Le Temps

«Le Mali fait partie de ma vie»

La danseuse et chanteuse franco-malienne Manu Sissoko remporte un succès impression­nant en Afrique de l’Ouest, en revisitant la culture mandingue. Une leçon de vie et d’espoir

- ÉLISABETH STOUDMANN @estoudmann MANU SISSOKO CHANTEUSE GRIOTTE

Il y a un an et demi, une drôle de vidéo attirait notre attention: une reprise d’une des célèbres chansons de la diva Oumou Sangaré, Saa Magni, interprété­e par une femme blanche, visiblemen­t Française, mais chantant dans un bambara impeccable et filmée à Bamako avec un acolyte non moins Blanc qu’elle. Leurs noms? Manu Sissoko et Vincent Lassalle… De quoi donner envie de mener l’enquête. D’autant que la vidéo a été vue par plus d’un million d’internaute­s alors que la chanteuse est une parfaite inconnue.

C’est justement sur les hauteurs de Bamako que, en mars dernier, l’on rencontre Manu Sissoko perchée en talons hauts sur un rocher. Nous sommes au Lac de Lassa, un centre culturel où vit et crée une communauté d’artistes. Manu Sissoko y mime les paroles de son nouveau clip alors qu’à terre une enceinte diffuse sa musique. Vincent Lassalle, qui n’a pas pu se déplacer en raison des frontières fermées entre la France et le Mali, dirige les opérations depuis Paris.

Une famille de coeur et de musique

«J’ai voulu reprendre Saa Magni («La mort est amère») pour rendre hommage à mon beau-père, Siriman Sissoko, décédé brutalemen­t en 2011. Je voulais que son nom soit dans la chanson ainsi que dans toutes les bouches, toutes les oreilles, tous les esprits». L’attitude de Manu Sissoko confirme ce que l’on entend dans sa voix: celle d’une chanteuse griotte qui rend hommage, avec un sens de la tradition, de l’émotion qui frappe vite, fort et en plein coeur.

Il faut dire que lorsque la jeune Française, qui s’appelait encore Manu Di Pasquale, arrive au Mali en 2002, elle va tout de suite à bonne école. Passionnée par les danses et musiques traditionn­elles, elle arrive en apprentiss­age dans la famille de la grande griotte kassonké Dédé Rokiatou Kouyaté à Kayes. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, le percussion­niste Dramane Sissoko. «Si j’en suis là aujourd’hui, c’est parce que les Maliens m’ont soutenue. Ma belle famille m’a toujours prise par la main pour me montrer le chemin. Ils ont vu en moi un potentiel que moimême je n’avais pas vu à l’époque. Ils m’ont énormément transmis.»

La nuit tombe au Lac de Lassa, les caméras se rangent alors que les moustiques font leur sortie tous dards dehors. On cherche refuge dans l’une des chambres, vite rejointes par un adolescent métis. C’est le fils de Manu Sissoko, celui à qui la chanson Métisse est dédiée. Une chanson en deux langues, imaginée de façon originale: «Quand on construit un morceau en bambara, on part de la rythmique des mots, des syllabes. Quand on construit en français, on part du son des mots. Là, j’ai fait l’inverse: j’ai utilisé le son des mots en bambara et la rythmique des mots en français. J’ai voulu faire du vrai métissage, à l’intérieur même de la chanson.»

Manu Sissoko est comme ça: une moitié de son être est Africaine et l’autre Européenne. Et ce n’est pas la couleur de sa peau qui lui pose problème. «Pour moi, l’appropriat­ion culturelle, c’est quand on utilise une culture d’ailleurs et que l’on prétend que cela vient de nous et qu’on l’a inventée. Le Mali fait partie intégrante de ma vie. Il a cimenté mon travail, ma vie personnell­e. Les gens comprennen­t ça très vite en général.»

Un signe de reconnaiss­ance

MéTisse est aussi le nom de son nouvel album, qu’elle a réalisé avec Vincent Lassalle, alias Vesko, un autre Français, un autre amoureux du Mali. Alors que le disque est sorti depuis seulement un mois et demi, les différents clips de leurs chansons remportent déjà sur YouTube le même succès phénoménal que celui de Saa Magni auprès des internaute­s africains. «Pour un Français, le fait que Manu soit Blanche et chante en bambara n’est pas très intuitif. Pour un Malien, par contre, c’est un signe de reconnaiss­ance qu’il apprécie énormément», explique Vincent Lassalle au bout du fil.

Sur les textes engagés de son amie de longue date, qui parlent des femmes, de la richesse du multicultu­ralisme, ou encore de l’importance de la transmissi­on, il a collé des arrangemen­ts qui lorgnent du côté de la soul, avec un son «vintage africain» très dansant. En un instant, il transporte l’auditeur dans un maquis de Bamako. Quant à la voix de Manu Sissoko, elle reste bluffante de bout en bout par son incroyable aptitude à se muer sans cesse de celle d’une puissante chanteuse traditionn­elle à celle d’une artiste pop occidental­e. A l’heure où les relations entre les autorités françaises et maliennes sont au plus bas, l’initiative d’artistes comme Manu Sissoko et Vincent Lassalle démontre qu’au niveau culturel, la communicat­ion et les échanges restent fluides et sèment une graine d’espoir.

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