salue et dispose une tablette devant lui, cherche un tableur. «Vous allez me demander des chiffres, alors je me prépare», explique-t-il. C’est une bonne entrée en matière, car chaque chiffre reflète un morceau de la stratégie qui a mené Patek Philippe au sommet de l’industrie, tête de file de la catégorie «indépendan­t et familial». L’interview peut commencer.

Puisque vous avez des chiffres devant vous, pouvez-vous nous en donner un? (Il regarde son écran) 11! Nous présentons 11 nouveautés cette année. C’est un peu moins que d’habitude. A l’époque, nous étions plutôt entre 20 et 30 nouveautés ou animations. Mais aujourd’hui, nos montres se sont complexifi­ées.

Pour le prochain chiffre, pourriez-vous nous donner le nombre de montres produites par an? Depuis deux ans, nous sommes stabilisés à 72 000 montres. Cela explique aussi pourquoi nous avons réduit le nombre de nouveautés: si nous en présentons trop, nous aurons trop peu de pièces par référence et il faudrait augmenter le volume.

Et pourquoi ne pas augmenter le volume? Pour le marché, 72 000 montres suffisent. D’autre part, nos capacités de production sont utilisées au maximum et je ne veux surtout pas que la qualité souffre. Nous avons volontaire­ment décidé de nous arrêter à ce niveau.

Avez-vous renoncé à la croissance? Non, mais la croissance doit être très contrôlée.

Le marché est-il porteur en ce moment? Le marché n’est pas du tout mauvais, mais il s’est calmé. Nous sommes revenus à quelque chose de normal. Les dernières années que nous avons vécues n’étaient pas très saines. Il n’y a donc aucune raison de s’emballer et d’épuiser nos équipes. Nous préférons passer à l’ajustage en finesse, ce qui est très apprécié de nos détaillant­s.

Vous avez pourtant drastiquem­ent réduit le nombre de points de vente. En effet, et tout est parti du fait que la demande a fortement augmenté alors que notre outil de production était utilisé au maximum de sa capacité. Nous avons dû réduire le nombre de points de vente parce que nous n’arrivions pas à approvisio­nner l’ensemble des détaillant­s.

Où en êtes-vous aujourd’hui? Nous avons compté jusqu’à 700 points de vente. Puis nous avons réduit progressiv­ement à 270, sur 67 pays. Ces détaillant­s ont maintenant l’occasion d’exposer des pièces en vitrine, ce n’était plus le cas avant.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a plus de liste d’attente? Nous les avons un peu réduites, mais il y en aura toujours. Et il n’y en a pas sur tous les

produits.

«Nous préférons passer à l’ajustage en finesse, ce qui est très apprécié de nos détaillant­s»

Sur la fameuse Nautilus par exemple? La demande reste énorme. Les montres avec un aspect sportif sont très recherchée­s. La Nautilus et l’Aquanaut [le deuxième modèle sport chic de Patek Philippe, ndlr] réunies comptent pour plus de 40% dans la collection. Mais nous ne voulons pas être mono-produit. Cette année, nous avons fait le choix de mettre en évidence notre modèle Ellipse, très classique, par exemple.

Pour continuer sur les chiffres, tenez-vous toujours un ratio sur les montres acier? Oui. Nous sommes à près de 30% de pièces acier dans la collection. Beaucoup de Twenty-4 [ligne dame, ndlr], plus les Aquanaut et les Nautilus – dont nous avons supprimé la référence la plus demandée, la 5711. Il ne faut pas exagérer sur l’acier. Nous devrions encore baisser un peu et nous en avons le potentiel.

Ces ratios étaient déjà appliqués par votre père. Sont-ils immuables? Je ne peux pas dire qu’ils sont parfaits, mais ils me conviennen­t. Patek Philippe est indépendan­t. Nous ne sommes pas dans un groupe, nous devons être profitable­s. Mais c’est une indication, le marché bouge sans arrêt. Il n’y a pas de règle.

Parlez-vous de montres produites ou de montres vendues? Ce n’est pas une question. Nous produisons 72 000 montres par an et nous en vendons 72 000. Pour deux pièces fabriquées, nous avons 100 demandes – c’est une échelle. C’est pour cela que notre stratégie est de pousser nos détaillant­s à se concentrer sur la clientèle locale. C’est elle qui va revenir. Nous avons l’avantage d’avoir une telle expérience que nous pouvons quasiment prévoir le futur et, surtout, tenir les bonnes pratiques.

Comme prévoir une crise? Absolument. Il suffit que le bâtiment brûle, ou que le prix de l’or flambe pour que nous devions augmenter les prix. Mon père m’a toujours mis en garde: dans une crise, on peut perdre la moitié des affaires en un claquement de doigts. Et nous avons une responsabi­lité, Patek Philippe compte près de 3500 collaborat­eurs. Il faut être capable de payer les salaires. Je fais donc très attention à la trésorerie.

Vous êtes tout de même obligé de prendre des risques. A quel niveau se situent les plus grands risques? Sur les mouvements. Nous avons un plan de production jusqu’en 2038. Il faut quatre ans pour mettre au point un mouvement simple, six ans pour une petite complicati­on et huit à douze ans pour une grande complicati­on. Ces développem­ents coûtent des millions de francs. Mais ce qui me fait vivre, c’est le mouvement. Nous avons d’ailleurs encore fait évoluer notre poinçon [poinçon Patek Philippe, ndlr] en augmentant la précision.

Par contre, vous avez réduit l’étanchéité. Pourquoi? En effet, nous l’avons ramenée à 30 mètres. J’étais fatigué de faire des montres épaisses simplement pour qu’elles soient étanches à 100 mètres. C’est une norme que tout le monde applique, mais elle n’a pas de sens. C’est sous la douche qu’il faut être bien étanche, pas à 100 mètres de profondeur!

Et qu’en est-il du ratio montres hommes et dames? La montre féminine est très importante et elle progresse. En proportion, nous sommes à 36% dames et 64% hommes. Nous étions à 30% et 70%. L’idéal serait d’arriver à 40% et 60%.■

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