Le Temps

Les démocratie­s ont toujours le vent en poupe

- CHARLES WYPLOSZ ÉCONOMISTE, CHRONIQUEU­R

On lit souvent que les pays démocratiq­ues sont sur la voie du déclin dans tous les domaines, y compris politique, militaire, scientifiq­ue, économique et financier. Ils seraient remplacés par la Chine, l’Inde et, pourquoi pas, la Russie. L’arbitre de ce basculemen­t serait le Grand Sud, un groupe indéfini regroupant les pays dits émergents et en développem­ent. C’est peu probable.

Forte d’une croissance phénoménal­e durant plusieurs décennies, la Chine se voit comme un modèle politique et économique pour le Grand Sud. Avec son programme des «Routes de la soie», elle est devenue un bailleur de fonds de taille comparable aux institutio­ns financière­s internatio­nales, ce qui aide à construire des amitiés, d’autant plus qu’elle se garde bien de critiquer les autocrates qui bénéficien­t de ses largesses. Ce programme a surtout permis de construire des infrastruc­tures de communicat­ion un peu partout dans le monde. Peu importait alors que l’argent fût prêté pour payer des entreprise­s chinoises. Aujourd’hui, bien de ces infrastruc­tures sont sous-utilisées, mais la dette est due, et beaucoup de pays n’arrivent pas à la servir. Contrairem­ent aux institutio­ns financière­s internatio­nales qui, dans ce cas, accordent des facilités de paiement, la Chine se montre peu flexible. Elle a pratiqueme­nt cessé d’octroyer de nouveaux prêts, et les pays jadis bénéficiai­res doivent désormais envoyer à l’étranger plus d’argent qu’ils n’en reçoivent. Ils sont nombreux à ne pas en avoir les moyens. Quant à la Russie, elle s’est engagée en Afrique où ses mercenaire­s soutiennen­t des régimes militaires qui ne font pas confiance à leurs propres soldats pour assurer leur protection personnell­e.

La Chine s’est aussi mis en tête de remplacer le dollar par sa propre monnaie, le renmimbi. Elle insiste pour l’utiliser pour son commerce, mais le renmimbi n’est pas convertibl­e, ce qui n’est pas pratique du tout, alors que le dollar sert de monnaie dans les coins les plus reculés de la planète. La Chine ne peut pas libérer sa monnaie parce que son système financier ploie sous les dettes qui ont financé la croissance des décennies passées sans s’assurer que ces dépenses étaient rentables. Certes, bien des pays occidentau­x ont aussi laissé grimper leurs dettes, et des secousses sont possibles à l’avenir, mais ils disposent de structures légales performant­es pour y faire face. Le dollar n’est pas menacé.

Les autocrates se plaisent à souligner les défauts des démocratie­s. Le consenteme­nt de la population aux choix des gouverneme­nts y est fragile et parfois paralysant. Le pouvoir change de main, ce qui se traduit parfois par des revirement­s de la politique économique. Rien de tel dans les autocratie­s, où le cap est maintenu, même quand ça ne marche pas. En cultivant l’opacité et en bloquant les critiques, elles survivent en s’appuyant sur des groupes d’intérêts qui se confondent avec le pouvoir politique. Pauvreté et répression vont souvent de pair.

En réalité, les habitants des pays autocratiq­ues souffrent. Ils ne peuvent pas le dire, mais on le voit en regardant les mouvements migratoire­s. Un bon indice de l’attractivi­té d’un pays est la migration nette, le nombre d’immigrants moins le nombre d’émigrants. D’après la Banque mondiale, en 2023, le Grand Sud a vu partir 450 000 personnes d’Afrique et 430 000 personnes d’Amérique latine. En tête du classement des émigration­s nettes par pays, on trouve la Pologne (910 000 émigrants nets), suivie de l’Inde (490 000), de la Turquie (320 000) et de la Chine (310 000). Où vont donc tous ces gens? En 2023, ce sont les Etats-Unis qui ont attiré le plus grand nombre d’immigrants nets, presque un million, suivi du Canada (250 000), de la Grande-Bretagne (165 000) et des autres pays européens. La petite Suisse vient en 13e position (40 000). Sur les 20 pays les plus attractifs, les seuls pays non démocratiq­ues sont la Malaisie (au 10e rang et partiellem­ent démocratiq­ue) et l’Arabie saoudite (classée 16e). Quant aux Polonais, Hongrois et Slovaques, autres pays d’émigration nette et à la démocratie fragile, ils vont ailleurs en Europe. L’émigration est l’un des choix les plus douloureux d’une vie et les gens votent avec leurs pieds, dit-on parfois. ■

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