Les démocraties ont toujours le vent en poupe
On lit souvent que les pays démocratiques sont sur la voie du déclin dans tous les domaines, y compris politique, militaire, scientifique, économique et financier. Ils seraient remplacés par la Chine, l’Inde et, pourquoi pas, la Russie. L’arbitre de ce basculement serait le Grand Sud, un groupe indéfini regroupant les pays dits émergents et en développement. C’est peu probable.
Forte d’une croissance phénoménale durant plusieurs décennies, la Chine se voit comme un modèle politique et économique pour le Grand Sud. Avec son programme des «Routes de la soie», elle est devenue un bailleur de fonds de taille comparable aux institutions financières internationales, ce qui aide à construire des amitiés, d’autant plus qu’elle se garde bien de critiquer les autocrates qui bénéficient de ses largesses. Ce programme a surtout permis de construire des infrastructures de communication un peu partout dans le monde. Peu importait alors que l’argent fût prêté pour payer des entreprises chinoises. Aujourd’hui, bien de ces infrastructures sont sous-utilisées, mais la dette est due, et beaucoup de pays n’arrivent pas à la servir. Contrairement aux institutions financières internationales qui, dans ce cas, accordent des facilités de paiement, la Chine se montre peu flexible. Elle a pratiquement cessé d’octroyer de nouveaux prêts, et les pays jadis bénéficiaires doivent désormais envoyer à l’étranger plus d’argent qu’ils n’en reçoivent. Ils sont nombreux à ne pas en avoir les moyens. Quant à la Russie, elle s’est engagée en Afrique où ses mercenaires soutiennent des régimes militaires qui ne font pas confiance à leurs propres soldats pour assurer leur protection personnelle.
La Chine s’est aussi mis en tête de remplacer le dollar par sa propre monnaie, le renmimbi. Elle insiste pour l’utiliser pour son commerce, mais le renmimbi n’est pas convertible, ce qui n’est pas pratique du tout, alors que le dollar sert de monnaie dans les coins les plus reculés de la planète. La Chine ne peut pas libérer sa monnaie parce que son système financier ploie sous les dettes qui ont financé la croissance des décennies passées sans s’assurer que ces dépenses étaient rentables. Certes, bien des pays occidentaux ont aussi laissé grimper leurs dettes, et des secousses sont possibles à l’avenir, mais ils disposent de structures légales performantes pour y faire face. Le dollar n’est pas menacé.
Les autocrates se plaisent à souligner les défauts des démocraties. Le consentement de la population aux choix des gouvernements y est fragile et parfois paralysant. Le pouvoir change de main, ce qui se traduit parfois par des revirements de la politique économique. Rien de tel dans les autocraties, où le cap est maintenu, même quand ça ne marche pas. En cultivant l’opacité et en bloquant les critiques, elles survivent en s’appuyant sur des groupes d’intérêts qui se confondent avec le pouvoir politique. Pauvreté et répression vont souvent de pair.
En réalité, les habitants des pays autocratiques souffrent. Ils ne peuvent pas le dire, mais on le voit en regardant les mouvements migratoires. Un bon indice de l’attractivité d’un pays est la migration nette, le nombre d’immigrants moins le nombre d’émigrants. D’après la Banque mondiale, en 2023, le Grand Sud a vu partir 450 000 personnes d’Afrique et 430 000 personnes d’Amérique latine. En tête du classement des émigrations nettes par pays, on trouve la Pologne (910 000 émigrants nets), suivie de l’Inde (490 000), de la Turquie (320 000) et de la Chine (310 000). Où vont donc tous ces gens? En 2023, ce sont les Etats-Unis qui ont attiré le plus grand nombre d’immigrants nets, presque un million, suivi du Canada (250 000), de la Grande-Bretagne (165 000) et des autres pays européens. La petite Suisse vient en 13e position (40 000). Sur les 20 pays les plus attractifs, les seuls pays non démocratiques sont la Malaisie (au 10e rang et partiellement démocratique) et l’Arabie saoudite (classée 16e). Quant aux Polonais, Hongrois et Slovaques, autres pays d’émigration nette et à la démocratie fragile, ils vont ailleurs en Europe. L’émigration est l’un des choix les plus douloureux d’une vie et les gens votent avec leurs pieds, dit-on parfois. ■