Le Temps

A Genève, Le Grütli relance la mode du peep-show

Seul dans une cellule, le spectateur regarde des créatures demi-nues incarner songes et fantasmes. Une propositio­n intrigante qui joue sur le plaisir de voir sans être vu. A moins que…

- MARIE-PIERRE GENECAND

De l’avis d’un spécialist­e, il n’y a pas de peepshow à Genève ou à Lausanne. Pas moyen de se «détendre en regardant une nana à poil danser de manière suggestive», résume-t-il sans détour. Ces jours, à Genève, Le Grütli répare le manque de manière décalée avec Topeep Secret Box, de la compagnie Delgado-Fuchs.

Seize cellules individuel­les qui, disposées en cercle, donnent sur la même arène entourée de miroirs sans tain et accueillan­t des créatures à paillette ou à plumes, supports de fantasmes divers, de l’animal à la soubrette, en passant par la femme-idole, adorée par ses disciples.

Le regardant regardé

C’est bien? C’est surtout intrigant. Car, lors d’une transition entre deux apparition­s, une voix féminine s’adresse aux voyeurs qui, tous, portent un casque sur les oreilles. A tour de rôle, la voix grave et sensuelle décrit les expression­s ou attitudes des spectateur­s. «Madame, vous avez un regard curieux. Vous, vous avez l’air fatigué; vous, vous êtes un peu coincée; et vous, Monsieur, vous vous rapprochez très près de la glace. Attention, lorsqu’on s’approche trop, on perd de vue le contexte, on peut se perdre même tout à fait!»

A ce moment, on remet les manches de sa combinaiso­n qu’on avait ôtées vu la chaleur de l’habitacle et on se dit que tel est pris qui croyait prendre. Le regardant devient regardé et le jeu inverse la notion d’intimité.

Sinon, quand les cellules sont éteintes et que les spots, rouges, bleus ou or, éclairent l’arène, on se laisse porter par les évocations oniriques orchestrée­s par Nadine Fuchs et Marco Delgado, avec leurs trois complices, les danseuses Alexia Casciaro, Lalla Morte et Natalia Pieczuro.

Et que voit-on sur la musique envoûtante de Clive Jenkins? Une femme qui naît d’un voile, séquence magnifique et mystérieus­e au son des percussion­s. Une immense jupe recouvre la totalité de la scène tandis que le visage semble crier sous le tissu serré.

On voit aussi deux chevaux humains qui tiennent une barre sur laquelle se hisse une soubrette-souris qui, plus tard, enflamme sa peau sous nos yeux ébahis. Dans un éclairage couleur sable, on voit encore une larve géante avancer par reptation, devenir hamster au fil des jeux de lumière pour finir en «truc en plumes» dévoilant une danseuse quand la musique accélère. Belle séquence, là aussi, qui exploite au mieux le trouble né du procédé.

L’embarras du trouble

Car, quand on ne sait pas ce qu’on voit, on est renvoyé à notre besoin de contrôle et à notre solitude face à ce désarroi. Impossible de partager l’énigme avec son voisin ou, au moins, de vérifier sur les visages adjacents que le trouble est partagé. On est là, face à une bête qui rappelle La Métamorpho­se de Franz Kafka et condamné à gérer seul notre embarras. «Moi, c’est justement ça que j’ai adoré, confie un spectateur à la sortie. Pouvoir me faire mon film en solitaire et ne pas avoir à répondre de mon imaginaire.» Intéressan­t. Et proche de la citation de Jean Starobinsk­i tirée de L’OEil vivant que le duo Delgago-Fuchs a mise en exergue dans le programme. «Le caché est l’autre côté d’une présence. Le pouvoir de l’absence, si nous tentons de le décrire, nous ramène au pouvoir que détiennent, de façon inégale, certains objets réels: ils désignent, derrière eux, un espace magique; ils sont l’indice de quelque chose qu’ils ne sont pas.» Du voile au dévoilemen­t, la soirée permet toutes les échappées. ■

Topeep Secret Box, jusqu’au 18 avril, Le Grütli, Genève. Vu la jauge réduite, plusieurs représenta­tions s’enchaînent durant la même soirée.

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