«Certains marchés se rétablissent plus lentement»
Basée à Zurich, Swissport est le principal acteur des services d’assistance aéroportuaire au sol. Pendant la pandémie, ses effectifs ont beaucoup fluctué. Son directeur, Warwick Brady, revient sur la stabilisation post-crise et les défis à venir
Comme l’ensemble du secteur de l’aviation, la pandémie a paralysé l’activité de Swissport. Durant cette période, le leader mondial des services d’assistance aéroportuaire au sol et de la logistique du fret aérien a entrepris une restructuration de ses activités tout en ayant à gérer de grandes variations de ses effectifs au cours de la crise sanitaire. Ces dernières années, des employés du secteur de l’aviation, au niveau mondial et également chez Swissport ont menacé d’entreprendre des actions syndicales ou eu recours à des grèves pour dénoncer leurs conditions de travail. Dans un secteur en croissance constante, où la numérisation et l’automatisation font aussi leur chemin, le directeur général de Swissport évoque les transformations passées et à venir dont le siège est à Opfikon (ZH). En 2023, l’entreprise a servi 232 millions de passagers aériens et traité 4,7 millions de tonnes de fret.
Il y a deux ans, dans une interview, vous déclariez que la pagaille des bagages qui se sont accumulés dans les aéroports à l’été 2022 était de la responsabilité des gouvernements. La situation s’est-elle améliorée aujourd’hui? Il faut rappeler, pour bien comprendre, qu’avec le covid, toute l’activité aérienne s’arrête. Et en 2022 vous avez le plus grand redémarrage de l’histoire de l’aviation. Cette remontée en puissance a créé beaucoup de tensions dans le système aérien. Le manque de personnel touchait la sécurité, le contrôle aérien, les pilotes, les services d’assistance aéroportuaire au sol, etc. Nous sommes passés de 65 000 employés à 10 000 pour revenir à 55 000. Nous avons donc dû procéder à des recrutements énormes. Les problèmes sont surtout apparus durant cette période dans certains grands hubs dans lesquels beaucoup des passagers sont en transit. Il y a eu là une accumulation considérable de bagages et un nombre insuffisant de personnes pour communiquer avec les voyageurs et rapatrier les bagages égarés.
Peut-on parler d’un retour à la normale? Un retour à la stabilité plutôt qu’à la normale. En 2023, les volumes globaux en termes de passagers étaient encore inférieurs à 2019, mais nos revenus sont légèrement supérieurs à la situation pré-pandémie parce que les volumes de fret sont en augmentation. Cette situation s’explique notamment par le lent retour du long-courrier. Certains marchés, qui sont importants pour nous, se rétablissent plus lentement. C’est le cas par exemple de l’Allemagne, où on est encore à 90% des volumes de passagers de 2019.
Comptez-vous miser davantage sur vos activités cargo? Les services d’assistance aéroportuaire au sol constituent la majorité de notre activité – environ 70% des revenus – et devraient croître à peu près au même rythme que le PIB. La logistique du fret aérien est le deuxième pilier stratégique de Swissport. Plus sensible au cycle économique et aux questions géopolitiques, elle devrait néanmoins connaître une croissance d’environ 4% par an. Le fret implique des engagements financiers à plus long terme, mais génère des marges plus élevées. Il s’agit de trouver un équilibre entre les deux activités, ce que nous faisons assez bien, je trouve. Nous nous concentrons cependant sur l’obtention de nouveaux entrepôts. Nous en avons 115 en ce moment, et nous sommes à la recherche d’infrastructures en bord de piste, ce qui n’est pas évident à trouver.
Comment êtes-vous parvenu à recruter à nouveau autant de monde en si peu de temps? Nous investissons énormément dans la formation de l’encadrement. Une fois par an, nous réunissons les responsables de nos différentes antennes qui sont évalués selon différents indicateurs de performances. Nous pensons qu’avoir les bons managers permet d’avoir les bonnes équipes. Cependant, cela reste un défi d’attirer les talents. En Suisse alémanique par exemple, il est encore difficile de faire revenir les gens dans le domaine de l’aviation. Ce n’est pas propre à Swissport, cela touche l’ensemble du secteur. Actuellement, le marché de l’emploi est en pénurie de candidats et notamment de candidats qualifiés. L’autre difficulté est la rétention des collaborateurs.
En 2022, il y a eu cette vidéo de deux de vos employés australiens maltraitant des bagages avec un fort impact pour l’image publique de Swissport. Comment peut-on créer un sentiment d’appartenance dans un secteur où le turnover est important? Cet événement a été très regrettable. Quand vous employez plus de 60 000 personnes, vous avez malheureusement quelques employés indélicats parmi la grande majorité qui est exemplaire. Les personnes en question ont été licenciées car ce comportement ne reflète en aucun cas nos valeurs. Il est tout simplement inacceptable. Nous réalisons des opérations pour 10 000 vols par jour, nous sommes numéro un du secteur en termes de nombre d’aéroports desservis et de volumes traités, mais nous avons l’ambition d’être la référence mondiale en matière de qualité et d’offrir ce que nos concurrents ne proposent pas. Il est important pour nous que les gens qui travaillent chez nous se sentent dans leur équipe comme dans une famille.
Votre secteur est cependant confronté à des grèves et des demandes d’amélioration des conditions de travail. A Genève, nous sommes parvenus à un accord pour les quatre prochaines années. Il y a autour de 60% de notre personnel qui fait partie d’un syndicat et cela démontre que la collaboration entre employés, syndicats et Swissport est bonne. Et surtout, nous sommes fiers d’être la seule entreprise du secteur à Genève à offrir une CCT à ses employés. Il y a parfois des négociations difficiles mais il faut se rappeler qu’elles impliquent trois parties: il y a les syndicats, nous, et puis nos clients, les compagnies aériennes. Il faut trouver des accords qui conviennent à tout le monde, ce que je crois que nous avons réussi à faire à Genève. Nous sommes un secteur où les marges sont faibles et la masse salariale constitue environ 80% de nos dépenses. Les questions liées aux augmentations de salaires sont prises en considération mais doivent toujours être analysées au regard de nos possibilités financières.
Après cette crise sanitaire, sur quels marchés vous concentrez-vous? Nous som mes présents dans 44 pays, mais nos principaux marchés sont l’Europe, les Etats-Unis et l’Amérique latine. Nous sommes aussi très présents sur le continent africain et en Australie. Nous sommes en pleine expansion en Asie, nous sommes déjà présents au Japon et en Corée du Sud mais nous sommes à la recherche d’autres opportunités. L’Asie et l’Amérique latine sont les marchés où la croissance est la plus forte. Elle est plus faible en Europe et aux Etats-Unis mais les grandes compagnies aériennes y sous-traitent de plus en plus d’activités. Nous offrons des services plus flexibles, plus cohérents et plus économiques que ce que les compagnies aériennes pourraient réaliser par elles-mêmes.
Visez-vous particulièrement l’Inde et la Chine, qui sont des marchés très dynamiques? Nous sommes évidemment intéressés par l’Inde où nous avons étudié quelques opportunités. Nous avons beaucoup de clients indiens et chinois. Nous disposons d’un bureau à Pékin et à New Dehli, mais nous ne sommes pas concentrés sur l’idée de nous implanter en Chine. C’est un marché difficile à pénétrer parce que le secteur aérien est dominé par des entités liées au gouvernement. La Chine reste une cible intéressante à plus long terme. L’Inde, en revanche est sur notre liste pour un futur plus proche. Nous avons un important portefeuille de possibilités de fusion-acquisition et de pays dans lesquels nous souhaiterions nous installer mais pour cela, il faut un bon partenaire.
«Nous sommes évidemment intéressés par l’Inde où nous avons étudié quelques opportunités»
Est-ce que la faillite de votre ancien actionnaire chinois HNA Group a compromis vos chances d’entrer en Chine? Je ne pense pas, non. Nous ne sommes pas entrés sur le marché chinois quand HNA était propriétaire. La question à résoudre est de déterminer comment s’installer matériellement en Chine et, pour le moment, c’est une problématique qui est plutôt basse sur la liste de nos priorités.
Depuis sa création en 1996, Swissport a plusieurs fois changé de mains. Il y a régulièrement des rumeurs de vente. La situation estelle plus stable aujourd’hui? Nous avons aujourd’hui de très bons actionnaires, avec lesquels j’ai des échanges presque toutes les semaines. Ils ont investi lourdement dans Swissport et, avec leur soutien, nous avons pu restructurer l’entreprise pour en faire une véritable multinationale et tirer parti de notre envergure mondiale. Mais ce sont de grands fonds d’investissement privés américains et, à un moment, ils souhaiteront vendre ou se désinvestir. C’est la nature de leur activité. Je pense que les prochains actionnaires seront des investisseurs à long terme. Mon rôle est de m’assurer que nous créons une croissance durable pour l’avenir de Swissport.
Concernant le futur, on parle beaucoup d’aviation à hydrogène ou électrique. Si ces modèles se concrétisent, il faudra adapter les opérations au sol, notamment le ravitaillement en carburant. Prévoyez-vous d’investir dans cette perspective? Nos activités de ravitaillement en carburant se trouvent essentiellement aux Etats-Unis, ainsi qu’en Allemagne. Nous avons l’intention de participer au mouvement, en fonction de ce qui arrive sur le marché. Je pense que le premier changement va concerner les biocarburants, mais il appartient aux gouvernements et aux producteurs de s’assurer que ces carburants soient disponibles en quantité suffisante et au prix juste. Pour ce qui est des nouveaux types d’avions, même en commençant à les construire maintenant il faudrait encore une dizaine d’années pour qu’ils soient certifiés. Etant donné notre expérience, nous serons prêts à gérer des opérations avec des biocarburants. Entre-temps, nous nous concentrons sur la réduction de nos propres émissions.
Et comment adaptez-vous vos propres activités au regard des besoins de protection environnementale? Nous allons dépenser environ un milliard de francs durant les dix années à venir pour mettre à jour et électrifier nos véhicules et équipements dans tous les aéroports où les installations nécessaires sont disponibles. Nous avons environ 55 000 appareils à travers le monde. Nous nous sommes aussi engagés à être neutres en carbone en 2050 auprès de la SBTi [Science Based Target Initiative, qui s’assure de l’adéquation des objectifs des entreprises pour réduire leurs émissions avec les données sur le climat, ndlr]. ■