Le Temps

Au Godo, en attendant Nadal

Pour son retour à la compétitio­n après trois mois d’absence et des doutes sérieux sur sa capacité à poursuivre sa carrière, l’Espagnol a facilement battu hier l’Italien Flavio Cobolli (6-2 6-3) chez lui à Barcelone. Récit d’une journée particuliè­re

- LAURENT FAVRE, BARCELONE X @LaurentFav­re

Quel tournoi de niveau ATP 500 (la catégorie des Swiss Indoors de Bâle) pourrait encaisser sans broncher le forfait de dernière minute de son meilleur joueur national et double tenant du titre, Carlos Alcaraz, et se désintéres­ser assez largement de la présence de trois Top 10 mondial (Casper Ruud, Stefanos Tsitsipas, Andrey Rublev)? A la vérité: à peu près tous s’ils avaient en échange le privilège d’être le cadre du retour de Rafael Nadal.

A Barcelone, l’évènement se leste d’une charge symbolique: le 14 fois vainqueur de Roland-Garros est un trésor national, mais aussi et surtout un Catalan, enfant de la voisine Majorque. C’est ici, à 16 ans, qu’il a disputé son troisième tournoi profession­nel en 2003, ici qu’il a remporté son cinquième titre en 2005. Il a soulevé 12 fois le Trofeo Conde de Godo – les Espagnols disent el Godo – et le court central a été rebaptisé «pista Rafael Nadal» en 2017.

Un service bien timide

Depuis, il s’est fait rare, au Godo comme ailleurs. Il n’est plus revenu à Barcelone depuis 2021, n’a disputé que sept matchs sur le circuit ces quinze derniers mois et compte en 2024 plus de forfaits (Open d’Australie, Doha, Indian Wells, Monte-Carlo) que de matchs: trois à Brisbane avant une rechute de sa blessure dans la région du psoas, pourtant opérée en 2023 mais qui le gêne toujours, particuliè­rement pour servir.

La promesse d’une ultime saison sur terre battue avait cependant rendu le monde du tennis confiant. Nadal allait revenir avec les beaux jours. C’était écrit, même sur l’affiche du tournoi de Barcelone imprimée depuis des semaines. Effet immédiat: toute la semaine est sold out, et l’on fasait la queue dès 9h hier matin, à l’ombre des platanes du quartier chic et tranquille de Pedralbes, qui abrite le Real Club de Tenis Barcelona. Lundi aprèsmidi, une conférence de presse improvisée a laissé entrevoir un nouveau forfait. Fausse alerte: pressé de questions en catalan et en castillan, le Majorquin avait simplement à coeur de dire à tous «[sa] grande joie» d’être de retour. Programmé en quatrième rotation, c’est-à-dire en fin de journée, il est attendu à 11h30 sur la pista 9 pour l’échauffeme­nt. Bien renseignés, une bonne centaine de fans l’attendent devant la sortie du vestiaire. Il y a moins de monde de l’autre côté, où le jeune Français Luca van Assche mène 4-3 contre le Chinois Zhang. Nada sort, sourit, mais ne s’arrête pas.

Les fans sont encore là une heure après lorsque Nadal revient, et encore à 16h50 lorsqu’il ressort pour disputer son match. Moins patients, les spectateur­s ont pris d’assaut les places – et même les galeries et les marches d’escalier – du court dès la balle de match de la partie précédente. Le héros du jour et de toujours apparaît dans une tenue mauve rehaussée d’un bandeau et de poignets éponge orange fluo. C’est le moment de s’intéresser un peu à son adversaire: Flavio Cobolli, 21 ans, un bon début de saison qui lui vaut un flatteur 62e rang mondial. Nadal, lui, n’est que 644e.

«¡Al servicio: Nadal!», annonce l’arbitre pour lancer la partie. Et là, l’ambiance retombe d’un coup. Nadal sert comme à l’entraîneme­nt, sans forcer, appuyant à peine son geste. A 0-15, il commet déjà une double faute. Est-il désormais incapable de servir? Les minutes suivantes rassurent un peu. Il est certes un peu limité, mais surtout très prudent.

Pour le public, c’est une sensation étrange. D’un côté, c’est toujours le même Rafa, avec ses bonds derrière le filet, son enchaîneme­nt de TOC avant de servir, ses ruades impatiente­s en fond de court, son bronzage de terrassier aoûtien en plein mois d’avril. Mais de l’autre, on peine à reconnaîtr­e notre Nadal: peu de rallyes (il les gagne cependant lorsqu’il en vient un), pas de coup droit lasso, pas de passing recouvert en bout de course et globalemen­t assez peu d’intensité.

Sa chance est de tomber sur un Flavio Cobolli perturbé par ce qu’il traverse. Les immenses tribunes baignées de soleil ne lui sont pourtant même pas hostiles, mais l’Italien rate tout ce qu’il veut, surjoue en revers croisé et ne parvient qu’une fois à prendre son adversaire sur son point faible, en breakant à 2-0 dans le deuxième set. Nadal, bien décidé à ne pas traîner en chemin après s’être si longtemps fait attendre, réagit aussitôt et s’impose facilement 6-2 6-3 en 1h25.

Une victoire à l’expérience, qu’il accueillit avec une joie profonde mais sans se leurrer sur son niveau actuel. «Les doutes qui m’accompagne­nt ne vont certaineme­nt pas disparaîtr­e du jour au lendemain, expliqua-t-il après la rencontre. Par moments, je me suis senti bien, à d’autres moments j’étais plus inquiet. J’ai fait pas mal d’erreurs mais j’ai pu contrôler la partie. J’ai la chance de pouvoir rejouer ici, je verrai ce que je serai capable de faire et je m’adapterai.»

Le précédent match sur terre battue de Rafael Nadal remontait à 681 jours. C’était une finale de Roland-Garros, où il n’avait laissé aucune chance à Casper Ruud. Cette fois, il rejouera dès mercredi, contre Alex De Minaur, 11e mondial, un Australien d’origine uruguayenn­e élevé sur la terre battue. Cela risque d’être difficile mais ses fans seront là. Hier soir, il a fini par leur signer tout ce qu’ils lui tendaient, soulagé d’être encore bon pour le service. ■

Une victoire à l’expérience, que l’Espagnol accueillit avec une joie profonde mais sans se leurrer sur son niveau actuel

 ?? (BARCELONE, 16 AVRIL 2023/PAU BARRENA/AFP) ?? Le précédent match sur terre battue de Rafael Nadal remontait à 681 jours. Il s’agissait d’une finale de Roland-Garros, où il n’avait laissé aucune chance à Casper Ruud.
(BARCELONE, 16 AVRIL 2023/PAU BARRENA/AFP) Le précédent match sur terre battue de Rafael Nadal remontait à 681 jours. Il s’agissait d’une finale de Roland-Garros, où il n’avait laissé aucune chance à Casper Ruud.

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