Le Temps

Julio Alberto, la remontada des enfers

Après avoir touché le fond à l’issue de sa carrière, l’ancien internatio­nal espagnol des années 1980 s’est lancé dans un combat contre les addictions, sillonnant désormais l’Espagne pour faire de la prévention et inciter les jeunes à «faire les bons choix

- FLORENT TORCHUT @FlorentTor­chut

Il a joué au Camp Nou au côté de Diego Maradona et, à l’instar de ce dernier, a vécu plusieurs vies. Mais contrairem­ent à l’idole argentine, l’Espagnol Julio Alberto est toujours debout à 65 ans, en dépit des terribles épreuves qu’il a traversées dès son plus jeune âge. Envoyé dans un orphelinat catholique à 7 ans à la suite du divorce de ses parents, l’ancien latéral gauche de l’Atlético Madrid et du Barça ne retrouvera son père qu’à 13 ans, après avoir subi les sévices sexuels d’un moniteur durant une colonie de vacances. Son géniteur décide alors de l’initier au football. «Je n’aimais pas ça, je préférais l’athlétisme et le canoë, se souvient Julio Alberto. Même au collège, je regardais mes camarades jouer de loin. Je suis devenu joueur profession­nel presque par hasard.»

Désireux de retrouver sa mère, le jeune Asturien force le coffrefort de son père et s’enfuit en direction de Madrid avec une poignée de pesetas dans ses valises. Débrouilla­rd, l’adolescent finit par retrouver sa trace dans un centre de femmes maltraitée­s. Il enchaîne alors les petits boulots pour qu’ils puissent tous deux survivre, jusqu’à ce qu’il découvre dans le journal que le Real Madrid et l’Atlético Madrid recrutent de jeunes talents. Après un essai réussi avec les Colchonero­s, il intègre l’équipe réserve de l’Atlético en 1975 et reçoit sa première paie. Il revient à la maison les poches pleines mais sa mère, étourdie à la vue de telles liasses de billets, exige qu’il aille «rendre immédiatem­ent cet argent qu’il a volé!».

La vie semble alors enfin sourire à Julio Alberto: après une saison en prêt au Recreativo de Huelva, il s’impose à l’Atlético Madrid, puis rejoint les rangs du Barça à l’été 1982, tout comme Diego Maradona. Sous les couleurs blaugrana, il va remporter un titre par saison (notamment les Ligas 1985 et 1991, les Coupes du roi 1983, 1988 et 1990, la Supercoupe d’Espagne 1984, la Coupe des Coupes 1989) aux côtés des Quini, Schuster, Lineker et Zubizarret­a. En parallèle, il devient internatio­nal espagnol (34 sélections de 1984 à 1988) et dispute notamment la finale de l’Euro 1984, perdue 0-2 face à la France de Michel Platini. Sans rancune. «J’étais ami avec Michel, on jouait tous les étés un tournoi amical sur les îles d’Ischia et de Capri et on passait ensuite une semaine ensemble. C’est une personne extraordin­aire, au-delà du joueur merveilleu­x qu’il a été.»

Drogué, quitté, ruiné

Julio Alberto est l’un des latéraux les plus forts de sa génération, rapide et toujours prompt à déborder, à l’instar d’un João Cancelo aujourd’hui. Rien ne semble alors lui résister. Mais sa chance s’évanouit au tournant des années 1990. N’entrant pas dans les plans de Johan Cruyff, intronisé entraîneur du Barça en 1988, il glisse sur le banc. Il préfère raccrocher les crampons en 1991 et rate la victoire l’année suivante de la Dream Team en Coupe d’Europe des clubs champions, la toute première remportée par les Catalans. Comme un signe…

«J’ai commencé à travailler dans une banque, mais je me suis entouré de personnes néfastes, confie Julio Alberto. J’ai alors fait de mauvais choix et je suis vite devenu dépendant des drogues. J’ai perdu quasiment tout ce que j’avais pu obtenir tout au long de ma carrière.» A 33 ans, son monde s’écroule comme un château de cartes, son mariage implose et il se retrouve petit à petit sur la paille après de mauvais investisse­ments. Marginalis­é, il connaît de graves problèmes de santé et frôle la mort à plusieurs reprises, après une carrière qui semblait l’avoir sauvé de ses démons. «Les gens ne se rendent pas compte que lorsque tu es au sommet et que tu as tout, ce n’est pas facile de gérer le succès et l’entourage, glisse-t-il. On peut s’enivrer de gloire et d’argent et cela vous éloigne des gens qui vous aiment.»

Après une décennie de galères, il relève finalement la tête et intègre en 2003 la Fondation du FC Barcelone, multiplian­t depuis les interventi­ons auprès des jeunes pour les prévenir des dangers des addictions. «J’aimerais que les écoles enseignent aux enfants comment se comporter en société et avoir des habitudes saines, assène le sexagénair­e. Cela passe par la prévention des dépendance­s. Non seulement l’addiction à la drogue, mais aussi aux jeux en ligne, à la pornograph­ie, à la prostituti­on, à la criminalit­é, aux risques liés à la conduite… C’est bien d’étudier les mathématiq­ues et la géographie, mais on devrait aussi leur apprendre à prendre de bonnes décisions dans la vie.»

«La plus belle chose que j’aie faite dans ma vie»

En 2022, il crée l’associatio­n Relife, qui vise à éduquer, prévenir et informer les jeunes, les enseignant­s et les parents sur les risques des addictions, à travers des ateliers, des conférence­s et des tables rondes, en s’appuyant sur l’expérience de spécialist­es en psychologi­e, en psychiatri­e et en coaching. «On incite les jeunes et leur entourage à ne pas se laisser influencer pour éviter de se mettre en danger et à mener une existence saine, en leur âme et conscience, explique le natif d’Oviedo. Relife, c’est la plus belle chose que j’aie faite dans ma vie. On cherche à sauver les jeunes des conséquenc­es désastreus­es des addictions. On ne veut plus voir de jeunes qui finissent en fauteuil roulant, avec des séquelles irréversib­les ou qui meurent à cause d’une addiction.»

Relife a mis en place des programmes de désintoxic­ation et de réinsertio­n, en partenaria­t avec des cliniques spécialisé­es et des entreprise­s. A leur sortie, les jeunes concernés se voient ainsi offrir du travail. «On les accompagne avec le soutien de leurs parents, on leur demande de nous apporter les tickets de

«J’ai perdu quasiment tout ce que j’avais pu obtenir tout au long de ma carrière» JULIO ALBERTO

ce qu'ils dépensent et on les aide à retrouver une vie active, détaille Julio Alberto, qui raconte son enfance traumatisé­e et sa descente aux enfers – même s'il déteste l'expression – lors de ses interventi­ons, afin d'exorciser ce passé douloureux et d'alerter sur les conséquenc­es désastreus­es de la drogue. Si tu sors d'un programme de désintoxic­ation et que tu retournes dans la rue, tu ne tiens pas plus d'un mois.»

Après avoir survécu à presque tout, Julio Alberto croque désormais la vie à pleines dents et se démène pour que ceux qui l'écoutent ne commettent pas les mêmes erreurs que lui. «A tous, je leur dis: tombez amoureux de la vie, des choses qui vous rendent heureux, comme manger avec votre famille, allez voir du foot avec vos amis ou profitez de bons moments avec votre partenaire.»

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(BARCELONE, 29 MARS 2017/ORIO Julio Alberto: «Les gens ne se rendent pas compte que lorsque tu es au sommet et que tu as tout, ce n’est pas facile de gérer le succès et l’entourage.»
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CAMPUZANO/VIA IMAGO-IMAGES.DE)

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