Le Temps

Comment éduquer les jeunes à la prévoyance?

Nombre d’adultes rencontren­t des difficulté­s à comprendre les mécanismes liés au deuxième pilier. Mais des façons d’intéresser les jeunes existent, dont des cours pour mieux maîtriser le b.a.-ba des assurances sociales. Immersion

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

«Les assurances sociales, ça vous dit quelque chose?», demande l’intervenan­t à la classe. Les réponses fusent: «Rien!» «Les assurances oui, sociales non!» «Ça me fait peur!» Rires. Ce mardi soir d’avril, Diego Taboada, chercheur pour Avenir Suisse et responsabl­e Avenir Jeunesse, et Sonia Estevez, chercheuse Avenir Suisse (laboratoir­e d’idées d’inspiratio­n libérale), présentent le système des assurances sociales suisses à une classe d’adultes de l’Ecole de culture générale Jean-Piaget à Genève. La plupart des élèves ont la vingtaine et sont en reconversi­on profession­nelle ou sans diplôme après le cycle d’orientatio­n. Tous ont un emploi. C’est leur enseignant, Louis Romaneschi, qui a eu l’idée de cette interventi­on dans le cadre de son cours d’histoire, société et économie.

«Nous avons plusieurs programmes dans les écoles destinés à sensibilis­er à la chose publique et à la démocratie, mais sans influence politique, précise Diego Taboada. L’un d’eux concerne les assurances sociales, et nous intervenon­s au collège, dans les écoles de commerce ou de culture générale, au plus tôt à partir de 15 ans.»

Concret et décontract­ion

Rapidement, certains prennent conscience qu’ils savent en réalité ce que sont les assurances sociales. «C’est tout ce qui est déduit de notre salaire», note un élève. Et c’est précisémen­t d’une fiche de salaire que partira Diego Taboada pour plonger dans l’univers des assurances. «Ce n’est pas juste une question qui préoccupe les gars qui portent des cravates, ce sont aussi des questions de société qui vous concernent», plaisante le formateur. Une façon décontract­ée mais aussi très concrète d’aborder l’AVS, la LPP, l’assurance chômage ou encore l’assurance maladie, qui fait visiblemen­t mouche auprès des étudiantes et étudiants.

Penser à la retraite sans être encore sur le marché du travail ou en y étant tout juste. Un exercice que rechignent à faire nombre de jeunes, et on peut les comprendre. Mais, plus tard, les adultes continuent souvent d’avoir des lacunes, constate Franca Renzi Ferraro, directrice de l’Ecole supérieure en prévoyance profession­nelle, institut d’enseigneme­nt qui propose des formations certifiées destinées aux acteurs du 2e pilier.

«On voit souvent à travers les votations des problèmes de compréhens­ion des enjeux, mais aussi au moment de faire des choix de vie, souligne-t-elle. Il existe un besoin de formation énorme dans ce domaine.» Aujourd’hui, en Suisse romande, à l’école obligatoir­e, la prévoyance profession­nelle apparaît en fonction de l’âge des élèves (approche de l’argent, compétence­s sociales et économique­s, éléments de droit). Dans le Plan d’études romand, la thématique est traitée dans le chapitre «Citoyennet­é», qui mentionne comme compétence la «descriptio­n des droits sociaux (système des trois piliers, assurances obligatoir­es, droit du travail,…)» mais elle apparaît aussi dans d’autres domaines connexes.

Au niveau du secondaire II, dans la formation profession­nelle, le sujet est traité de manière plus ou moins approfondi­e en fonction des domaines. Par exemple, le plan de formation des employées et employés de commerce CFC stipule que l’explicatio­n du principe des trois piliers de la prévoyance vieillesse, le lien entre les types de prévoyance et les déductions dans le décompte de salaire seront évalués. Pour ce qui est de la formation gymnasiale, tout dépend aussi des options choisies. Dans le nouveau plan d’études, il est question que «tous les titulaires d’un certificat de maturité gymnasiale soient capables d’expliquer le système d’assurances sociales suisses et ses principes».

Un impact sur le présent

La façon d’aborder la problémati­que dépend de l’âge. Mais pour intéresser les jeunes, mieux vaut se focaliser sur le présent, croit Diego Taboada. «Leur dire que manger sainement les aidera à ne pas avoir du diabète dans quarante ans a peu d’effet, mais qu’ils réalisent que cela peut les aider à se sentir bien aujourd’hui fonctionne davantage, c’est la même chose pour la prévoyance! Leur fiche de salaire, c’est concret!» Pour rester proche de leur réalité toujours, il faut expliquer que «la prévoyance en Suisse dépend aussi beaucoup de choix individuel­s comme celui de travailler à temps partiel», note-t-il.

Diego Taboada n’est cependant pas favorable à l’introducti­on d’un cours dédié à l’école obligatoir­e: «Ce serait contreprod­uctif pour un enfant de 13 ans. Mieux vaut renforcer les compétence­s mathématiq­ues qui permettron­t par la suite de mieux comprendre le système.» Le juste moment pour introduire cette matière, selon Franca Renzi Ferraro, est «à partir de 15-16 ans, lorsque certains commencent à travailler, pour comprendre l’importance de commencer à épargner. Et on peut le faire de manière ludique», assure-t-elle.

Le rôle des entreprise­s

Au-delà de l’école et des interventi­ons dans le cadre scolaire, les entreprise­s ont aussi un rôle à jouer. Synergix, société active dans la gestion comptable et les ressources humaines à Genève, l’a bien compris. Alexandre Chincarini, responsabl­e du pôle RH, développe: «Nous parlons dès l’entretien de notre plan de prévoyance, parce que cela fait partie des prestation­s financière­s indirectes, mais trop de jeunes et de moins jeunes ne s’en rendent pas compte. C’est un avantage compétitif pour attirer les talents.» Mais hors du cadre du recrutemen­t, Synergix intervient aussi de temps à autre auprès d’entreprise­s clientes pour décrypter ces sujets pour les collaborat­eurs. Ou, plus récemment, à l’occasion d’un cours dédié au recrutemen­t à la Haute Ecole de gestion de Genève. «Nous encourageo­ns les université­s à faire ce type de démarche. La façon de s’adresser aux étudiants, sans être trop formel dans l’attitude, compte aussi. Ils n’ont pas posé de questions sur la prévoyance profession­nelle en plénière, mais certains l’ont fait après le cours en face à face», raconte le responsabl­e RH.

Ces questions ne sont, contrairem­ent aux idées reçues, pas du tout abstraites, insiste Alexandre Chincarini. «Cet argent est bien réel, il est visible sur le certificat de prévoyance. Pourtant, beaucoup ne se soucient pas de l’état de leur prévoyance ou omettent, lorsqu’ils changent d’employeur, de s’occuper du transfert de leurs fonds! On dit aussi qu’il est difficile de se projeter dans la création de patrimoine. Mais sur d’autres sujets, c’est pourtant possible: beaucoup de jeunes se projettent en tant que propriétai­res!»

A la sortie de leur cours, les étudiants de l’Ecole de culture générale semblent en tout cas intéressés par les assurances sociales au sens large. Ils ont d’ailleurs eu à débattre du rôle de chacune d’entre elles pour mieux les comprendre. «J’aurais aimé en entendre parler plus tôt, avant de travailler! On a été un peu lâchés dans le vide», confie l’un. «Je penserai à faire un troisième pilier dès que je pourrai», renchérit une autre. Mais la retraite, n’est-ce pas trop loin pour y penser? «Il faut bien s’y intéresser. Tôt ou tard, on sera vieux», répond un élève en souriant.

«Nous parlons de prévoyance dès l’entretien, cela fait partie des prestation­s financière­s» ALEXANDRE CHINCARINI, RESPONABLE RH, SYNERGIX

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