Dans les champs de lave islandais
A partir du thème, sinon banal du moins classique, de l’enlèvement,
Lilja Sigurdardottir signe un polar original assorti d’un décryptage des structures de blanchiment d’argent
En cas d’enlèvement, ne jamais se fier à la parole des ravisseurs… Derrière un rapt et une demande de rançon peuvent se cacher une montagne de mensonges, de trafics illicites et de non-dits. Et c’est tout cela qui fait le sel de Rouge comme la mer, le nouveau polar de l’Islandaise Lilja Sigurdardottir. Après une trilogie consacrée aux dérives de la finance (Reykjavik noir) et une plongée dans les coulisses du pouvoir, la quinquagénaire a choisi d’explorer une veine plus intimiste, associée à la problématique éminemment islandaise de la disparition, si chère à un autre auteur de ce pays aux vastes étendues volcaniques, Arnladur Indridason.
Une somme colossale
Dans Rouge comme la mer, le lecteur retrouve, avec grand plaisir, le personnage complexe d’Aurora. Il a fait sa connaissance dans le précédent roman de Lilja Sigurdardottir, Froid comme l’enfer. Alors que la jeune femme continue à rechercher le corps de sa soeur, sauvagement assassinée par son mari, cette spécialiste en recouvrement de fonds illégalement gagnés, gérés et dissimulés se retrouve embarquée, un peu à son insu, dans une affaire d’enlèvement.
Sa tâche? Aider l’entrepreneur Flosi à rapatrier discrètement en Islande la somme colossale de 2 millions d’euros exigée par les ravisseurs de son épouse Gudrun. Autre demande du ou des criminels: ne pas avertir la police. Un classique. Trop classique.
Et si tout cela n’était qu’une vengeance mafieuse? Et si, une fois la somme versée, Flosi ne revoyait jamais sa femme? Enfin, pourquoi demander la somme en euros et non en couronnes islandaises? L’occasion, pour l’auteur, de proposer une analyse fort éclairante des circuits de blanchiment de l’argent sale.
Consciente que l’affaire la dépasse, Aurora prend contact avec Daniel, le policier qui l’avait aidée lors de la disparation de sa soeur. Un homme dont elle est secrètement amoureuse et qui, à l’évidence, le lui rend bien. Le policier accepte d’enquêter en toute discrétion. Se faisant passer pour un proche de la famille et avec l’accord du mari éploré, il s’installe au domicile du couple. Avec un art consommé d’utiliser le silence pour pousser les autres à parler, il commence alors à fouiller dans la vie apparemment paisible de Flosi et Gudrun.
Astucieuse, originale, pas forcément très catholique, cette cohabitation entre le policier et la famille de la victime est particulièrement bien trouvée. Dans cet imbroglio digne des meilleurs mille-feuilles, les enquêteurs sauront-ils conserver suffisamment de lucidité et de souplesse pour ne pas perdre de vue que la vérité peut elle aussi posséder plusieurs couches? Rien n’est moins sûr. Mireille Descombes
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