Le Temps

«C’était notre argent, on pouvait en faire ce qu’on voulait»

- SÉBASTIEN RUCHE, BELLINZONE X @sebruche

A nouveau interrogé hier au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, le principal prévenu dans le volet suisse de cette affaire a expliqué ne pas s’être posé de questions lorsqu’il a reçu quelque 150 millions de la part d’un compte contrôlé par le cerveau présumé du vol

C’est hier en fin de matinée qu’a été abordé un élément déconcerta­nt dans le volet suisse de l’affaire 1MDB, qui occupe actuelleme­nt le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Pour rappel, deux anciens cadres de la société pétrolière saudi-genevoise PetroSaudi sont soupçonnés d’avoir participé au détourneme­nt de 1,8 milliard de dollars au détriment du fonds souverain malaisien à partir de 2009. Accusés d’escroqueri­e, de gestion déloyale et de blanchimen­t, les deux hommes sont présumés innocents. La grande question qui demeurait en ce début de troisième semaine d’audience était: pourquoi cet argent est-il allé de la Malaisie vers l’Arabie saoudite, alors que Kuala Lumpur cherchait un soutien financier de la part de Riyad?

La semaine passée, le fondateur de PetroSaudi Tarek Obaid avait expliqué qu’à l’époque, la Malaisie souhaitait ardemment se rapprocher du royaume wahhabite. Qu’il s’agissait d’une volonté très claire du premier ministre malaisien Najib Razak (condamné par la suite à 12 ans de prison pour corruption dans ce dossier, une peine ramenée à 6 ans en février). Et que «l’Arabie saoudite n’avait pas besoin de financemen­t de la part de la Malaisie». Alors pourquoi le fonds souverain malaisien 1MDB a-t-il injecté des fonds?», lui a demandé la procureure fédérale Alice de Chambrier.

Après avoir eu du mal à comprendre la question, le quadragéna­ire de nationalit­é saoudienne et suisse a répondu que «la Malaisie n’est pas la seule à avoir injecté des fonds». Avant de connaître 1MDB, PetroSaudi avait été actif depuis sept ans et avait investi des montants importants dans différents actifs, dont un champ pétrolier gigantesqu­e au Turkménist­an, a détaillé l’homme d’affaires, costume gris, cravate bleu ciel et bracelet électroniq­ue à la cheville droite.

Ce fameux champ pétrolier, Serdar 3, devait être apporté par PetroSaudi dans la coentrepri­se lancée avec 1MDB à l’automne 2009. Détenant une option sur ce gisement potentiel, PetroSaudi comptait en devenir propriétai­re en aidant au règlement d’un conflit territoria­l entre le Turkménist­an et l’Azerbaïdja­n à son sujet. Grâce à la puissance de l’Arabie saoudite, dont PetroSaudi était une entité privée, selon Tarek Obaid, qui s’est lui-même dit chargé à l’époque de missions dont il ne veut pas parler aujourd’hui, pour des raisons de sécurité.

Son avocate, Alexandra Simonetti, a d’ailleurs à nouveau montré des photos où on le voit parmi les invités d’honneur d’un événement de la famille royale saoudienne ou en compagnie du prince Charles lors d’une réception à Riyad. Un moyen d’attester de la proximité de Tarek Obaid avec le pouvoir saoudien, ce dont doutent le Ministère public et le lanceur d’alerte dans cette affaire, Xavier Justo.

Mais cette dispute entre pays n’a pas été réglée, PetroSaudi n’a pas pris le contrôle de Serdar 3 et n’a pas pu l’apporter dans sa coentrepri­se avec 1MDB. Cette structure a été fermée et transformé­e en prêt de la part de 1MDB, «de manière à conserver la relation», a encore résumé le prévenu. Une relation qui a débouché sur des versements malaisiens supplément­aires de 500 et 330 millions de dollars, en plus du milliard initialeme­nt apporté par 1MDB.

Et qu’en a retiré le fonds souverain, en échange?, a demandé le juge Jean-Luc Bacher. «Des sommes substantie­lles, à travers diverses transactio­ns, après lesquelles nous ne devons plus rien à 1MDB», a rétorqué Tarek Obaid, souvent très vif. Précisant que les Malaisiens étaient «très contents» et rappelant qu’il n’est pas autorisé à parler de ces opérations.

Mais comment expliquez-vous que les autorités malaisienn­es, américaine­s ou suisses, qui ont enquêté sur cette affaire, n’aient pas retrouvé trace de ces «multiples transactio­ns», a demandé Guillaume Tattevin, l’un des avocats de 1MDB, plaignant dans ce procès? «Ces opérations sont restées visibles, vous devriez demander des clarificat­ions à votre client 1MDB», a rétorqué Tarek Obaid. Mais aucun employé de PetroSaudi ne se souvient de ces transactio­ns, a relancé l’avocat genevois. Réponse: «Car certaines transactio­ns étaient en dehors de ce qu’ils devaient voir». «Vous les avez réalisées seul, ces transactio­ns?»: dans des échanges devenant plus tendus, la question suivante est restée sans réponse, l’avocat d’Obaid, Daniel Zappelli, relevant que les ex-employés n’avaient pas été interrogés sur ces opérations.

Echanges musclés

«Si le pouvoir saoudien souhaitait procéder de cette façon, ainsi soit-il» TAREK OBAID, FONDATEUR DE PETROSAUDI

Les échanges sont restés musclés lorsque ont été abordés les multiples virements effectués vers ou en provenance d’un compte zurichois contrôlé par Jho Low, conseiller du premier ministre malaisien et cerveau présumé de toute cette affaire, qui aura coûté 4,5 milliards à la Malaisie. «A l’époque, nous ignorions que Jho Low contrôlait ce compte. On m’avait donné instructio­n d’envoyer les fonds là-bas, c’est tout», a répondu le prévenu.

«Mais ce compte vous a aussi viré près de 150 millions en plusieurs transactio­ns sur quelques mois, pour quelles raisons?», a encore demandé Guillaume Tattevin. «C’était notre argent, on pouvait en faire ce qu’on voulait», a expliqué Tarek Obaid, disant ne pas se souvenir de chaque paiement individuel et avoir eu l’habitude de telles opérations en Arabie saoudite. «Vous avez donc reçu 150 millions de ce compte sans vous demander pourquoi?», a conclu l’avocat. Réponse: «Non, car c’était notre argent. Si le pouvoir saoudien souhaitait procéder de cette façon, ainsi soit-il.» Le procès doit se poursuivre jusqu’à la fin du mois. ■

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