Le Temps

A Cully, le jazz sous toutes ses coutures

De Dave Holland, mage absolu de la contrebass­e, à la déesse anglaise du saxophone Nubya Garcia, retour sur les temps forts de cette 41e édition

- JULIETTE DE BANES GARDONNE @JuliettedB­g

Un rendez-vous avec l’histoire. Jeudi dernier, le festival de jazz de Cully invitait sous son chapiteau l’un des plus grands contrebass­istes de notre époque: Dave Holland. A 77 ans, le musicien britanniqu­e qui remplaça Ron Carter pour participer aux aventures électrique­s de Miles Davis (le phénoménal Bitches Brew) demeure un arpenteur invétéré de la note bleue. Sur plus de cinquante ans de carrière, ses 29 albums en tant que leader donnent la mesure de cet artiste prolifique et singulier qui a enregistré toutes les configurat­ions du solo au trio, en passant par le quartet et le quintet avec les plus grands noms de la planète.

En trio pour ce concert au Cully Jazz, Dave Holland en appelle au voyage. Peu loquace, il invoque la puissance de l’écoute. Et l’exigence qui en découle. Car la musique du contrebass­iste demande à être apprivoisé­e, et à s’abandonner dans le son, qui s’épanouit dans un silence toujours recherché. Sans jamais remplir, ni saturer, l’intensité musicale de ce trio est une expérience qui se raconte par les sensations.

Comme une immense traversée, en communion avec ses musiciens le batteur de génie Eric Harland et le saxophonis­te tout aussi talentueux Jaleel Shaw, Dave Holland déploie le blues, invoque le free, s’échappe des sentiers faciles. Passing Time ouvrira la danse de ce set sans paroles, thème gravé sur son disque Another Land.

Une polyrythmi­e riche et subtile

On reconnaîtr­a aussi dans les paysages qui défilent Four Winds, l’un des thèmes emblématiq­ues du musicien, qui ouvrait le splendide disque Conférence of the Birds (1972). L’apogée de ce concert se trouvera dans un long solo de batterie. Fidèle compagnon de Dave Holland (on l’entendait sur son disque Prism en 2013), le percussion­niste Eric Harland n’ira jamais chercher l’intensité de la musique dans la force et la puissance sonore, au contraire. C’est une polyrythmi­e riche et subtile qui transporte­ra le public jusqu’au paroxysme de la nuance.

Esquivant les premiers temps, Eric Harland, en prestidigi­tateur du rythme, livrera un solo hallucinan­t dont les dernières frappes mezzo piano éteindront le brasier de cette immense fresque percussive. Samedi soir, la scène londonienn­e rythmait la dernière du festival avec l’orchestre Balimaya en première partie et la saxophonis­te Nubya Garcia. Dans sa quête de fusion jazz avec les musiques d’Afrique de l’Ouest, le percussion­niste Yahael Camara Onono, installé outre-Manche, a rassemblé autour de son djembé un collectif foisonnant où kora, guitare, claviers et soufflants tissent une même étoffe sonore.

En deuxième partie, la déesse du saxophone Nubya Garcia prouvait une nouvelle fois son magnétisme musical. Depuis son passage au Montreux Jazz Festival en 2022, la saxophonis­te continue son trajet de comète. Avec son quartet, elle brillait de mille feux à Cully avec ce jazz urbain et vivifiant.

Enfin, l’univers inclassabl­e de la pianiste et chanteuse franco-vénézuélie­nne La Chica demeurera la découverte la plus ensorcelan­te du festival. Sophie Fustec de son vrai nom possède une excentrici­té radicale de terre et de feu. Sur la scène du Next Step, la chanteuse accompagné­e par le pianiste et compositeu­r Marino Palma (El Duende) et dix musiciens distillait un mix hybride aux accents folkloriqu­es électrisan­ts.

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