Le Temps

«Tu peux sortir de l’anorexie et de la boulimie!»

Dans un livre facile à lire, Maria Poblete parle des troubles alimentair­es aux jeunes et leur indique comment les soigner avec l’aide de médecins et de leurs parents

- Marie-Pierre Genecand Maria Poblete, «Tu peux en sortir! Anorexie, boulimie, hyperphagi­e, etc.», Actes Sud jeunesse.

«Cette année-là, j’ai vieilli de trois ans. Je mangeais de moins en moins, une pomme, des carottes, rien de plus. Je séchais les cours, je somnolais. J’ai perdu plus de 15 kilos en un automne, je me pesais très souvent. Je ne me disais pas que j’étais malade ou que je me faisais du mal. J’étais dans le déni, je pensais pouvoir gérer l’anorexie.» Marie, 28 ans, décoratric­e, fait partie des sept personnes qui témoignent de leur expérience passée dans Tu peux en sortir! Anorexie, boulimie, hyperphagi­e, etc., un ouvrage sur les troubles du comporteme­nt alimentair­e (TCA) ayant cette grande vertu: s’adresser en termes simples aux lecteurs dès 12 ans.

Car Maria Poblete, la journalist­e qui signe cet ouvrage sorti en mars dernier aux Editions Actes Sud jeunesse, le sait bien: les dérèglemen­ts de l’alimentati­on débutent souvent à cet âge où le corps change et les regards normatifs sur la silhouette s’intensifie­nt. Il arrive aussi, comme Marie, que ces adolescent­s, en réalité des adolescent­es à 90%, mangent leurs émotions et prennent du poids avant d’éteindre leur vie à travers l’anorexie.

L’autre grande vertu de ce livre facile à lire et qui bénéficie des illustrati­ons dynamiques d’Alice Bunel? Donner des solutions concrètes aux jeunes et à leur entourage. Consulter dès que possible, cumuler les ressources thérapeuti­ques, s’armer de patience et accepter l’aide de tiers: telles sont les quatre pistes recensées par Maria Poblete pour se sortir des TCA qui, dans leur forme la plus aiguë, «représente­nt les maladies mentales les plus mortelles pour la population située entre 12 et 20 ans».

Oui, l’anorexie tue. Mais, justement, pour ne pas ajouter du drame au drame, l’autrice prend le contrepied avec un ouvrage vivant, dynamique, où elle s’adresse souvent à ses lecteurs par le tutoiement et où, dans une suite de chapitres courts, elle varie les typographi­es et les couleurs.

Mensonge incessant

Maria Poblete commence par définir les troubles alimentair­es principaux, anorexie, boulimie et hyperphagi­e, qui touchent 800 000 personnes en France (314 000 en Suisse) et leurs différence­s. Elle rappelle ainsi que la boulimie et l’hyperphagi­e impliquent toutes deux d’avaler «une très grande quantité d’aliments en un temps record, en général en dehors des repas et en cachette», mais que seules les personnes boulimique­s compensent «en se faisant vomir ou en pratiquant des tas d’exercices et parfois aussi en prenant des médicament­s laxatifs».

Ensuite, dans un chapitre touchant, la journalist­e liste le ressenti des malades qu’elle a interviewé­s. Ce qui ressort? Leur déni du problème, leur sentiment de contrôle, l’énorme place que prend la nourriture dans leur tête, le mensonge incessant, le perfection­nisme qui fait mal et, surtout, la dysmorphop­hobie dont elles et ils sont victimes. «Ce terme compliqué désigne la différence entre le corps de la personne et la perception qu’elle en a.»

Pour combattre ce «désordre de l’image corporelle», Odile Gaucher, psychomotr­icienne au CHU de Saint-Etienne a imaginé une technique éloquente. Les jeunes femmes qu’elle reçoit en consultati­on doivent reproduire avec une cordelette de couleur l’endroit de leur corps qu’elles trouvent le plus gros.

Sur une table, elles dessinent la forme imaginée de leurs cuisses ou de leur ventre et, souvent, le résultat, qui est clippé, présente 30 à 60 cm de trop par rapport à leur vraie silhouette. En passant par cet exercice concret, les patientes réalisent mieux le fossé entre leur image mentale et la réalité.

Les solutions, à présent. Après avoir établi les multiples causes des TCA (régimes qui tournent à l’obsession, pression de la réussite scolaire et des réseaux sociaux, peur de grandir, etc.), la journalist­e se penche sur les remèdes, «car, la bonne nouvelle, c’est qu’on peut en guérir», soutient Maria Poblete. Alors quelles sont les étapes de reconstruc­tion?

Consulter dès que possible

Premièreme­nt, il faut «consulter dès que possible, car seule une prise en charge médicale évite que les troubles ne deviennent chroniques et n’entraînent d’importante­s répercussi­ons sur la santé». L’avantage d’un suivi médical dans un centre hospitalie­r, en séjour ou en ambulatoir­e, c’est que «les équipes agissent ensemble, sur les plans somatique et psychologi­que, se réunissent régulièrem­ent, font le point sur l’état de santé et prennent des décisions en fonction». L’autre avantage, en cas d’hospitalis­ation est, parfois, pour l’ado, de couper avec son univers familial ou son milieu social, possibles accélérate­urs de la maladie. Dans le livre, Lola, 26 ans, raconte comment un séjour en Norvège à 21 ans a totalement suspendu sa boulimie, qui a malheureus­ement recommencé dès qu’elle est rentrée au pays.

Dans les centres hospitalie­rs, les traitement­s sont multiples, poursuit l’autrice. «Programme de nutrition, repas thérapeuti­ques, psychothér­apie, groupes de parole, art-thérapie, sport adapté, psychomotr­icité, soins psychocorp­orels, activités culturelle­s et manuelles. La prise en charge est toujours pluridisci­plinaire, salue Maria Roblete. Toute l’équipe est là pour rassurer les ados et cet accompagne­ment soutient la motivation.»

De fait, les parents sont souvent démunis face au trouble alimentair­e de leur enfant. Ce qui ne veut pas dire que leur aide n’est pas souhaitée par les médecins. Au contraire. «Les parents sont des cothérapeu­tes. On leur demande beaucoup. On leur dit que ce sera un marathon et nous travaillon­s avec eux sur la relation», précise la doctoresse Flora Bat, responsabl­e du Centre Arthur, à l’hôpital Salvator, à Marseille. «On s’occupe aussi de la fratrie, car c’est toute la famille qui est en souffrance. On leur rappelle la complexité de cette maladie qui comprend des symptômes visibles et invisibles.»

En matière de soutien, les amis comptent aussi. Déjà, ce sont souvent elles et eux qui, passant beaucoup de temps avec l’ado en difficulté, remarquent les premiers signes des TCA. «Ton amie maigrit, elle est souvent fatiguée jusqu’à s’endormir en cours, elle a des malaises, saute des repas et porte des vêtements amples pour cacher son corps.» La signaler, ce n’est pas la trahir, rassure l’autrice. Ensuite, les amis contribuen­t à la reconstruc­tion en apportant un soutien chaleureux à leur proche. Comme le traumatism­e peut être collectif, la réparation doit l’être également.

Mais, bien sûr, la première personne qui doit se reconstitu­er, c’est l’ado lui-même. Méditation, ateliers créatifs, journal de bord, groupes de parole, repas ludiques qui permettent de retrouver le chemin du plaisir, la guérison peut prendre des années. Patience et bienveilla­nce sont donc requises.

A propos, «quand sait-on qu’on est guéri?», questionne la journalist­e à la toute fin du livre. «Quand les symptômes ont disparu et qu’on a retrouvé un poids correct», répond-elle, selon la doxa officielle. Mais aussi, «à travers ce que tu ressens». «Désormais, tu te sens en sécurité, tu peux manger de tout sans éviter certains produits. Tu peux retrouver le plaisir de la table. Tu as une vie scolaire normale et des amis.» Et, surtout: «Tu ne détestes plus ton corps, tu l’aimes, même, avec ses défauts.»■

«Les parents sont des cothérapeu­tes. On leur demande beaucoup. On leur dit que ce sera un marathon et nous travaillon­s avec eux sur la relation»

Flora Bat, médecin

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