Au festival Steps, Cupidon étale sa dépression
La chorégraphe franco-suisse Perrine Valli a lancé jeudi la manifestation avec «Kantik», variations sur Eros à la Comédie de Genève, avant Nyon et Bienne. Malgré son sujet, le spectacle laisse froid
La chair est triste, hélas, disait un sondage récent de l’Ifop sur les pratiques sexuelles des Français constatant qu’ils font de moins en moins l’amour. A la Comédie de Genève, elle l’est à l’évidence dans Kantik, nouvelle création de la chorégraphe franco-suisse Perrine Valli. Comme si l’époque déteignait sur la libido, comme si Cupidon avait du plomb dans les ailes. Sur scène, 11 interprètes enchaînent des tableaux funèbres, dans une atmosphère de fin du monde, sur une bandeson saturée. Deux ou trois plans galvanisent certes, mais ils sont trop rares pour corriger l’impression de pesanteur et de déjà-vu que dégage ce spectacle qui lançait, jeudi en Suisse romande, le festival de danse Steps.
Attendait-on trop de cette création? Perrine Valli a souvent marqué la scène romande. Il y a sept ans, elle métabolisait l’attentat du Bataclan dans L’Un à queue fouetteuse, immersion syncopée dans une boîte de nuit où les insomniaques de la piste tombaient les uns après les autres. Ils se relevaient pourtant, hissés haut vers le ciel. L’artiste, 43 ans, a un savoirfaire, une attention aux fissures de ses contemporains qui la distinguent. Ces dernières années, cette fille de psychologue a étudié, parallèlement à son travail artistique, les mécanismes de l’inconscient et est devenue sexologue.
Kantik vient de là: d’un intérêt marqué pour le destin de nos corps amoureux, pour ces noeuds qui empêchent parfois la jubilation sexuelle, pour les mots et les gestes qui abolissent les obstacles. Perrine Valli s’est inspirée de récits de patients qu’elle a voulu transfigurer en images fantasmatiques. Elle a aussi rêvé sur LeCantique des cantiques, ce récit biblique où les amants s’ensoleillent, où le bien-aimé est semblable à la gazelle, la bien-aimée à la colombe.
Si Kantik déçoit, c’est qu’il succombe à un hiératisme trop souvent vu sur les scènes de la danse contemporaine. En préambule, une jeune femme en culotte sombre et débardeur s’avance vers le public dans un silence et une nuit d’usine en ruine. Au second plan, une mêlée de peaux et de muscles encore figés. Elle dessine des pas délicats, comme une salutation. Puis elle se dirige vers le monticule que forment ses camarades. Une musique lugubre – création d’Eric Linder – enfle alors, tandis qu’elle plonge sa tête dans cet essaim.
L’alcôve faite bestiaire
Si «Kantik» déçoit, c’est qu’il succombe à un hiératisme trop souvent vu sur les scènes de la danse contemporaine
C’est soigné, glacé, sans surprise aussi. La suite est à l’avenant, emphatique souvent, avec ici une marche somnambulique en bande, là une partie fine avec un homme à quatre pattes, levant une main de naufragé devant lui, avant qu’une demoiselle ne s’étale sur lui. Dans ce défilé trop long, la sensualité est rare, la lumière absente tout comme la joie.
A un moment pourtant, ces errants s’affranchiront de leur fatalité en courant, formant alors un cercle d’endiablés, et leurs ombres gambaderont sur le mur. Cette séquence est la plus vivante du spectacle. Plus tard, ils revêtiront des masques de loup. Ils s’appareilleront parfois, fixeront le public d’un regard vague, paraderont dans des pelisses de fourrure qu’ils délaisseront.
L’époque est à la neurasthénie jusque dans nos chambres à coucher, suggère au fond Kantik. Il se peut que ce soit juste. Mais il aurait fallu trouver forme plus concise, moins soucieuse de se conformer à ce format d’une heure qui est une règle tacite pour les pièces de danse, plus singulière surtout. Eros sur le divan a peut-être d’autres choses à dire.