Le Temps

«La fortune va continuer de croître»

Depuis le début de l’année, Eric Niederhaus­er dirige Retraites Populaires. S’il espère que la révision de la loi sur la prévoyance profession­nelle sera acceptée en septembre, il juge que le système suisse des retraites tiendra quoi qu’il en soit

- PROPOS RECEULLIS PAR ALEXANDRE BEUCHAT ET ALINE BASSIN X @beuchat_a | X @bassinalin­e

A quelques mois d’une votation de tous les dangers sur la réforme de la prévoyance profession­nelle, on pourrait s’attendre à rencontrer un homme inquiet. Il n’en est rien. Eric Niederhaus­er, serein, nous accueille dans son spacieux bureau du bâtiment de Retraites Populaires qui offre une vision à 180 degrés sur Lausanne, avec la cathédrale trônant en arrière-plan.

Cet actuaire de 49 ans a pris en janvier la tête de l’institutio­n de droit publique. Après la terrible année 2022 sur les marchés financiers et à l’instar de la majorité des autres caisses de pension suisse, Retraites Populaires, un acteur important de l’immobilier et de la prévoyance profession­nelle a pu redresser la barre l’an dernier. Ses placements ont dégagé un rendement de 4,3%. Une participat­ion aux excédents à hauteur de 32 millions de francs a pu être versée aux personnes assurées, ainsi qu’une allocation unique totale de 3,5 millions aux bénéficiai­res du 2e pilier. Quelque 118 000 personnes sont affiliées à l’entreprise mise sur les fonts baptismaux en 1912.

A la suite de l’aboutissem­ent du référendum déposé par la gauche en 2023, les citoyens suisses retournero­nt aux urnes en septembre pour voter sur la révision de la loi sur la prévoyance profession­nelle, une perspectiv­e qui suscite beaucoup de fébrilité dans le milieu des caisses de pension.

Craignez-vous que la réforme de la LPP ne passe pas la rampe en votation populaire? A l’exception de la votation sur l’AVS en 2022, toutes les tentatives de réformes du système des retraites ont échoué ces vingt dernières années. Le doute est donc permis, d’autant plus que comme pour l’initiative sur une 13e rente AVS, les véritables enjeux qui se cachent derrière les aspects techniques du dossier sont difficiles à comprendre. Des raccourcis sont faits et ils orientent l’opinion des citoyens qui votent avec ce qu’ils croient être plus avantageux pour leur pouvoir d’achat dans l’immédiat.

Avec la baisse du taux de conversion de 6,8 à 6,0%, la réforme va effectivem­ent appauvrir les futurs retraités, non? C’est partiellem­ent faux. Ce qui est souvent mal compris, c’est que la révision de la LPP fixe les minima légaux. Selon les estimation­s, environ 15% des assurés sont couverts par cette prestation minimale et, donc, concernés par la révision. Et leur caisse a déjà dû prendre des mesures en compensant l’applicatio­n d’un taux de conversion trop élevé par des cotisation­s plus élevées ou des intérêts versés plus faibles. Le reste des assurés sont affiliés à des caisses de pension qui vont au-delà du minimum légal et qui appliquent déjà un taux de conversion inférieur à 6%. Ils ne seront pas ou peu touchés.

Actuelleme­nt, peu de caisses sont dans une situation dramatique. La majeure partie d’entre elles ont trouvé des solutions pour financer les prestation­s liées à des taux de conversion trop élevés: ce sont les actifs qui en paient le prix. Quelque part, le déficit de financemen­t auquel la révision veut répondre se trouve déjà dans ces compensati­ons. Sauf que la réforme amènerait davantage de transparen­ce sur ces transferts entre actifs et retraités ce qui me paraît plus cohérent.

Si elle ne passe pas, quelle est la menace? Selon moi, un échec de la réforme ne va pas mettre le système en péril. Ces deux dernières décennies, la prévoyance profession­nelle a toujours réussi à s’adapter et à trouver des ajustement­s.

Le système est-il soutenable sur le long terme avec le vieillisse­ment de la population? Je suis un grand défenseur du système suisse avec ses trois piliers et je pense qu’il fait ses preuves. Actuelleme­nt, il y a en effet un débat sur la répartitio­n entre ces piliers, ainsi que sur le déséquilib­re croissant entre retraités et actifs. La principale conséquenc­e pour le deuxième pilier, c’est qu’il est davantage dépendant du rendement des capitaux, des revenus de ce «tiers cotisant». L’AVS et le deuxième pilier permettent justement de garder un certain équilibre. Et il ne faut pas oublier le troisième pilier composé de l’épargne individuel­le. C’est évidemment plus compliqué pour les bas revenus qui rencontren­t déjà des difficulté­s pour s’assurer une bonne couverture sur les deux premiers piliers. C’est là que le régime social doit intervenir en dernier recours, avec notamment les prestation­s complément­aires.

Pendant la campagne sur l’initiative pour une 13e rente AVS, la gauche a justement dénoncé les intérêts financiers liés au 3e pilier, un marché très lucratif pour les acteurs financiers. Que répondez-vous à cette critique? Il y a peut-être du lobbying… D’un autre côté, la prévoyance doit se préparer sur le long terme. Il faut pouvoir accumuler un peu de capital, puis pouvoir en bénéficier afin d’avoir des moyens suffisants à la retraite. Par rapport à cette initiative, ce que je constate aussi, c’est qu’on accepte une 13e rente et qu’on se pose la question après de savoir comment la financer.

Parlons justement du financemen­t, mais de celui du 2e pilier. Avec l’arrivée des boomers à la retraite, à quel point la pression financière s’accroît-elle sur les caisses de pension? Selon moi, la fortune des caisses de pension va continuer de croître. Pour une partie d’entre elles, le différenti­el entre les cotisation­s qui rentrent et les prestation­s qui sortent sous forme de rente est proche de l’équilibre, voire légèrement négatif. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que sur toute l’épargne déposée, il y a du rendement dégagé qui compense largement les écarts.

Cela va-t-il suffire? Je n’ai évidemment pas de boule de cristal et aujourd’hui, personne n’a la capacité de faire des projection­s. Pendant toute une période, tout le monde pensait que les taux allaient rester bas comme au Japon et tout à coup, en six mois, ils sont repartis à la hausse. Ce dont je suis convaincu, par contre, c’est que ce troisième cotisant va rester une source de financemen­t importante. Il est toutefois difficile d’effectuer des pronostics, c’est-à-dire de savoir s’il va dégager 3%, 3,5% ou 2,5% de rendement. Ce qui est par contre important, c’est d’ajuster régulièrem­ent les paramètres techniques en fonction de l’évolution des perspectiv­es.

Une année horrible comme 2022 [environ -9% de rendement en moyenne pour les caisses de pension ndlr] peut-elle se rattraper facilement? Si on prend Retraites Populaires, aujourd’hui, pour servir nos engagement­s, nous avons besoin d’un rendement de l’ordre de 1,5%. Avec les perspectiv­es que nous avons sur notre allocation d’actifs, nous nous attendons à avoir à peu près 2,9% de rendement sur un horizon de cinq à dix ans. Donc tendanciel­lement, nous restons positifs sur le long terme. Mais il est clair qu’il y a désormais beaucoup plus de variabilit­é que dans le passé, soit de très bonnes années et des très mauvaises. Après, lorsqu’on se livre à ce type de moyennes, il faut faire attention à l’horizon de temps que l’on prend. Plus il est long, plus on fait abstractio­n de ces fluctuatio­ns. Mais sur le long terme, cela reste quand même positif. Si on prend la traduction dans nos indices de mesure, c’est l’évolution du degré de couverture qui indique la fortune à dispositio­n rapportée aux engagement­s. Ces quinze dernières années, tendanciel­lement, on a vu une tendance à la croissance, avec, bien sûr, ces variations assez fortes.

Cela nous amène à votre stratégie d’investisse­ment. Le spectre s’est beaucoup élargi ces dernières années, avec notamment l’essor du private equity, l’investisse­ment privé, est-ce que Retraites Populaires a adapté sa stratégie? Nous avons depuis longtemps une politique très diversifié­e, au-delà des actions, obligation­s et de l’immobilier. Ces trois types d’actifs représente­nt une grande partie de notre allocation, respective­ment environ 20%, 33% et 25% mais nous sommes partis très tôt dans la constituti­on d’un portefeuil­le privé. A un moment, nous avons fait des placements alternatif­s avant de revenir en arrière car les promesses n’étaient pas à la hauteur de nos attentes. Dans le private equity, il y a en revanche effectivem­ent des rendements intéressan­ts qui peuvent être générés.

A l’autre extrémité du spectre, il y a l’immobilier. Quelles sont vos ambitions dans ce secteur? Il représente 25% de notre portefeuil­le et reste un axe d’investisse­ment prioritair­e de nos fonds. Pour maintenir cette proportion dans un portefeuil­le en croissance, nous passons par trois canaux: l’acquisitio­n d’objets, le développem­ent de projets et la rénovation pour valoriser notre parc. Le deuxième canal est exigeant car il y a une ambiguïté entre les besoins et la volonté d’intensifie­r l’utilisatio­n du sol et l’acceptatio­n des projets dans la population. Avec comme corollaire, des loyers qui restent élevés et le marché qui est asséché. Ce sont des possibilit­és de placement en moins.

Quand il y a des rénovation­s énergétiqu­es, nous profitons aussi de l’occasion pour voir s’il y a des possibilit­és d’augmenter les constructi­ons, par exemple en surélevant les bâtiments, en utilisant des superficie­s qui sont exploitabl­es. Pour l’acquisitio­n, nous constatons qu’il y a des acteurs qui n’ont pas les moyens d’effectuer les rénovation­s et qui mettent les objets en vente. Ce sont des objets qui peuvent être intéressan­ts pour les caisses de pension pour autant que le marché prenne en compte ces besoins.

Il y a actuelleme­nt aussi un débat autour des déséquilib­res qui existent entre les génération­s, notamment parce que, pour les personnes âgées, emménager dans un logement plus petit revient trop cher. Comment vous positionne­z-vous? L’année dernière, nous avons lancé un projet qui s’appelle «Bien vivre sa retraite» et qui couvre plusieurs axes par rapport au vieillisse­ment de la population. L’un d’entre eux est immobilier avec deux volets: l’adaptation des appartemen­ts aux seniors et la réalisatio­n de logements adaptés à leurs besoins.

Nous avons une réelle volonté de maintenir les personnes chez elle afin de favoriser leur autonomie et retarder l’entrée en établissem­ent médico-social (EMS). La possibilit­é de les rediriger si possible vers des appartemen­ts plus petits fait également partie des pistes que nous examinons. Ce que nous constatons toutefois dans notre parc, c’est qu’il y a une part de mythe. Il n’y a pas tant de gens que ça qui habitent dans des grands appartemen­ts. Chez nous, 75% des seniors vivent dans des 1 à 3 pièces, nous permettant, dès lors, d’aménager directemen­t leur logement à leurs besoins et d’améliorer leur confort et sécurité.

«Nous avons besoin d’un rendement de l’ordre de 1,5%. Nous nous attendons à avoir à peu près 2,9% sur un horizon de cinq à dix ans»

 ?? 2024/NORA TEYLOUNI/LE TEMPS) (LAUSANNE, 16 AVRIL ?? Eric Niederhaus­er: «Je suis un grand défenseur du système suisse avec ses trois piliers et je pense qu’il fait ses preuves.»
2024/NORA TEYLOUNI/LE TEMPS) (LAUSANNE, 16 AVRIL Eric Niederhaus­er: «Je suis un grand défenseur du système suisse avec ses trois piliers et je pense qu’il fait ses preuves.»

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