A Berne, la droite veut reconquérir le Grütli
Le Conseil national a accepté lundi une motion de l’UDC Thomas Aeschi attaquant frontalement la Société suisse d’utilité publique, qui gère le très symbolique terrain. En cause: la gestion des festivités du 1er Août
Attention, sujet sensible. Le Grütli, prairie originelle de la belle Helvétie, théâtre de la légende du serment de 1291, fait l’objet d’une âpre bataille politique. L’année dernière déjà, la Société suisse d’utilité publique (SSUP) qui administre le célèbre carré de terre dénonçait une «tentative de putsch» après que son président Nicola Forster a essuyé de sévères critiques à l’interne et dans la presse alémanique.
Aujourd’hui, la menace se concrétise: la droite estime être sous-représentée lors des prises de parole qui ponctuent chaque année la Fête nationale et veut lui retirer ses prérogatives. Lundi, le Conseil national a accepté une motion du chef du groupe parlementaire UDC Thomas Aeschi qui souhaite qu’à la fin de l’année la Confédération mette un terme au contrat qui la lie à la SSUP.
Le but? Que la Confédération gère elle-même le Grütli et, surtout, prenne en main les sacrosaintes festivités du 1er Août. La motion a été acceptée par 98 voix contre 84 et quatre abstentions. «Un petit coup de tonnerre en ce début de séance spéciale», commente la Neue Zürcher Zeitung, et une claque pour la SSUP qui s’occupe de la prairie du Grütli depuis juillet 1860 – date à laquelle elle a fait don du terrain à la Confédération sous réserve que la gestion lui soit confiée.
Face à face dans ce duel interposé, deux hommes. Thomas Aeschi, le conseiller national zougois UDC, et Nicola Forster, président de la SSUP sur le départ, cofondateur du laboratoire d’idées Foraus et coprésident des vert’libéraux zurichois. Le premier reproche au second d’avoir donné «un virage de plus en plus progressiste à gauche» à l’association, dotée d’un budget annuel de près de 6 millions de francs, et de manquer de diversité dans le choix des intervenants du 1er Août.
Dans son intervention à la tribune lundi 15 avril et après avoir cité un passage de Guillaume Tell, Thomas Aeschi a listé les invités de marque passés par le «Rütli» – comme le nomment les Alémaniques – lors de la Fête nationale, depuis 2015: Simonetta Sommaruga, Carla Del Ponte, Eveline Widmer-Schlumpf, Alain Berset, Viola Amherd et Elisabeth Baume-Schneider.
Une ardeur qu’a quelque peu tempérée la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Tout en soulignant que «le Grütli appartient à tout le monde», la Saint-Galloise a dit avoir été invitée cette année en tant que première oratrice, précisant que, étant déjà engagée ailleurs, elle ne pourra pas y donner suite. Si elle propose d’en discuter directement avec la SSUP «autour d’un café», elle estime observer «un certain renversement de tendance» en matière de diversité d’opinion.
Ras-le-bol collectif
La conseillère fédérale a par ailleurs rappelé que peu importe le soutien obtenu, la motion ne pourra techniquement pas atteindre son objectif puisque, même en mettant un terme au contrat qui lie la SSUP et la Confédération, l’autorité administrative du Grütli resterait, juridiquement, entre les mains de l’association, vieille de plus de deux siècles. Karin Keller-Sutter a ainsi enjoint aux parlementaires de rejeter le texte.
Une question subsiste: qui prendra la parole cette année pour la Fête nationale?
Seulement, son propre camp PLR, comme une partie du Centre, a fait fi de la remarque. «Les réserves sur la manière dont Forster dirige la SSUP semblent s’étendre bien au-delà de l’UDC», commente notamment la NZZ, pour qui le devenir de la motion dépendra de l’identité du successeur de Nicola Forster, lequel quittera ses fonctions en milieu d’année.
Plus qu’un clivage gauchedroite, Le Temps pointait en 2023 dans un éditorial un «conflit entre libéraux réformistes et conservateurs» dans la tempête que traverse la SSUP. Aujourd’hui subsiste cette question, devenue une affaire d’Etat: qui prendra la parole cette année pour la Fête nationale? ■