Attaque sur Israël: comment Moscou inspire Téhéran
La Russie s’est bien gardée de condamner les tirs contre l’Etat hébreu par l’Iran, devenu son principal allié militaire en Ukraine. En retour, l’armée de la République islamique semble avoir bénéficié de l’expérience russe en matière de frappes aériennes
Non, le Kremlin ne condamnera pas l’attaque iranienne contre Israël. Dimanche 14 avril, l’ambassadrice israélienne à Moscou, Simona Galperin, avait pourtant tendu la perche. «Nous attendons de nos collègues russes qu’ils condamnent l’attaque iranienne sans précédent contre le territoire israélien», a déclaré la diplomate au matin. Elle n’a pas attendu longtemps pour se faire violemment rappeler à l’ordre par Maria Zakharova, la porte-parole de la diplomatie russe qui, elle aussi, est réputée pour ne pas avoir sa langue dans la poche. «Simona, rappelez-moi quand Israël a condamné ne serait-ce qu’une seule frappe du régime de Kiev contre des régions russes? Vous ne vous en souvenez pas? Moi non plus. Mais je me souviens de déclarations régulières de responsables israéliens soutenant les actions criminelles et terroristes de la rue Bankova», lui a-t-elle rétorqué, faisant référence à l’adresse de la présidence à Kiev.
Avant cet échange d’amabilités, le Ministère des affaires étrangères avait publié un communiqué qui rappelait surtout le «droit à l’autodéfense» des Iraniens après la frappe contre leur consulat à Damas, le 1er avril dernier. Cette attaque-là, avait été «vigoureusement condamnée» par la Russie, souligne le texte. Plus tard dans la matinée, le Ministère russe a révélé que Sergueï Lavrov et son homologue iranien Hossein Amir Abdollahian se sont parlé au téléphone – une occasion d’exposer une fois de plus la position de Téhéran.
Une position que, cette fois-ci, Moscou semble faire totalement sienne. Dès le lendemain de l’attaque, sur les écrans de télévision, propagandistes et présentateurs se sont empressés de rappeler combien la Russie sortait renforcée de cet épisode, a raillé la faiblesse américaine et même loué «l’action ferme mais mesurée» du régime iranien. La frappe israélienne du 1er avril causant la mort de sept officiels iraniens en Syrie, un pays dans lequel la Russie est très impliquée militairement aux côtés du régime de Bachar el-Assad, était visiblement ressentie comme un camouflet par les va-ten-guerre de Moscou.
«Ligne rouge», «goutte de trop», lit-on sur l’influente chaîne Telegram Rybar, dirigée par un certain Mikhaïl Zvintchouk, un arabisant souvent présenté comme un ancien agent du GRU (les services spéciaux de l’armée russe). Quant à l’attaque elle-même, les analystes de Rybar ont plutôt tendance à minimiser son impact, la qualifiant de «symbolique». Voire le fruit d’un «deal» plus ou moins tacite des principaux acteurs – pour que l’Iran puisse «sauver la face» sans provoquer une «troisième guerre mondiale». «Pour nous, c’était surtout une excellente occasion de juger de l’efficacité des armes iraniennes», poursuit Rybar, qui rappelle combien l’armée russe compte sur les drones et autres missiles de moyenne portée fournis par Téhéran pour sa guerre en Ukraine.
Vagues successives de drones
Un bénéfice visiblement réciproque. Selon d’autres experts, l’attaque mise au point par Téhéran s’inspire directement de la stratégie des «frappes combinées» de la Russie en Ukraine, au point que certains se sont demandé si les Iraniens n’avaient pas fait appel à des conseillers militaires russes. Ces frappes «particulièrement pernicieuses», selon l’expression du colonel Youri Ignat, ancien porte-parole de l’armée de l’air ukrainienne, sont destinées à faire un maximum de dégâts. «La tactique est désormais connue: saturer la DCA avec des vagues de drones et programmer le lancement de missiles de manière que le système soit surchargé au moment où ils s’approchent de leur cible. Ou bien envoyer en même temps les missiles et les drones de la vague suivante, ce qui complique de nouveau la tâche de la défense aérienne», décrypte sur sa chaîne Telegram l’expert russo-israélien Sergueï Auslander. Ce dernier loue l’efficacité de la DCA israélienne et l’aide de ces alliés américains mais aussi régionaux – sans lesquels le bilan de cette frappe aurait pu être autrement plus lourd, dit-il.
La stratégie des vagues successives de drones permet aussi d’effectuer ce que les experts russes appellent «une reconnaissance par l’attaque du champ de bataille». Elle oblige les systèmes de DCA ennemis à entrer en action, révélant ainsi ses positions. C’est exactement ce que fait l’armée russe avec ses drones (iraniens) pour tenter de localiser et tenter de détruire les batteries Patriot en Ukraine. «Grâce à cette attaque, l’Iran a certainement aussi pu se faire une idée du fonctionnement des défenses aériennes dans toute la région, et pas seulement de celui du Dôme de fer israélien», estime ainsi Sasha Kots, le correspondant du quotidien Komsomolskaïa Pravda, proche du Kremlin. «Sur la base de ces connaissances, de nouvelles attaques plus efficaces peuvent être planifiées», poursuit-il.
Enfin, l’emploi des drones Shahed, très peu chers (autour de 20 000 dollars pièce) et faciles à fabriquer, s’avère une excellente opération d’un point de vue financier. Car l’adversaire est obligé de «dépenser» des munitions autrement plus coûteuses pour les neutraliser: missiles anti-missiles tirés par des batteries mobiles ou des avions de chasse. Le coût de la défense israélienne, pour la nuit de samedi à dimanche, s’élèverait à «4-5 milliards de shekels» (1 à 1,3 milliard de dollars), selon un général israélien, auquel s’ajouterait le prix des missiles tirés par les forces américaines. «Autant d’argent de moins qui ira à Kiev», se frotte les mains le politologue pro-Kremlin Sergueï Markov. Et de demander, sarcastique: «La Russie peut-elle aider d’une façon ou d’une autre l’Iran et Israël à continuer à vider le budget militaire américain?» ■