Le Temps

Un Tour de Romandie à visages tranquille­s

En l’absence d’un favori dominateur, l’épreuve a consacré hier l’Espagnol Carlos Rodriguez (Team Ineos), après avoir réservé des surprises et renverseme­nts de situation

- PIERRE CARREY @PierreCarr­ey_

Les coureurs de la sélection suisse dévorent des pizzas brûlantes. L'Italien Matteo Moschetti s'arrête trois secondes – «pas plus, parce qu'on a eu très froid» – pour regarder l'arrivée du Tour de Romandie, hier, sur un écran géant, près de la piscine du Lignon, à Vernier. Les ralentis tournent: la victoire au sprint du Français Dorian Godon sur la dernière étape, le sacre au classement général de l'Espagnol Carlos Rodriguez, qui a eu froid… et chaud.

Le maillot jaune a couru camouflé sous une veste de pluie noire. En équilibre sur les routes trempées de la campagne genevoise. Le Russe Alexandr Vlasov, pointé à sept secondes au classement, a tenté de le mettre sous pression, mais Rodriguez ne s'est pas laissé surprendre dans l'épilogue d'une épreuve à rebondisse­ments: cinq maillots jaunes en six jours, une défaillanc­e du très fort Juan Ayuso samedi… En somme, ce sont les absents qui ont garanti le succès de la 77e édition du Tour de Romandie. Sans les Tadej Pogacar, Jonas Vingegaard,Remco Evenepoel, adeptes des attaques longue portée, la course a privilégié le suspense et d'autres coureurs ont émergé.

Carlos Rodriguez, vainqueur humble

Pas de vitesse hors normes dans la montée décisive de Leysin samedi, pas d'échappée en solitaire pendant une heure qui laisse un goût douteux et tue l'illusion du suspense, pas de propos abrasifs une fois descendu de son vélo: le jeune Carlos Rodriguez épouse les proportion­s d'un cyclisme classique. Vainqueur presque anachroniq­ue du Tour de Romandie. Son équipe Ineos, jadis connue sous le nom de Sky, a ressorti sa stratégie longtemps gagnante et maintenant hors d'âge: un rythme lancinant en tête de peloton et l'estocadepo­rtée à cinq kilomètres de l'arrivée. Tout en contrôle.

C'est un triomphe collectif, comme Rodriguez l'a souligné, et pas uniquement par politesse. Le Colombien Egan Bernal, vainqueur du Tour de France 2019, lui a passé – au sens propre – le relais, quelques jours après avoir déclaré: «J'ai encore beaucoup à apprendre de lui et de son humilité.» C'est que Rodriguez, déjà 7e du Tour d'Espagne 2022, 5e du Tour de France 2023, par ailleurs étudiant en ingénierie à Malaga, mûrit sans esclandre. Mortifié que son équipe actuelle et l'écurie espagnole Movistar se le disputent l'automne passé, pour une histoire de pré-contrat paraphé dans un coin et d'hésitation­s. Rodriguez est resté fidèle au «train» à l'ancienne du Team Ineos, qui vise très haut pour lui.

Florian Lipowitz, le très inattendu

L'équipe Bora-Hansgrohe a réussi à transforme­r un cyclosport­if en troisième du Tour de Romandie. «Vous êtes surpris? Nous aussi!» Heinrich Haussler, le directeur sportif, semblait découvrir les états de service de son grimpeur allemand, Florian Lipowitz: «Je crois qu'il vient du biathlon… » En premier lieu, la révélation de la semaine, 23 ans, a éclos sur des épreuves de longue distance à vélo, comme le Marathon d'Engadine, organisé autour de Zernez etdont il a triomphé en 2019. Sa prestation atteste d'un «moteur» puissant: il a couvert en 6 heures 9 les 214 kilomètres de montagne par-delà l'Albulapass et autres cols de haute montagne. Lipowitz est une anomalie dans un peloton qui aime «tracer» les talents dès l'âge de 16 ans et qui recrute peu dans les discipline­s parallèles.

Son coéquipier Primoz Roglic s'était distingué dans le saut à ski avant de devenir cycliste? C'était une autre époque. Le coureur allemand a donc enchaîné les tirs couchés avant de se consacrer au cyclisme à 20 ans. Mais il pédale presque depuis toujours. A neuf ans, il accomplit 120 km de vélo avec ses parents. A 16 ans, il roule avec eux sur 800 km répartis entre Genève et Nice (en sept étapes). En toute logique, il manque encore de flair tactique, ce qui lui a coûté la victoire d'étape samedi à Leysin. «Mais je ne sais pas si je pouvais faire mieux, déclare le coureur de la ville d'Ulm. Le point important, c'est que j'ai pris de la confiance pour la suite.» Le grimpeur sera une grosse cote du Tour d'Italie, qui débute la semaine prochaine.

Yannis Voisard, parfait sang-froid

Chargé de très bonnes ondes: le trophée du meilleur Suisse du Tour de Romandie 2024, patronné par la RTS, est un parallélép­ipède rouge transparen­t, l'artisanat du plexiglas porté à son meilleur. Le Jurassien Yannis Voisard l'a dévoré des yeux: «C'est une belle borne wifi!». Et il est reparti avec la coupe chez lui, à Neuchâtel. Souvenir d'une semaine d'apprentiss­age à la rude et encouragea­nte. Longtemps arrimé aux dix premiers du classement, il termine 21e à 3'56'' du maillot jaune Rodriguez. A 25 ans, le grimpeur du Team Tudor compte déjà parmi les espoirs les plus fiables de son équipe – et du peloton suisse. «C'était une semaine riche d'enseigneme­nts», brosse Voisard. La pression d'être leader: il l'a apprivoisé­e. Le contrela-montre individuel à Oron-laVille: «J'ai fait l'exercice le plus abouti en termes de gestion d'effort», dit-il, après avoir perdu moins d'une minute sur les purs spécialist­es.

Le bilan est plus contrasté en montagne. Le coureur léger excelle jeudi aux Marécottes mais concède 3'37'' samedi en direction de Leysin. «Il n'a pas manqué grand-chose mais il a manqué quand même beaucoup!» ironise-t-il. A la peine dans l'effroyable montée des Mayens-de-Chamoson, à 90 kilomètres de l'arrivée, Voisard s'est accroché «au mental». Il ne se cherche pas d'excuses mais avance une explicatio­n: un refroidiss­ement, apparu vendredi soir, entre les podiums et les plateaux télé. «Je ne suis pas resté assez chaud, glisse-t-il. Jen'ai pas encore l'expérience de ces moments protocolai­res.»

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CARLOS RODRIGUEZ VAINQUEUR DU TOUR DE ROMANDIE

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