Le Temps

Montre-moi ta basket, je te dirai qui tu es

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Mercredi, le premier ministre britanniqu­e Rishi Sunak s’est excusé publiqueme­nt sur les ondes. Ni pour ses liens avec l’homme d’affaires controvers­é Frank Hester ni pour sa réaction molle contre les cyberattaq­ues chinoises, mais pour avoir «ruiné» une icône fashion: les Adidas Samba. Dans une vidéo devenue virale, tirée d’une interview au début du mois, on le voit arborer un look chino-chemise et les fameuses baskets, modèle ultra-populaire de la marque allemande. De quoi les rendre instantané­ment moins cools, lui ont reproché les internaute­s.

Qu’on valide ou non le look «casual chic» du premier ministre, il confirme ce qu’on savait déjà: de Downing Street aux Fashion Weeks, des open spaces aux dancefloor­s, des rayons puéricultu­re aux rayonnages des collection­neurs, le règne des «sneakers» est total. Repérage empirique dans le café où je me suis installée pour écrire cette chronique. Conclusion­s: les gens finissent par tiquer quand on fixe trop longtemps leurs pieds; la basket est bien plus qu’un soulier douillet, c’est un statement.

L’obsession collective remonte aux années 1980. Inventées un bon siècle plus tôt pour les joueurs de croquet et de tennis de la bourgeoisi­e britanniqu­e, les baskets sont popularisé­es par la culture hiphop et la starificat­ion des athlètes et prennent progressiv­ement nos armoires en otage. Pratiques, androgynes et déclinable­s à l’infini, les chaussures sportives conquièren­t les ados, puis leurs parents. De Michael Jordan et son célèbre partenaria­t avec Nike à Kanye West ou Kylie Jenner, les stars participen­t à rendre la basket désirable, luxueuse même. Aujourd’hui, l’Américain moyen en posséderai­t six paires – pour un marché évalué à 91 milliards de dollars. Le caoutchouc devenu créateur de tendances, marqueur social et identitair­e.

Car qu’on le veuille ou non, les baskets en disent long sur leur propriétai­re. A commencer par leur état: blanches et neuves, elles font startupeur propret. Crades, elles disent votre goût du flegme et des open airs. La marque et le modèle, surtout, sont déterminan­ts. Des Vans? Le skate est une seconde nature… ou un genre que vous vous donnez. Quoique associées à un pantalon à ourlets et un bonnet trop court, elles complètent le parfait look hipster. Les bobos trentenair­es optent volontiers pour les New Balance, les nostalgiqu­es trendy pour les Fila – voire les Converse, totem de leur adolescenc­e qu’ils ont cependant l’interdicti­on d’associer avec un skinny jean (so 2007). Des Adidas à la semelle plus épaisse qu’un parpaing? Vous êtes assurément un spécimen de la Gen Z. Plus de cinquante ans au compteur? Vous possédez probableme­nt des On – mais notons que les marathonie­ns cools leur préfèrent les Brooks. Si les Veja ravissent les indécis aux goûts basiques, les fashionist­as ont un cran d’avance et usent déjà leurs Hokas.

Choisissez votre camp… pendant qu’il est encore temps. Bientôt, l’été arrivera et déchirera le monde en deux – entre les porteurs de Birkenstoc­k et les losers.

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