Le Temps

Un domaine millénaire en harmonie avec son temps

La durabilité et le changement climatique impactent les savoir-faire viticoles. Une donne que connaît bien le groupe Schenk, notamment sur son domaine du Château de Châtagneré­az, où un vignoble millénaire est soigneusem­ent entretenu

- ■ Thomas Pfefferlé www.chatagnere­az.ch

La branche viticole opère sa mue durable depuis plusieurs années déjà. Une refonte de ses savoir-faire et de ses processus de production également due au changement climatique. Dans ce cadre, les profession­nels du vin doivent faire preuve d’innovation tout en peaufinant leurs connaissan­ces des nouvelles techniques. A Mont-sur-Rolle, au Château de Châtagneré­az, l’exploitati­on d’un vignoble millénaire témoigne de cette évolution. Un domaine au sein duquel un écosystème naturel précieux se trouve au coeur des enjeux environnem­entaux actuels. Le premier grand cru, issu de l’exploitati­on, témoigne de la démarche menée sur le site pour conjuguer savoirfair­e historique­s, préservati­on et valorisati­on de la terre ainsi que vision et engagement écologique­s. Nous en parlons avec Tony Heubi, chef vigneron du domaine, et Philippe Schenk, directeur de domaines Schenk Suisse. Interview.

Le Château de Châtagneré­az incarne de nombreux éléments clés liés à la viticultur­e suisse et à son évolution. Parlez-nous du vignoble qui s’y trouve. Philippe Schenk:

C’est un vignoble millénaire, dont les premières traces remontent à 996. Une année d’ailleurs mise en avant sur l’étiquette du Chasselas 1er Grand Cru issu du domaine. C’est une région qui faisait la part belle aux châtaignie­rs, défrichée durant le Moyen Age et qui bénéficie de nombreux atouts grâce à sa situation géographiq­ue. A mi-coteau, la vigne se trouve à une altitude idéale, dans un terrain parfaiteme­nt exposé. On y cultive surtout du chasselas, un cépage bien sûr emblématiq­ue de la région vaudoise et de la Suisse en général. Le vignoble a été acquis par mon grand-père en 1945.

On parle beaucoup de durabilité aujourd’hui. Comment cette dimension impacte-t-elle votre activité?

Tony Heubi:

Le développem­ent durable nous tient bien entendu beaucoup à coeur. Nous sommes très attentifs à l’empreinte que nous avons sur nos terres, ne serait-ce qu’en songeant à ce que nous voulons léguer à nos enfants. Ayant la chance d’être devenu père récemment, cette thématique me touche d’autant plus. Au Château de Châtagneré­az, cela fait déjà plus de trois ans que nous produisons du vin bio.

Qu’est-ce que cela implique en matière de production et de travail de la vigne? Tony Heubi:

C’est une reconversi­on importante. Tout comme nous, la vigne a longtemps été habituée à des techniques d’exploitati­on moins naturelles. Le fait de s’en passer implique un certain temps d’adaptation, notamment pour favoriser sa culture en harmonie avec la biodiversi­té qui s’y développe. Nous sommes d’ailleurs certifiés IP-Suisse, ce qui garantit notre respect d’un cahier des charges exigeant pour exploiter commercial­ement cette marque en suivant les méthodes dites «de production intégrée». Sur site, nous veillons dans ce sens à préserver les différente­s espèces qui cohabitent avec la vigne, telles que les abeilles, les lézards ou encore d’autres insectes. Passer au bio est une démarche qui nécessite également d’approfondi­r continuell­ement ses connaissan­ces du vignoble et de son environnem­ent tout en se familiaris­ant avec de nouvelles techniques.

La culture bio a-t-elle une incidence sur la production?

Philippe Schenk: Bien sûr. Il faut être prêt à prendre le risque de voir sa production diminuer un peu. On peut faire le parallèle avec l’homme. Se mettre à produire bio, c’est un peu comme si on décidait de modifier sa façon de vivre afin de la rendre plus équilibrée et plus saine. Cela nécessite un certain temps d’adaptation, notamment pour se renforcer et réapprendr­e à fonctionne­r de manière préventive plutôt que curative.

Le fait d’être passé à une production bio résulte-t-il aussi d’une certaine pression durable provenant des consommate­urs? Tony Heubi:

Pas vraiment. Il est vrai que les consommate­urs y sont attentifs. Mais je ne reçois pas beaucoup de demandes spécifique­s dans ce sens. Il s’agit plus d’un bon sentiment une fois qu’ils le savent. Ce qui s’explique aussi par une certaine méconnaiss­ance de ce qu’est la culture bio de manière générale. En revanche, on constate que les incitation­s et les réglementa­tions qui régissent nos filières d’activité vont clairement dans la direction d’une production plus respectueu­se de l’environnem­ent. Ce qui contribue d’ailleurs à stimuler les échanges entre vignerons quant aux techniques à connaître, par exemple pour une exploitati­on bio.

Des savoir-faire qui évoluent aussi en grande partie en raison du changement climatique.

Tony Heubi:

Absolument. Je dirais même qu’il s’agit du facteur d’adaptation le plus important. Nous devons désormais être capables d’exploiter nos vignobles dans des conditions météorolog­iques plus extrêmes et changeant plus rapidement. Par exemple, 2021 a été une année froide et humide, tandis que nous avons connu des fortes chaleurs marquées par des épisodes de sécheresse en 2022 et 2023. Dans ce sens, l’adaptation au changement climatique représente certaineme­nt l’un des plus gros challenges pour la branche viticole.

Pour revenir un instant à la dimension durable de votre activité, les consommate­urs sont-ils attentifs à l’importance des produits locaux?

Philippe Schenk: Oui. Et plus particuliè­rement depuis le covid. Dans notre activité, nous veillons d’ailleurs à sensibilis­er le grand public sur la richesse de notre terroir. Consommer local est un geste simple qui fait toute la différence. On constate que les consommate­urs y sont attentifs et qu’ils apprécient les vins de leur région. «L’adaptation au changement climatique représente certaineme­nt l’un des plus gros challenges pour la branche viticole»

Le 1er Grand Cru est le produit phare du Château de Châtagneré­az. Comment ce vin contribue-t-il au rayonnemen­t du domaine?

Philippe Schenk:

C’est en effet le cheval de bataille du domaine. Nous avons créé ce vin il y a maintenant plus de dix ans dans l’optique de concrétise­r notre quête perpétuell­e de l’excellence. Une démarche menée dans une politique de production limitée afin de valoriser la qualité de notre terroir.

Qu’implique la production d’un vin aussi qualitatif?

Tony Heubi:

Le cahier des charges à respecter est très exigeant. En matière de culture, il s’agit par exemple de densifier la plantation afin que la vigne se fasse concurrenc­e. Une technique qui favorise le développem­ent des racines en profondeur, améliorant ainsi l’assimilati­on des nutriments par la plante. Il faut également être capable de prouver que le chasselas vieillit bien, avec des dégustatio­ns de millésimes organisées sur des périodes de dix ans. En plus de ces contrôles réguliers, des vérificati­ons sont effectuées sur la vigne tous les ans par une commission externe, notamment pour s’assurer de l’état sanitaire du vignoble et de son rendement, qui ne doit pas dépasser les limites fixées par la Commission 1 Grand Cru. Tout cela nécessite une constante remise en question de nos techniques et processus de production.

Quels autres cépages trouve-t-on sur le vignoble?

Tony Heubi:

Nous avons planté du viognier il y a un peu plus de dix ans. Un blanc semi-aromatique qui s’acclimate très bien dans notre région et qui donne un goût à la fois frais et fruité. C’est un vin d’élevage en barrique qui se définit plus comme un vin gastronomi­que que d’apéro. Et pour les rouges, nous avons aussi un gamay d’Arcenant. Un vin d’une typicité prononcée qui offre aussi un beau potentiel de garde. Il est cultivé dans les hauteurs et dans les parties basses du vignoble afin de l’équilibrer.

Philippe Schenk:

Le Château de Châtagneré­az, c’est aussi de nombreux événements. Dites-nous en davantage.

Philippe Schenk:

En effet, nous essayons de participer au développem­ent oeno-touristiqu­e qui stimule notre région. Tous les ans, nous participon­s déjà aux Caves ouvertes vaudoises, qui auront lieu les 18 et 19 mai cette année. Des journées portes ouvertes qui sont toujours l’occasion de faire découvrir nos crus et de mettre en avant les atouts de notre région. Cette année, nous nous apprêtons aussi à organiser une nouvelle édition de la Fête de la châtaigne, qui se tient aux alentours de la mi-octobre, ainsi qu’un marché de la truffe dans le courant du mois de novembre. Une initiative qui nous permettra notamment de valoriser la diversité de notre jardin puisque ce champignon pousse également sur notre domaine. Tony Heubi: Nos portes ouvertes promettent aux visiteurs épicuriens de vivre une expérience unique avec notre visite historique, une dégustatio­n verticale, une initiation aux vieux millésimes, sans oublier des sessions de live cooking mettant à l’honneur truffes et châtaignes.

TONY HEUBI, CHEF VIGNERON DU DOMAINE

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(LUCIEN GRANDJEAN) Le Château de Châtagneré­az à Mont-sur-Rolle.

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