Habitué de la transgression, le président croate bouscule les élections
Zoran Milanovic est une sorte de Donald Trump balkanique qui multiplie les provocations. Il défiera ce mercredi le premier ministre conservateur Plenkovic lors des législatives anticipées
C’est devenu un habitué de la «transgression», verbale, politique et même constitutionnelle. Président de la République depuis 2020, Zoran Milanovic a pris, de facto, la direction de la campagne de l’opposition pour les législatives anticipées de ce 17 avril. Ce, malgré la ferme mise en garde du Conseil constitutionnel: le chef de l’Etat ne peut pas se porter candidat ni même faire campagne pour une liste, au risque d’entraîner l’annulation du scrutin.
Zoran Milanovic, qui a rétorqué que les Sages n’étaient que des «paysans illettrés», ne sera pas lui-même candidat. Par contre, si la coalition menée par son Parti social-démocrate (SDP), pompeusement intitulée «Les rivières de la justice», arrive en tête du scrutin, il démissionnera de la magistrature suprême pour former le gouvernement. On ignore comment il entend réaliser ce tour de passe-passe: c’est normalement le président de la République qui remet la charge de former le gouvernement au candidat investi par la majorité parlementaire…
Crimes de guerre niés
Zoran Milanovic a déjà été premier ministre de 2011 à 2016. A l’époque, ce diplomate de carrière, né en 1966, faisait figure de social-démocrate bon teint, modéré et pro-européen: c’est sous son mandat que la Croatie a rejoint l’Union européenne (UE) le 1er juillet 2013. La vie politique croate était alors structurée autour de deux grands partis, le SDP au centre gauche et, au centre droit, l’Union démocratique croate (HDZ) la formation du «père de l’indépendance» Franjo Tudjman ayant été «recentrée» par le premier ministre Ivo Sanader, qui avait rompu avec le nationalisme avant d’être emporté par un scandale de corruption…
L’adhésion à l’UE semble avoir eu des effets délétères sur la vie politique de son plus jeune Etat membre. Le HDZ est revenu à ses obsessions nationalistes, même si l’actuel premier ministre, Andrej Plenkovic, essaie de tenir la barre pas trop éloignée des caps fixés par le Parti populaire européen (PPE). Laminé lors de plusieurs scrutins successifs, concurrencé par l’émergence de mouvements de gauche plus radicaux, le SDP avait vécu comme une «divine surprise» l’élection de Zoran Milanovic à la présidence, le 5 janvier 2020, la sortante HDZ ayant subi la concurrence d’un candidat d’extrême droite et souffert d’un mauvais report de voix entre les deux tours.
L’arrivée de Zoran Milanovic au palais de Pantovcak, le siège de la présidence construit pour le maréchal Tito sur les hauteurs de Zagreb, semble avoir transformé l’homme. Il s’est mis à courtiser les associations d’anciens combattants de la «guerre patriotique» des années 1990, réservoir électoral de la droite. Distribuant des médailles à toutes les cérémonies en l’honneur du HVO, les milices croates de Bosnie-Herzégovine de sinistre réputation, il s’est même attaqué à la justice internationale, estimant que «tous ceux qui ont été condamnés à La Haye ne sont pas forcément des criminels de guerre», ou encore que «la Croatie a dû lutter des années après sa libération avec le fantôme du Tribunal de La Haye, notre peuple a dû se défendre, y compris contre des actes d’accusation fabriqués de toutes pièces».
Zoran Milanovic a multiplié les provocations à l’égard de la Serbie, tout en cultivant l’amitié de Milorad Dodik, le dirigeant sécessionniste serbe de Bosnie-Herzégovine. Il a repris à son compte les arguments des nationalistes, tant serbes que croates, de ce pays, insultant le haut représentant international et les dirigeants bosniaques, qualifiant même parfois la Bosnie-Herzégovine de «pseudo-Etat à trois entités». En fait, Zoran Milanovic semble avoir systématiquement cherché à prendre le contrepied des positions de la gauche croate, attachée à la tradition de l’antifascisme comme aux droits des femmes et des minorités nationales et sexuelles. Ainsi, lors des célébrations de la Journée de la lutte antifasciste en 2021 à Split, il expliquait: «Je suis venu ici pour mon grand-père et son frère, et ma grand-mère et ses frères, qui ne sont pas allés à la guerre en tant qu’antifascistes, car ils ne savaient même pas ce que cela voulait dire.»
«Caniches» et «pandas»
Il a profité des dernières commémorations de la libération du camp de concentration de Jasenovac, où les Oustachis, les collaborateurs croates des nazis, massacrèrent Serbes et Tziganes. Zoran Milanovic y a qualifié Milorad Pupovac et Veljko Kajtazi, respectivement présidents des Conseils nationaux des minorités serbes et roms en Croatie, de «rois des voleurs de bazar», «d’usuriers manipulés et amoraux», de «caniches» et de «pandas mieux protégés que ceux du zoo de New York». En janvier 2024, il annonçait qu’un ministre du gouvernement Plenkovic était gay, «et même pas dans le placard».
Au lendemain de l’avis du Conseil constitutionnel sur sa candidature, le président (non) candidat a indiqué ses priorités politiques. La Croatie doit, dit-il, observer la plus stricte neutralité à propos de la guerre en Ukraine, ne «plus compter sur les fonds européens», mais chercher d’autres partenaires stratégiques et protéger ses frontières «pour lesquelles tant de sang a été versé» et qui seraient menacées par l’arrivée de migrants…
Avec un tel programme, il reprend les thématiques de l’extrême droite, dont les deux principales formations, MOST et le Mouvement patriotique (DP), semblent assurées de pénétrer en force au parlement, taillant des croupières au HDZ. Les sondages placent cependant toujours en tête la formation conservatrice du premier ministre Plenkovic, talonnée par la coalition menée par Zoran Milanovic. Viennent ensuite l’extrême droite et le mouvement de gauche écologiste Mozemo, qui espère bien récupérer les électeurs sociaux-démocrates effrayés par la nouvelle ligne du SDP. L’expérience des derniers scrutins montre cependant que ces sondages sont étonnamment imprécis. Et surtout, toutes les combinaisons post-électorales sont possibles…
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