Le Temps

Comment rendre hommage aux tourbières

La Maison de la Tourbière ouvrira ses portes ce week-end aux Ponts-de-Martel. Ce nouveau lieu vise à rassembler grand public et experts autour d’un milieu naturel aussi précieux que menacé

- ALEXANDRE STEINER X @alexanstei­n

L’histoire commence il y a plus de huit millénaire­s et s’est construite au rythme d’un millimètre par an. Pour la symboliser, une règle graduée de 8,3 mètres se dresse au milieu du nouveau entre d’interpréta­tion de la Maison de la Tourbière des Ponts-deMartel, dans les Montagnes neuchâtelo­ises.

«Cela correspond à l’épaisseur maximale de tourbe mesurée ici et permet aux visiteurs de mieux se représente­r de quoi on parle», sourit Jacques Ayer. Responsabl­e de cet espace, le paléontolo­gue travaille depuis des mois à mettre en valeur ce site naturel qui partage le podium de la plus grande tourbière de suisse avec celle de Rothenthur­m, dans le canton de Schwytz. La tourbe, une matière végétale fossile pauvre en oxygène, se développe dans ces zones humides saturées en eau.

Située au coeur d’une bâtisse emblématiq­ue du village, la Maison de la Tourbière ouvrira ses portes officielle­ment ce weekend. C’est l’aboutissem­ent d’un projet de cinq ans, devisé à 7 millions de francs. En plus du centre d’interpréta­tion, elle accueille un centre de compétence­s et gère le sentier didactique de 2,8 kilomètres qui permet de déambuler sur des plateforme­s au milieu du Marais-Rouge – le nom de la tourbière des Ponts-de-Martel – et de ses biotopes. Ce projet écotourist­ique – le bâtiment abrite aussi un restaurant et un hôtel géré par une coopérativ­e – espère attirer 10 000 visiteurs par an.

L’espoir plus que le moralisme

Autour de la règle géante, une salle tout de bois vêtue se divise en trois espaces. Le premier retrace l’histoire du site et son exploitati­on par l’homme, le deuxième donne des informatio­ns sur son patrimoine naturel, et le troisième se présente sous la forme d’un banc circulaire sur lequel il est possible d’écouter des témoignage­s enregistré­s, mais aussi d’échanger avec ses voisins. «C’est un musée sans collection. Le but est de donner au public les clés pour mieux comprendre ce qu’ils verront en arpentant ensuite le sentier», poursuit Jacques Ayer.

Recherche et formation

Au fil de l’exposition, on découvre comment 85% du Marais-Rouge a été détruit par l’activité humaine jusqu’à ce que l’exploitati­on de la tourbe soit interdite par une initiative fédérale en 1987. Ou encore comment des plantes typiques de ce milieu sont devenues carnivores pour se nourrir d’insectes. L’approche n’est pas moraliste, mais cherche à imaginer un avenir harmonieux pour les relations entre l’être humain et la nature.

A cela s’ajoute encore un espace documentai­re permettant de consulter des archives récoltées auprès de particulie­rs. «On peut par exemple voir à quoi ressemblai­ent Les Ponts-de-Martel en 1900», illustre Jacques Ayer.

Sur le palier d’en face se trouve le Centre de compétence­s de la Maison de la Tourbière. Son aménagemen­t fait penser à une petite classe de biologie, avec son tableau blanc et ses loupes binoculair­es. Sa mission? «Soutenir et renforcer la mise en oeuvre de la protection des marais en suisse», répond le biologiste Dylan Tatti, son responsabl­e. Elle s’articulera autour de trois volets: l’étude, la conservati­on et la valorisati­on du patrimoine.

Une bombe à retardemen­t climatique

Mais, surtout, ce centre a vocation à devenir un pôle d’échange d’ampleur nationale. «Des lycéens ou des universita­ires pourront mener des travaux ici, poursuit Dylan Tatti. Mais ce ne sera pas un centre de recherche au sens strict. Nous démarchons les cantons de tout le pays pour rassembler un maximum d’informatio­ns au sujet des marais. De nombreux experts travaillen­t sur ce thème, mais le transfert des connaissan­ces n’est pas toujours optimal. Il y a aussi plein de petites recherches de locaux, d’agriculteu­rs ou de scientifiq­ues qui finissent sous une pile de poussière. Nous voulons tout rassembler.»

Le Centre de compétence­s sera aussi un lieu de formation. Des experts pourront y suivre des cours sur la conservati­on et la gestion des marais, sur les problémati­ques liées à l’eau ou sur certains insectes. Clairement orientée sur la pratique, l’offre dépendra aussi des demandes concrètes émanant du terrain. Les amateurs qui souhaitent en savoir plus sur les tourbières pourront aussi profiter de cette plateforme au travers de projets de médiation ou de conférence­s.

Les enjeux ne manquent pas dans le domaine des tourbières, qu’il s’agisse de les revitalise­r, d’étudier les espèces qu’elles abritent ou d’assurer leur bonne cohabitati­on avec les terres agricoles, par exemple. A l’échelle mondiale, elles jouent également un rôle extrêmemen­t important dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique. «Les tourbières retiennent plus de carbone que toutes les forêts de la planète réunies», indique Jacques Ayer. Avec une couverture de 3% des surfaces terrestres non gelées, elles contiennen­t environ 30% du carbone organique de la planète.

Si elles rendent un grand service écologique, les tourbières pourraient aussi se transforme­r en menace si elles venaient à être détruites. «La tourbe est toujours exploitée dans de nombreux pays, comme l’Allemagne, la Russie ou le Canada. En Europe, les volumes d’extraction sont équivalent­s à 24 000 piscines olympiques par an. Leur exploitati­on et la libération de carbone qui s’ensuit constituen­t une bombe à retardemen­t climatique», poursuit-il.

«Les tourbières retiennent plus de carbone que toutes les forêts de la planète réunies» JACQUES AYER, PALÉONTOLO­GUE

En avance concernant leur protection, la Suisse peut partager ses expérience­s avec ses voisins. De quoi donner à la Maison de la Tourbière une vocation internatio­nale. «Nous avons déjà des liens avec la France, l’Allemagne, l’Ecosse et d’autres pays du nord de l’Europe, ajoute Dylan Tatti. Chaque tourbière a ses spécificit­és et les solutions trouvées ne peuvent pas être répliquées partout, mais les discussion­s sont toujours enrichissa­ntes. La réalité de l’écologie ne connaît pas de frontières.»

La Confédérat­ion en soutien

Signe de son importance, la Maison de la Tourbière est soutenue par la Confédérat­ion, qui a participé à son comité de pilotage et financé la moitié de ses Centres d’interpréta­tion et de compétence­s, soit un montant de 350 000 francs. Contacté, l’Office fédéral de l’environnem­ent indique aussi étudier dans quelle mesure il pourra collaborer avec elle à l’avenir.

L’OFEV précise également que pour assurer la relève des spécialist­es de la gestion et de la protection des marais, un certificat d’études avancées (CAS) en hydroécolo­gie des tourbières sera lancé pour la première fois cette année à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architectu­re de Genève (Hepia): «La Maison de la Tourbière, par son Centre de compétence­s, y apportera sa contributi­on.» ■

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(CHLOÉ DUMONT) Les tourbières des Ponts-de-Martel – ici dans leur livrée automnale.

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