Le Temps

Trump: procès pour l’Histoire et la galerie

Le procès historique contre l’ancien président a commencé hier à New York par la sélection des jurés, une gageure alors que l’accusé ne laisse personne indifféren­t dans un climat politique hyperpolar­isé

- SIMON PETITE X @simonpetit­e

Donald Trump a pris place ce lundi pour la première fois sur le banc des accusés du Tribunal de district de Manhattan. Jamais un ancien président n’avait subi un procès pénal, qui plus est en étant si bien placé pour remporter la présidenti­elle de novembre. Paradoxale­ment, le candidat sera jugé ces deux prochains mois pour l’affaire la moins grave des quatre pour lesquelles il est poursuivi. A New York, Donald Trump est accusé d’avoir dissimulé des paiements afin d’acheter le silence d’anciennes maîtresses. Les faits remontent à près de huit ans, quand Donald Trump était sur le point de conquérir une première fois la Maison-Blanche.

C’est le seul procès qui pourrait se tenir avant la présidenti­elle de novembre. Le procureur Alvin Bragg a été le premier à sortir du bois, en l’inculpant il y a plus d’une année. Dans un district faroucheme­nt démocrate, le juge Juan Merchan a résisté à la guérilla judiciaire des avocats de Donald Trump, qui ont réussi à repousser les autres procès, pourtant bien plus importants, pour que les électeurs puissent se prononcer en toute connaissan­ce de cause le 5 novembre prochain.

Il serait désolant que Donald Trump réponde uniquement de la falsificat­ion de documents comptables à New York et pas de l’attaque contre le Capitole et contre la démocratie américaine alors qu’il sollicite à nouveau le scrutin des Américains. L’ancien

Pouvoir, sexe, trahisons, coups de théâtre…

président risque de ne pas non plus devoir s’expliquer pour avoir sciemment gardé des cartons de documents secrets après son départ de la Maison-Blanche au mépris de la sécurité nationale des Etats-Unis.

En comparaiso­n, l’acte d’accusation de la justice new-yorkaise est tiré par les cheveux. La falsificat­ion de documents comptables est un délit mineur, mais le procureur Alvin Bragg argumente qu’elle a servi à cacher d’autres crimes, comme la manipulati­on de la présidenti­elle de 2016. Que la révélation de relations extraconju­gales puisse influencer le scrutin, alors que le candidat s’était vanté de pouvoir impunément «attraper les femmes par la chatte», est contestabl­e.

Pouvoir, sexe, trahisons, coups de théâtre… Etant donné le prévenu incontrôla­ble, ce procès a tous les ingrédient­s d’un spectacle dont les Etats-Unis ont le secret, mais sa valeur pédagogiqu­e sera limitée. Que Donald Trump ne soit pas un modèle de vertu et soit un menteur en série n’est pas une découverte. S’il est lourdement condamné, le pire des scénarios pour lui, il fera appel et évitera la prison dans l’immédiat. Même si les audiences ne seront pas télévisées, on peut compter sur l’accusé pour surjouer le rôle de la victime d’un acharnemen­t judiciaire, une posture qu’il a pour l’instant parfaiteme­nt réussi à faire fructifier politiquem­ent. New York, qui déteste passionném­ent son enfant terrible, lui offre une scène de choix à un peu plus de six mois de la présidenti­elle.

«Comment vous informez-vous?», «Suivez-vous Donald Trump sur les réseaux sociaux ou l’avez-vous fait par le passé?», «A l’opposé, êtes-vous abonné à des newsletter­s d’organisati­ons antiTrump?» Voici quelques-unes des 42 questions qui seront posées aux jurés potentiels dans le procès historique contre Donald Trump qui s’est ouvert lundi au Tribunal du district de Manhattan. Le choix du jury s’annonce ardu et pourrait durer une, voire deux semaines. Les jurés choisis devront être impartiaux, si c’est possible, tant l’accusé ne laisse personne indifféren­t dans un climat politique hyperpolar­isé.

«C’est une persécutio­n politique et une attaque contre l’Amérique» DONALD TRUMP

Bastion démocrate

Quelque 500 citoyens de Manhattan sélectionn­és par un tirage au sort ont été convoqués ce lundi. Ils devront répondre à cet interrogat­oire devant le juge Juan Merchan, l’accusation et Donald Trump luimême, ainsi que ses avocats. «Pouvez-vous garantir que vous mettrez de côté tout ce que vous avez entendu sur ce cas?» Les futurs jurés devront, en outre, promettre de ne pas «discuter de ce procès, ni de lire des comptes rendus dans les médias durant la durée du procès». Autant dire entrer en ermitage jusqu’à la fin du mois de mai, quand le verdict tombera.

«Avez-vous déjà lu les livres ou écouté les podcasts de Michael Cohen?» L’avocat déchu de Donald Trump s’est retourné contre son ancien patron et multiplie les apparition­s médiatique­s, l’accusant d’avoir maquillé en frais légaux plusieurs paiements pour faire taire de supposées anciennes maîtresses. La crédibilit­é de ce témoin clé a été l’objet de premières escarmouch­es au premier jour du procès. L’ancien président est accusé d’avoir falsifié des documents comptables et il risque théoriquem­ent la prison pour cette vieille affaire qui s’est nouée durant sa campagne victorieus­e pour accéder à la Maison-Blanche en 2016.

Les futurs jurés devront aussi décliner leur situation profession­nelle, leurs hobbys, mais pas leur affiliatio­n politique. Lors de la présidenti­elle de 2020, Manhattan avait voté à 86,7% pour Joe Biden. Les avocats de Donald Trump ont réclamé en vain que le procès soit délocalisé. Dans une lettre aux avocats de Donald Trump le 8 avril dernier, le juge Juan Merchan a précisé que le but «n’était pas de déterminer si tel ou tel juré aime ou non l’une des parties […] mais s’il peut mettre de côté ses sentiments et ses préjugés pour rendre une décision basée sur les preuves et le droit.»

Une étape cruciale

Un procès peut se gagner ou se perdre dès la constituti­on d’un jury. Lequel déterminer­a si Donald Trump est coupable, «au-delà d’un doute raisonnabl­e». L’unanimité du jury sera nécessaire pour établir la culpabilit­é du prévenu, ou au contraire l’acquitter. Il reviendra ensuite au juge Juan Merchan de déterminer la peine qui serait infligée à Donald Trump. Dans ce bastion démocrate, il est probable que la plupart des jurés soient de ce bord politique. Mais les avocats du candidat espèrent que l’un ou l’autre sympathisa­nt républicai­n parviendra à se frayer un chemin dans ce panel de 12 citoyens.

Dans un premier temps, les jurés sélectionn­és pourront se récuser d’eux-mêmes, s’ils estiment ne pas répondre aux conditions d’impartiali­té. Le juge Juan Merchan pourra ensuite lui aussi renvoyer à la maison certains jurés pour les mêmes raisons. Finalement, l’accusation et la défense auront le droit d’en écarter chacun dix. «Les hommes blancs sont supposés plus favorables à Donald Trump, illustre Tamara Lave, professeur­e de droit à l’Université de Miami. Mais les parties ne pourront pas user de discrimina­tions de genre ou de race pour écarter des jurés».

Particular­ité de ce procès, qui ne sera pas télévisé, l’anonymat des jurés sera protégé, a décidé le juge Juan Merchan, afin qu’ils ne fassent pas l’objet de menaces. Donald Trump a déjà été averti pour avoir intimidé des témoins et s’en être pris à la famille du magistrat. Avant d’entrer dans la salle d’audience, Donald Trump a déclaré aux médias qu’il «était fier d’être là pour se défendre contre «une persécutio­n politique» et une «attaque contre l’Amérique». Durant cette première audience, il s’est ensuite brièvement endormi, selon le New York Times présent dans la salle. Selon les correspond­ants sur place, il s’est aussi levé quand ses avocats discutaien­t avec le juge, montrant qu’il voulait être impliqué dans sa défense, à commencer par examiner de près les jurés.

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