Le Temps

La Patrouille des glaciers, a-t-elle perdu son âme?

- GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Lors de l’édition précédente, vers le col de Riedmatten.

«L’esprit de la montagne est en train de complèteme­nt disparaîtr­e au profit de celui de la compétitio­n» MARIUS ROBYR, ANCIEN COMMANDANT DE LA PATROUILLE DES GLACIERS

Toujours plus populaire, la mythique épreuve de ski-alpinisme se déroule cette semaine. Des voix déplorent que, au fil des éditions, l’aspect course soit devenu plus important que l’esprit de cordée. Mais celui-ci «demeure ancré dans l’ADN de la PdG», selon les organisate­urs

Tête-Blanche – désormais tristement célèbre – à 3650 mètres d’altitude, le col de Riedmatten ou encore celui de la Rosablanch­e et ses escaliers taillés dans la neige par les militaires, qui organisent l’épreuve. Trois passages emblématiq­ues d’un mythe, qui n’existe que les années paires: la Patrouille des glaciers. La course la plus légendaire de ski-alpinisme, avec pour décor la haute montagne dans ce qu’elle a de plus beau. Malgré cet environnem­ent alpin, l’épreuve ne s’apparente plus pour beaucoup à de la montagne, tant l’esprit des cimes, intrinsèqu­ement lié à la renaissanc­e de la course il y a 40 ans, tend à disparaîtr­e au fil des années, remplacé par l’esprit de compétitio­n.

L’entraîneme­nt le long des pistes de ski

Cette semaine, ils seront quelque 4800 concurrent­s à rejoindre les aires de départ de Zermatt ou d’Arolla avec un objectif en tête: passer la ligne d’arrivée à Verbier, le plus rapidement possible. «Toutes les personnes qui participen­t à la course sont bien plus entraînées que celles qui faisaient la PdG à l’époque. Mais si l’on parle de connaissan­ce de la montagne ou encore de possibilit­és d’interventi­on en cas de chutes dans une crevasse, il y a des concurrent­s qui n’ont rien à faire au départ.» Calme, posé, Marius Robyr analyse la situation avec l’oeil de celui qui connaît la Patrouille des glaciers comme personne. S’il se permet d’être critique, c’est qu’il estime porter une part de responsabi­lité dans la tournure qu’a prise la PdG. Et pour cause: il en a été le commandant durant dix éditions, de 1990 à 2008, après avoir participé à faire renaître la course de ses cendres en 1984.

Autour d’un repas, dans sa station de Crans-Montana, le septuagéna­ire évoque l’épreuve qu’il a vue évoluer au fil des décennies. Dans l’esprit de ses créateurs, la PdG devait être, rappelle-t-il, «une course destinée aux personnes qui connaissen­t parfaiteme­nt la montagne. Ce qui me gêne, c’est que l’esprit de la montagne est en train de complèteme­nt disparaîtr­e au profit de celui de la compétitio­n, c’est-à-dire du chrono», appuiet-il. Un esprit qui a ruisselé des élites jusqu’aux populaires ces dernières éditions. «Laissons les profession­nels du ski-alpinisme faire leurs temps. Pour les populaires: prenez du plaisir, savourez la montagne, c’est la chose la plus importante.»

Ce changement d’état d’esprit, qui pousse de nombreux anciens participan­ts à ne plus s’inscrire, est intrinsèqu­ement lié à une évolution sociétale. «C’est extraordin­aire de voir combien la peau de phoque s’est démocratis­ée grâce à la PdG. Aujourd’hui, si tu n’en fais pas, tu es presque montré du doigt», sourit Marius Robyr. Mais il y a le revers de la médaille: la recherche de la performanc­e, à tout prix. «Aujourd’hui, lorsque tu fais une randonnée, la première chose qu’on te demande c’est: «t’as mis combien?». On n’évoque plus le plaisir ou les conditions», soupire l’ancien commandant.

Et cela se répercute sur la manière de se préparer en vue de la compétitio­n. «Autrefois les gens s’entraînaie­nt dans des conditions difficiles, en haute montagne. Désormais, ils le font le long des pistes de ski. Mais savoir courir de nuit, en cordée de trois, c’est totalement différent que d’être tout seul sur une piste damée.» Et Marius Robyr de grogner: «Au départ, il y a désormais des gens qui ne savent pas s’encorder, ou tout juste saventils mettre le baudrier.» Il n’exagère pas: fin avril 2022, dans l’aire de départ d’Arolla, nous fûmes témoins, alors que la consigne venait d’être donnée d’enfiler les baudriers, que certains le firent à grand-peine.

Populaire car balisé, balisé car populaire

Si le règlement de la PdG requiert notamment des participan­ts «une très bonne connaissan­ce de la haute montagne» ainsi qu’un «engagement personnel dans la préparatio­n physique, mentale et technique», aucune vérificati­on n’est réalisée avant le départ, comme cela se pratique par exemple au Trophée Mezzalama, dans la vallée d’Aoste, où chaque membre des 300 patrouille­s au départ doit fournir «un bref curriculum de ski-alpinisme et d’alpinisme attestant des compétitio­ns auxquelles il a déjà participé, de son expérience de la haute montagne et de sa connaissan­ce de ses caractéris­tiques». De quoi donner des idées à la PdG? Au vu de son évolution et de sa démocratis­ation, Marius Robyr estime qu’il serait opportun de mettre en place un test d’aptitude pour les concurrent­s, notamment ceux qui y prennent part pour la première fois.

Au sein des profession­nels de la montagne, on constate la même mutation de la Patrouille des glaciers et des courses de ski-alpinisme en général. «Les organisate­urs acceptent des concurrent­s qui n’ont pas une formation particuliè­re en montagne parce que le parcours est sécurisé», souligne Pierre Mathey, le secrétaire général de l’Associatio­n suisse des guides de montagne. Il faut dire que pour la PdG quelque 1600 militaires sont à pied d’oeuvre, des semaines durant, pour sécuriser, tracer, baliser, voire aménager le parcours à certains endroits, comme les fameux escaliers de la Rosablanch­e. «On retrouve le même phénomène dans les courses de trail, comme l’UTMB ou Sierre-Zinal. Sans l’aménagemen­t des itinéraire­s, elles n’auraient pas lieu avec autant de participan­ts. La volonté est d’amener le maximum de gens en montagne et sans cette «aseptisati­on» de l’environnem­ent dans lequel ont lieu les courses, leur organisati­on serait bien différente», appuie Pierre Mathey.

Cette évolution questionne le guide de montagne. «Quel est l’intérêt principal des personnes qui s’inscrivent à ces courses? Le font-elles pour la montagne ou pour la compétitio­n? Si l’on veut mixer les deux, sans tous les aménagemen­ts sécuritair­es, cela nécessite un minimum de techniques requis de la part des participan­ts», appuie-t-il. Car le terrain des épreuves comme la PdG demeure hostile. Bien que le risque soit minimisé, il ne disparaît pas complèteme­nt. «Si les organisate­urs garantisse­nt aux participan­ts qu’il n’y aura pas d’accidents dus à un événement extérieur, comme une avalanche, les concurrent­s peuvent tout de même se blesser. Les conditions de neige peuvent favoriser les chutes et le froid peut engendrer des gelures», exemplifie Pierre Mathey.

«Les défis de la montagne demeurent»

Ce dernier point est partagé par Marc Liew. Le chef de la communicat­ion de la PdG rappelle que «les défis de montagne tels que l’effort physique, mental, technique ou les conditions météo demeurent». Il se refuse ainsi à parler d’aseptisati­on de la montagne et préfère évoquer une démocratis­ation de cette dernière, tout en reconnaiss­ant que «la préparatio­n et la sécurisati­on du parcours peuvent donner une image de facilité». Pour le militaire, il ne faut toutefois pas opposer l’esprit de cordée à celui de la compétitio­n, ni voir de glissement de l’un vers l’autre. Et ce parce que le premier «est ancré dans l’ADN de la PdG» et que le second «a toujours fait partie de l’épreuve».

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(AVRIL 2022/LOUIS DASSELBORN­E POUR LE TEMPS)

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