Le Temps

L’esprit village

Le Vaudois, directeur du village olympique de Paris 2024, se prépare à recevoir 14 500 athlètes provenant de 206 pays. Une prouesse logistique, environnem­entale et urbanistiq­ue

- MATHIEU VAN BERCHEM

«En Suisse, pour d’éventuels JO en 2038, il faut imaginer un village central où la magie olympique peut opérer»

Saint-Denis, au nord de Paris, à 2 km du Stade de France. Bien droit devant la maquette de «son» village olympique, Laurent Michaud déroule son bon 1 m 85 pour montrer aux journalist­es où commence et où s’arrête le village olympique. A ses côtés, Yann Krysinski, en charge du chantier. Les deux quadras font la paire. «Donne-moi donc les clés du village. Tu vas pouvoir te reposer», lui lance Laurent Michaud dans un anglais bien au-dessus de la moyenne hexagonale. «Oui, mais n’oublie pas de me les rendre le 1er novembre», réplique Yann Krysinski.

Les Jeux olympiques et paralympiq­ues achevés, ce dernier fera du site un nouveau quartier d’habitation du départemen­t de la Seine-Saint-Denis. Le Vaudois Laurent Michaud, directeur du village olympique de Paris 2024, parcourt son fief d’un pas sportif. A 17h, son téléphone portable affiche déjà 13,363 km de marche. «Une bonne moyenne pour un lundi», sourit Laurent Michaud, qui connaît son village comme sa poche, lui qui n’avait jamais mis les pieds dans le fameux «93». Les quelque 3000 appartemen­ts sont livrés. Laurent Michaud nous fait visiter le logement olympique témoin. Sous ses dehors de 4 pièces assez basique, d’où l’on devine le Sacré-Coeur de Montmartre en se penchant beaucoup par la fenêtre, se cachent de petites merveilles. Esthétique­s? Technologi­ques? Non, plutôt «compactes» et «durables», ses mots préférés.

Le plus grand resto du monde

Prenez ce lit. Laurent Michaud soulève le duvet à l’effigie olympique, «que les athlètes pourront embarquer après les Jeux», se réjouit le Vaudois, même si on a du mal à imaginer Carlos Alcaraz le ranger dans sa valise. Sous le matelas, on découvre le sommier en carton, made in Japan, que Laurent Michaud vante à la cantonade d’un air émerveillé et qui supporte 240 kilos. «J’ai vraiment l’impression de vendre des lits», s’étonne le directeur.

Deux athlètes par chambre, une salle de bains pour quatre. Pas de climatisat­ion. Les standards de Paris 2024 lui plaisent. Et tant pis si les stars du basket américain ont choisi de dormir dans des palaces parisiens. «C’est un peu dommage, car l’échange est au coeur de l’idée de village olympique», remarque le Vaudois. Lequel s’extasie devant la Cité du cinéma fondée par le réalisateu­r Luc Besson, reconverti­e le temps des Jeux en une gargantues­que cantine de 3200 places. «Le plus grand resto du monde!» Recevoir 14 500 athlètes provenant de 206 pays le même jour ou presque n’est pas donné à tout le monde. Laurent Michaud a appris «l’accueil et l’hospitalit­é», une certaine efficience aussi, en Suisse dans ses premiers jobs. Prof de ski à Villars-sur-Ollon, puis responsabl­e de centres de vacances au Club Med. Les adeptes de psycho-généalogie chercheron­t même plus loin son sens inné de l’organisati­on et des «gros machins». «Eh oui, je suis un enfant Nestlé», dit-il, pas mécontent.

Ses parents se sont rencontrés dans la multinatio­nale et ont poursuivi leur chemin ensemble dans la planète Nestlé. Laurent est né à Manille, capitale des Philippine­s, a grandi en Afrique du Sud puis, moins exotique, à Nyon. Donc un Suisse ultra-internatio­nal, grand sportif devant l’éternel, skieur profession­nel et aviateur patenté. Les chasseurs de têtes de Paris 2024 qui l’ont recruté il y a 4 ans ont dû apprécier, d’autant que c’est en France que Laurent Michaud a gravi tous les échelons du loisir global. Au Club Med, il devient chef de village – déjà les villages! Puis il rejoint les villages vacances de Center Parcs. «C’est cet esprit «village» qui a peut-être manqué à la Suisse dans sa candidatur­e aux JO d’hiver 2030, regrette Laurent Michaud. On a les infrastruc­tures, les villages locaux mais il faut imaginer, pour d’éventuels JO en 2038, un village central, où la magie olympique va pouvoir opérer et d’où l’accès aux sites sera facilité.»

Un héritage pour les Parisiens

Et c’est un obsédé d’accès et de mobilité qui parle. «Les délégation­s nous demandent d’être le plus proche possible des sites olympiques.» Une question de minutes gagnées, voire de secondes. Par chance, ce dédale d’immeubles surgis de nulle part est à peu près rectiligne. D’un côté de la Seine, le bloc autour de la Cité du cinéma. De l’autre, l’Ile-Saint-Denis, moins prisée parce qu’à peine plus éloignée. Alors, il fait étalage de ses talents de diplomate pour convaincre les hésitants: «Voyez, ici les navettes passent toutes les deux minutes, et puis c’est une île, avec son charme et ses berges.»Dans vingt ou trente ans, on ne visitera peut-être pas le village olympique dionysien comme on furète dans le port olympique de Barcelone. L’essentiel, pour Laurent Michaud, est ailleurs. Dans l’«héritage». Le Vaudois tient mordicus à cette reconversi­on. Le logement olympique n’a pas de coin cuisine, mais le carrelage au sol donne une idée du futur aménagemen­t. L’héritage, c’est aussi ce système thermique ingénieux qui puise de l’air dans les soussols pour augmenter ou baisser la températur­e ambiante. Et l’héritage pour Laurent Michaud? «J’aimerais rester dans le domaine du sport.» A la fraîche, les pieds dans la neige? Les JO 2038 en Suisse? «Pourquoi pas», lâche-t-il dans un large sourire.

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