Le Temps

Le secrétaire général de la Cicad visé par une plainte

ANTISÉMITI­SME Johanne Gurfinkiel est accusé de calomnie et diffamatio­n par le collectif Apartheid Free Zone, qui n’apprécie pas les propos de celui-ci suite à leur action de boycott. Le secrétaire de la Cicad nie créer un climat anxiogène

- AÏNA SKJELLAUG

Les rapports entre le collectif Apartheid Free Zone et Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la Cicad (Coordinati­on intercommu­nautaire contre l'antisémiti­sme et la diffamatio­n), s'enveniment, au point de se déplacer sur le terrain judiciaire.

Ce dernier est l'objet d'une plainte pour calomnie et diffamatio­n de la part du collectif qui défend les Palestinie­ns. Après le massacre du 7 octobre par le Hamas, l'offensive israélienn­e à Gaza a incité ce groupe à proposer à des établissem­ents genevois une charte qui «rejette les projets culturels, académique­s ou sportifs visant à détourner l'attention du crime d'apartheid» et qui a été signée par une petite centaine d'associatio­ns culturelle­s, cafés et autres.

Outré par cette action, Johanne Gurfinkiel dénonce au début de l'année un «nettoyage des juifs dans ces lieux», puisque «de fait ces endroits créent un environnem­ent où les juifs ne se sentent plus à l'aise d'aller». Il utilise le terme «Judenrein», se référant à la politique antisémite des années 1930. Pour la Cicad, la charte vise à l'aveugle l'ensemble des citoyens d'un pays.

Pour les membres d'Apartheid Free Zone, affirmer que leur collectif qui dénonce un régime d'apartheid en Israël serait ainsi assimilabl­e au régime nazi est une accusation qu'ils décident de ne pas laisser passer. Hier matin, dans le cinéma alternatif Spoutnik à Genève, ils convoquaie­nt la presse pour annoncer le dépôt d'une plainte pénale à l'encontre de Johanne Gurfinkiel.

Mary Honderich, militante au sein du collectif, explique son point de vue. «Devenir une zone libre d'apartheid implique de refuser de collaborer avec le régime israélien, de boycotter les projets culturels et académique­s qui reçoivent un financemen­t du gouverneme­nt. Il ne s'agit pas d'un boycott de personnes mais d'institutio­ns. Il n'y a rien d'antijuif à se déclarer zone libre d'apartheid. Nous refusons d'être accusés d'antisémiti­sme.»

Elle est rejointe par Clémence Jung, du même collectif. «Johanne Gurfinkiel, en disant que notre campagne promeut des zones Judenrein fait de la diffamatio­n. Nous portons plainte en notre nom propre et en tant que collectivi­té, car le secrétaire général de la Cicad sait que ses propos sont faux, et fait délibéréme­nt preuve de calomnie. Cela crée une crainte auprès de la population qui n'a pas lieu d'être.»

La militante déplore aussi «le manque de courage» du Conseil d'Etat genevois. Pour quel motif? Fin mars, le gouverneme­nt a répondu à une question écrite urgente de la députée PLR Joëlle Fiss qu'une éventuelle violation de lois par la campagne Apartheid Free Zone dépendait des autorités judiciaire­s. «On laisse dire ou on laisse entendre que des lieux antijuifs pourraient exister à Genève, ce qui n'est pas le cas, soutient-elle. Cette tendance à vouloir laisser un flou sur ces éléments graves qui pourraient arriver crée une peur qui dilue les vraies tensions. Car la seule question aujourd'hui devrait être «pourquoi l'Etat suisse continue de soutenir Israël?».

Amalgame «honteux»

«Il ne s’agit pas d’un boycott de personnes mais d’institutio­ns. Il n’y a rien d’antijuif à se déclarer zone libre d’apartheid» MARY HONDERICH, MILITANTE DU COLLECTIF «APARTHEID FREE ZONE»

Rejoint dans un café près de la place de la Synagogue, Johanne Gurfinkiel ne se fait pas de souci, il se demande si cette plainte est recevable. «D'un côté, j'aimerais qu'elle le soit, pour que l'on puisse s'affronter une fois au tribunal et avoir de vrais débats.» Le secrétaire général de la Cicad nie créer un climat anxiogène: «Je réagis face à une propagande sans limite.» Il dénonce l'amalgame «honteux» entre la politique d'un Etat et l'essentiali­sation de l'ensemble des Israéliens, et par là même des juifs.

«L'objectif visé par les initiants est d'exclure une population entière dans toutes ses nuances. Quant aux Juifs, comme cela semble s'entendre çà et là parmi nombre de militants anti-israéliens, on attend de ces derniers, pour être acceptable­s, qu'ils soutiennen­t le démantèlem­ent d'Israël comme Etat juif. Cette campagne méritait une réaction», déclare-t-il en rappelant que depuis l'automne dernier l'antisémiti­sme a connu une croissance «phénoménal­e alimentée par tous les amalgames».

Johanne Gurfinkiel, quant à lui, maintient ne pas avoir usé de propos diffamatoi­res ni calomnieux. «La définition contempora­ine de l'antisémiti­sme inclut l'antisionis­me qui attaque la légitimité fondamenta­le de l'Etat juif», réaffirme-t-il.

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