La Patrouille des glaciers, a-t-elle perdu son âme?
Lors de l’édition précédente, vers le col de Riedmatten.
«L’esprit de la montagne est en train de complètement disparaître au profit de celui de la compétition» MARIUS ROBYR, ANCIEN COMMANDANT DE LA PATROUILLE DES GLACIERS
Toujours plus populaire, la mythique épreuve de ski-alpinisme se déroule cette semaine. Des voix déplorent que, au fil des éditions, l’aspect course soit devenu plus important que l’esprit de cordée. Mais celui-ci «demeure ancré dans l’ADN de la PdG», selon les organisateurs
Tête-Blanche – désormais tristement célèbre – à 3650 mètres d’altitude, le col de Riedmatten ou encore celui de la Rosablanche et ses escaliers taillés dans la neige par les militaires, qui organisent l’épreuve. Trois passages emblématiques d’un mythe, qui n’existe que les années paires: la Patrouille des glaciers. La course la plus légendaire de ski-alpinisme, avec pour décor la haute montagne dans ce qu’elle a de plus beau. Malgré cet environnement alpin, l’épreuve ne s’apparente plus pour beaucoup à de la montagne, tant l’esprit des cimes, intrinsèquement lié à la renaissance de la course il y a 40 ans, tend à disparaître au fil des années, remplacé par l’esprit de compétition.
L’entraînement le long des pistes de ski
Cette semaine, ils seront quelque 4800 concurrents à rejoindre les aires de départ de Zermatt ou d’Arolla avec un objectif en tête: passer la ligne d’arrivée à Verbier, le plus rapidement possible. «Toutes les personnes qui participent à la course sont bien plus entraînées que celles qui faisaient la PdG à l’époque. Mais si l’on parle de connaissance de la montagne ou encore de possibilités d’intervention en cas de chutes dans une crevasse, il y a des concurrents qui n’ont rien à faire au départ.» Calme, posé, Marius Robyr analyse la situation avec l’oeil de celui qui connaît la Patrouille des glaciers comme personne. S’il se permet d’être critique, c’est qu’il estime porter une part de responsabilité dans la tournure qu’a prise la PdG. Et pour cause: il en a été le commandant durant dix éditions, de 1990 à 2008, après avoir participé à faire renaître la course de ses cendres en 1984.
Autour d’un repas, dans sa station de Crans-Montana, le septuagénaire évoque l’épreuve qu’il a vue évoluer au fil des décennies. Dans l’esprit de ses créateurs, la PdG devait être, rappelle-t-il, «une course destinée aux personnes qui connaissent parfaitement la montagne. Ce qui me gêne, c’est que l’esprit de la montagne est en train de complètement disparaître au profit de celui de la compétition, c’est-à-dire du chrono», appuiet-il. Un esprit qui a ruisselé des élites jusqu’aux populaires ces dernières éditions. «Laissons les professionnels du ski-alpinisme faire leurs temps. Pour les populaires: prenez du plaisir, savourez la montagne, c’est la chose la plus importante.»
Ce changement d’état d’esprit, qui pousse de nombreux anciens participants à ne plus s’inscrire, est intrinsèquement lié à une évolution sociétale. «C’est extraordinaire de voir combien la peau de phoque s’est démocratisée grâce à la PdG. Aujourd’hui, si tu n’en fais pas, tu es presque montré du doigt», sourit Marius Robyr. Mais il y a le revers de la médaille: la recherche de la performance, à tout prix. «Aujourd’hui, lorsque tu fais une randonnée, la première chose qu’on te demande c’est: «t’as mis combien?». On n’évoque plus le plaisir ou les conditions», soupire l’ancien commandant.
Et cela se répercute sur la manière de se préparer en vue de la compétition. «Autrefois les gens s’entraînaient dans des conditions difficiles, en haute montagne. Désormais, ils le font le long des pistes de ski. Mais savoir courir de nuit, en cordée de trois, c’est totalement différent que d’être tout seul sur une piste damée.» Et Marius Robyr de grogner: «Au départ, il y a désormais des gens qui ne savent pas s’encorder, ou tout juste saventils mettre le baudrier.» Il n’exagère pas: fin avril 2022, dans l’aire de départ d’Arolla, nous fûmes témoins, alors que la consigne venait d’être donnée d’enfiler les baudriers, que certains le firent à grand-peine.
Populaire car balisé, balisé car populaire
Si le règlement de la PdG requiert notamment des participants «une très bonne connaissance de la haute montagne» ainsi qu’un «engagement personnel dans la préparation physique, mentale et technique», aucune vérification n’est réalisée avant le départ, comme cela se pratique par exemple au Trophée Mezzalama, dans la vallée d’Aoste, où chaque membre des 300 patrouilles au départ doit fournir «un bref curriculum de ski-alpinisme et d’alpinisme attestant des compétitions auxquelles il a déjà participé, de son expérience de la haute montagne et de sa connaissance de ses caractéristiques». De quoi donner des idées à la PdG? Au vu de son évolution et de sa démocratisation, Marius Robyr estime qu’il serait opportun de mettre en place un test d’aptitude pour les concurrents, notamment ceux qui y prennent part pour la première fois.
Au sein des professionnels de la montagne, on constate la même mutation de la Patrouille des glaciers et des courses de ski-alpinisme en général. «Les organisateurs acceptent des concurrents qui n’ont pas une formation particulière en montagne parce que le parcours est sécurisé», souligne Pierre Mathey, le secrétaire général de l’Association suisse des guides de montagne. Il faut dire que pour la PdG quelque 1600 militaires sont à pied d’oeuvre, des semaines durant, pour sécuriser, tracer, baliser, voire aménager le parcours à certains endroits, comme les fameux escaliers de la Rosablanche. «On retrouve le même phénomène dans les courses de trail, comme l’UTMB ou Sierre-Zinal. Sans l’aménagement des itinéraires, elles n’auraient pas lieu avec autant de participants. La volonté est d’amener le maximum de gens en montagne et sans cette «aseptisation» de l’environnement dans lequel ont lieu les courses, leur organisation serait bien différente», appuie Pierre Mathey.
Cette évolution questionne le guide de montagne. «Quel est l’intérêt principal des personnes qui s’inscrivent à ces courses? Le font-elles pour la montagne ou pour la compétition? Si l’on veut mixer les deux, sans tous les aménagements sécuritaires, cela nécessite un minimum de techniques requis de la part des participants», appuie-t-il. Car le terrain des épreuves comme la PdG demeure hostile. Bien que le risque soit minimisé, il ne disparaît pas complètement. «Si les organisateurs garantissent aux participants qu’il n’y aura pas d’accidents dus à un événement extérieur, comme une avalanche, les concurrents peuvent tout de même se blesser. Les conditions de neige peuvent favoriser les chutes et le froid peut engendrer des gelures», exemplifie Pierre Mathey.
«Les défis de la montagne demeurent»
Ce dernier point est partagé par Marc Liew. Le chef de la communication de la PdG rappelle que «les défis de montagne tels que l’effort physique, mental, technique ou les conditions météo demeurent». Il se refuse ainsi à parler d’aseptisation de la montagne et préfère évoquer une démocratisation de cette dernière, tout en reconnaissant que «la préparation et la sécurisation du parcours peuvent donner une image de facilité». Pour le militaire, il ne faut toutefois pas opposer l’esprit de cordée à celui de la compétition, ni voir de glissement de l’un vers l’autre. Et ce parce que le premier «est ancré dans l’ADN de la PdG» et que le second «a toujours fait partie de l’épreuve».
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