«Il est déchirant de voir ses propres étudiants arrêtés»
La police multiplie les arrestations de manifestants pro-palestiniens sur les campus américains. Après avoir brisé ce tabou, l’Université de Columbia reconnaît que les interventions policières jettent de l’huile sur le feu. Un professeur de droit témoigne
XDe plus en plus d’universités aux EtatsUnis font appel à la police pour évacuer les activistes pro-palestiniens. Car les campus sont devenus un point brûlant de ralliement pour l’indignation contre la guerre à Gaza, mais aussi le lieu d’incidents antisémites. Samedi, la police a arrêté un peu plus de 100 personnes à la Northeastern University à Boston. Les étudiants ont été rapidement relâchés mais l’université affirme que le rassemblement avait été infiltré par des «provocateurs professionnels». L’institution a pris pour prétexte un slogan antisémite proféré vendredi soir lors d’un face-àface tendu entre jeunes pro-palestiniens et pro-israéliens. Mais il semble que ce soit un contre-manifestant qui ait lancé «tuez les juifs».
Dans ce contexte inflammable, la police a procédé à d’autres arrestations dans les universités d’Arizona, d’Indiana et de Washington à Saint-Louis dans le Missouri. Parmi les personnes interpellées figurait la candidate à la présidentielle Jill Stein, du parti vert, qui fait le tour des campus, essayant de capitaliser sur la colère d’une partie de la jeunesse étudiante contre le soutien inconditionnel de Joe Biden à Israël. Selon un décompte du New York Times, le nombre d’arrestations sur les campus américains se monte à 800 depuis la tentative d’évacuation d’un campement pro-palestinien à l’université de Columbia à New York, le 18 avril dernier.
Sans précédent depuis 1968
L’arrestation d’une centaine d’étudiants de Columbia avait alors jeté de l’huile sur le feu. S’était ensuivi un week-end de confusion. Des étudiants juifs avaient été menacés et avaient subi des insultes antisémites. Leurs auteurs n’ont pas été identifiés et le campus a depuis été complètement bouclé aux visiteurs. La situation reste tendue. Pas moins de 106 étudiants sont toujours poursuivis pour avoir occupé illégalement la pelouse centrale de l’université et demeurent suspendus par Columbia. Loin de servir d’avertissement, l’intervention de la police new-yorkaise a incité d’autres camarades à rejoindre le campement. Et les tentes sont apparues sur d’autres campus dans le pays.
«Il est déchirant de voir ses étudiants arrêtés, menottés, pris en photo comme des criminels et poursuivis par la justice», réagit Bernard Harcourt, professeur de droit à Columbia, qui défend ces étudiants. Il plaide pour que les poursuites contre eux soient abandonnées et qu’ils soient réintégrés. «Nous sommes responsables du développement intellectuel de ces jeunes, mais aussi de leur bien-être et nous nous soucions qu’il ne leur arrive rien», dit-il.
Bernard Harcourt et la plupart de ses collègues de la Faculté de droit ont dénoncé l’intervention de la police demandée par la directrice de Columbia. Nemat Shafik revenait d’une audition devant des parlementaires à Washington qui l’avaient mise sous pression pour agir contre l’antisémitisme sur le campus. Les républicains continuent de réclamer davantage de répression. Les professeurs de droit de Columbia se sont fendus d’une lettre dénonçant le «manque de transparence» sur les motifs ayant motivé le recours à la police. L’université a reproché aux personnes suspendues d’avoir contribué à «un environnement menaçant et intimidant à l’égard de certains étudiants». «La suspension générale d’une centaine d’étudiants nous fait douter du respect de l’Etat de droit par l’université, une obligation que nous enseignons et que nous chérissons», écrivent ces professeurs.
L’intervention policière à Columbia était sans précédent depuis 1968 et les manifestations sur le campus contre la guerre du Vietnam. Vendredi, la direction de l’université a fait savoir qu’il serait «contre-productif» d’appeler à nouveau la police. Une nouvelle intervention «enflammerait la situation sur le campus et attirerait des milliers de protestataires à nos portes menaçant ainsi notre communauté». Les manifestations aux abords du campus sont déjà quotidiennes. En revanche, l’université menace de prendre des mesures individuelles contre les étudiants qui violent son règlement. Un porte-parole du campement, James Khymani, a ainsi été suspendu après la diffusion d’une vidéo datant de janvier. Il lançait: les «sionistes méritent de mourir».
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