Qatar Act au Bürgenstock
Mohammed Al-Asmakh est un homme heureux. Sur le plan personnel et intime, à vrai dire je l’ignore, n’ayant pas le bonheur de connaître le directeur des opérations de Katara Hospitality. Mais en sa qualité de président du conseil d’administration de Bürgenstock Hotels AG, sise à Obbürgen dans le canton de Nidwald, le jeune homme passe plutôt une excellente semaine. C’est chez lui que la Suisse a décidé de faire la paix dans le monde, dans deux mois.
Division hôtelière du fonds souverain qatari, Katara Hospitality a racheté en 2007 les 60 hectares du Bürgenstock, balcon suspendu au-dessus du temps et du lac des Quatre-Cantons, et investi un demi-milliard dans la foulée pour en faire le très luxueux Bürgenstock Resort. Avec un demi-milliard, vous pouvez acheter une belle Mercedes tous les jours pendant quinze ans, ou vous pouvez racheter le Bürgenstock.
Je m’en souviens très bien, puisque l’esprit tatillon de quelques conservateurs du patrimoine m’avait aiguillé sur le chantier, il y a 10 ans. Ils s’inquiétaient pour l’héritage architectural des lieux, éventuellement bousculé par les ambitions plus clinquantes que regardantes du nouveau propriétaire. Dans le jargon, on avait peur du «rempaillage», opération consistant à tout saccager derrière une enveloppe que l’on préserve.
Il faut dire que le Bürgenstock est plusieurs choses à la fois, comme souvent les choses en Suisse. Prenez une carte postale idyllique, ajoutez un funiculaire, le Grand Budapest Hotel, un quartier de Palm Springs et un village vacances Reka, et vous y êtes à peu près. A la fois étape incontournable du Grand Tour, d’Adenauer à Audrey Hepburn, et destination de course d’école pour des cohortes entières de petits Suisses d’antan, le Bürgenstock figure quelque part dans un imaginaire confédéral auquel certains semblent tenir.
Il faut dire aussi qu’il y a 10 ans, l’argent qatari ne faisait pas les choses à moitié. Il s’offrait le PSG, les plus beaux hôtels de toutes les plus belles villes, il rachetait un peu partout les signes extérieurs de grandeur d’une Europe décidément très à vendre. C’était le temps de l’émoi. C’était avant.
Aujourd’hui, le Qatar est un familier de toutes les assemblées, il a pignon sur les avenues, siège à toutes les tables rondes. Il parle même le suisse allemand, à Nidwald. Le Qatar a pris ses quartiers, il s’est invité à la table pour de bon. Et en juin, c’est aussi lui qui reçoit, là-haut, les grands du monde au coin du feu.
L’an passé, si j’en crois la chronique économique, le Qatar et son fonds souverain songeaient à vendre le Bürgenstock. Refroidis, peut-être, d’avoir été gaillardement lessivés par Credit Suisse et sa lamentable débâcle. Le Bürgenstock, resort ressuscité à vendre pour 1,2 milliard, clés en main. De toute évidence, et tant mieux pour l’émir, personne n’a levé la main.
Dans quelques semaines, l’image pourrait être parfaite. Joe, Volodymyr, Viola, Ignazio, Emmanuel, Ursula pourquoi pas, toute la famille sur la terrasse du palace, au chevet de «la paix globale, juste et durable sur le continent». Avec les compliments de Katara Hospitality et les salutations de Doha.
Depuis quelque temps chez les diplomates helvétiques, canal Genève internationale, la concurrence de l’Emirat commençait, je crois, à préoccuper un petit peu. Au moment où la Suisse des bons offices en prenait pour son grade sur le front russe, les Qataris devenaient incontournables à Gaza, de retour au centre des affaires de la région, voire de la planète. Temps maussade sur le parc La Grange.
Désormais, changement de paradigme. Finie la concurrence, place à la collaboration fructueuse au sommet. Le méchant ne sera pas là, tant pis pour lui. De toute façon, il fait toujours la gueule sur les photos. On s’en passera. Le 15 juin, ce sera luxe qatari, calme et volupté suisses, pour vous servir. La diplomatie vraiment globalisée, un partenariat public-privé pour la paix.
Qui a dit que l’époque ne savait pas s’amuser?
Le 15 juin, ce sera luxe qatari, calme et volupté suisses, pour vous servir