Et si la Suisse découvrait le sens du rythme?
Les plateformes de streaming musicales fonctionnent grâce à des algorithmes nourris par l’histoire de la musique avec un grand H. A cette échelle, les femmes sont quasi absentes des archives. Les algorithmes en déduisent que le sexe masculin est un gage de qualité et proposent en priorité des musiques composées ou jouées par des hommes. Aviezvous remarqué que statistiquement, vous deviez attendre le 8e résultat pour obtenir une musique au féminin? Plus une musique est proposée, plus elle est écoutée et plus elle est écoutée plus elle est reproposée. Puisque les artistes sont payés en fonction du nombre d’écoutes et engagés en fonction de leur popularité, ce principe a un impact direct sur leur rémunération et leur employabilité. Sans le vouloir, les plateformes de streaming musicales amplifient les inégalités de genre et mettent en danger un droit fondamental durement acquis.
La Suisse toute seule ne peut pas changer cette situation mais cet exemple montre bien qu’il faut agir. Et vite, si l’on en croit la vitesse à laquelle les choses évoluent. Car la révolution numérique s’accélère et a un impact de plus en plus grand sur nos vies. Elle a des répercussions sur à peu près tout: le marché de l’emploi, le marché des entreprises, la cohésion sociale, le fonctionnement démocratique, la protection de la vie privée, la sécurité, l’environnement, les principes d’égalité et j’en passe. Le numérique englobe les réseaux sociaux, l’économie de partage ou encore l’intelligence artificielle (IA).
Or en refusant de faire les investissements nécessaires, la Suisse a délégué le développement de l’IA aux Etats-Unis et à la Chine. Et en adoptant une posture
Notre pays a donc tout pour imposer une direction à la régulation de l’IA qui soit conforme à ses valeurs
attentiste, la Suisse a délégué la régulation de l’IA à l’Union européenne. Selon l’ONU, la Suisse occupe depuis treize ans la première place du classement des pays les plus innovants. Quand on lit ça, on se sent fort et fier. Mais notre comportement vis-à-vis de l’IA est-il à la hauteur de cette distinction? J’en doute.
Après avoir manqué plusieurs opportunités, il reste deux axes où notre pays peut se démarquer: d’une part, la régulation d’une IA garante des droits fondamentaux et démocratiques, et d’autre part, la promotion du développement sur son territoire d’intelligences artificielles au service du bien commun.
La Suisse est un pays neutre avec une tradition humaniste et démocratique extrêmement forte. La Suisse dispose aussi d’un pôle de gouvernance numérique majeur avec la Genève internationale. Notre pays a donc tout pour imposer une direction à la régulation de l’IA qui soit conforme à ses valeurs. Pour cela, elle doit cependant se positionner et surtout… montrer l’exemple.
Les entreprises se doivent d’explorer les nouvelles opportunités offertes par l’IA, ne serait-ce que pour survivre. Globalement, elles ont envie de bien faire. C’est tout à leur honneur, d’autant qu’elles sont totalement livrées à ellesmêmes. Pourquoi l’Etat ne les aide-t-il pas à opérer une transition numérique éthique et respectueuse des droits fondamentaux? Parce que ces derniers sont de toute façon garantis? Quand on voit les scandales concernant les droits de la personnalité sur les réseaux sociaux ou les résultats sidérants des biais algorithmiques sur les principes d’égalité… on peut en douter.
Le parlement a demandé à plusieurs reprises au Conseil fédéral de présenter sa stratégie de gestion des enjeux liés à l’accélération de la révolution numérique. Le Conseil fédéral répond inlassablement qu’il faut attendre. A-t-il conscience qu’arriver sur le quai de la gare après le départ du train permet rarement d’arriver à l’heure?
Quid de la mise en place de projets d’impulsion pour une révolution numérique respectueuse des droits fondamentaux et démocratiques? Quid de l’élaboration d’une régulation respectueuse de nos valeurs? Quid de la création d’une autorité transversale de régulation? Quid de la création d’un office du numérique?
Jouer une partition au mauvais tempo aboutit toujours au fiasco. Alors, à quand la prise de conscience salutaire? ■