«Daaaaaalí!», six acteurs pour un ego
Le prolifique réalisateur français dévoile son 12e long métrage, un mois avant de faire l’ouverture du Festival de Cannes avec le suivant. Il s’intéresse à l’artiste espagnol surréaliste pour nous perdre dans un nouveau labyrinthe narratif
XCeci n’est pas un cinéaste. Pas plus qu’un réalisateur, scénariste, chef opérateur et monteur, autant de fonctions qu’il cumule pourtant. Quentin Dupieux est devenu un genre cinématographique à lui tout seul. A la façon de Hong Sangsoo en Corée du Sud, le Français enchaîne de manière frénétique des films à très petit budget réalisés avec des acteurs et actrices acceptant des cachets modestes. Et il a ses obsessions: casser les codes de la narration classique, proposer des films qui entremêlent les temporalités et les réalités ou élaborer des récits aux arguments de départ improbables.
Après Yannick, en compétition à Locarno en août dernier, et avant Le Deuxième Acte, film d’ouverture à la mi-mai du festival de Cannes, voici Daaaaaalí!, dévoilé à Venise en septembre, son 12e long métrage. Tout est dans le titre: le musicien et cinéaste (puisque oui, il en est quand même un) se penche sur la figure de Salvador Dalí (1904-1989), avec pour l’incarner autant d’acteurs
PUBLICITÉ qu’il y a de «a» dans le titre du film, à savoir six. Quatre d’entre eux jouent l’artiste espagnol au milieu de sa vie (Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche et Pio Marmaï), un autre l’interprète dans ses dernières années (Didier Flamand), tandis qu’un denier n’apparaît que dans un très bref plan (Boris Gillot).
En constante représentation
Ceci n’est pas un biopic (pour cela voir l’intéressant Dalíland, avec Ben Kingsley, présenté au Zurich Film Festival en 2022 mais sorti uniquement aux Etats-Unis). Car forcément, Dupieux n’a aucune envie de raconter ne serait-ce qu’une journée de la vie de l’homme à la moustache virevoltante. S’il s’intéresse à Dalí, expliquant être «entré en connexion avec [sa] conscience cosmique», c’est pour célébrer la complexité du personnage, mélange d’angoisses, de provocation et de génie. Son ego surdimensionné lui a permis de devenir un comédien-personnage en constante représentation.
Daaaaaalí! est un film sur le temps qui passe, démarrant avec l’attente d’une journaliste de presse écrite, Judith (Anaïs Demoustier), dans un hôtel où elle doit l’interviewer. Voici enfin la star, sous les traits d’Edouard Baer, qui apparaît au fond d’un long couloir. Tellement long qu’il semble interminable. Le voici qui marche, encore et encore. Il arrive enfin, mais coupe court à l’entretien prévu. Il veut être filmé.
Qu’à cela ne tienne, Judith va trouver un producteur (Romain Duris) intéressé par le projet d’une longue entrevue cinématographique. Mais sans surprise, rien ne va se passer comme prévu. Et le film de basculer dans son propre espace-temps, celui d’un rêve raconté par un prêtre, qui n’en finira pas de finir…
Amusant, le film repose avant tout sur les épaules de ses acteurs, qui cabotinent avec un plaisir jubilatoire lorsqu’il s’agit de forcer l’accent espagnol, Edouard Baer s’en tirant à ce titre mieux que les autres. Au-delà de sa dimension ludique en forme d’hommage au surréalisme, qui pour André Breton était destiné à exprimer «le fonctionnement réel de la pensée», Daaaaaalí! est aussi un long métrage qui réfléchit sur le cinéma, cet art où, pour réussir commercialement, il faut en mettre plein la vue. Dalí exige d’être filmé par une très grosse caméra; le dispositif est pour lui plus important que le résultat. Et d’une certaine manière, c’est aussi le cas de Dupieux. Tout comme le personnage titre de Yannick interrompait une mauvaise pièce de théâtre, outré qu’on se moque des spectateurs. C’est un peu comme si le réalisateur sous-entendait que, parfois, il nous mène en bateau. Mais le pire, c’est qu’on en redemande.
■ Daaaaaalí!, de Quentin Dupieux (France, 2023), avec Anaïs Demoustier, Edouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï, Didier Flamand, Romain Duris, 1h18.