Sarah Kenderdine, ses
Entrepreneur visionnaire
navigateurs spatio-temporels
Il n’a beau avoir que 55 ans, il a déjà connu plusieurs vies. Non pas successives, mais simultanées. L’homme qui a donné son nom au premier Musée d’art contemporain africain, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (ou Zeitz MOCAA), ouvert au Cap en septembre dernier, est à lui seul une définition de la complétude. Collectionneur passionné d’art contemporain, à la tête de sa propre fondation philanthropique, l’entrepreneur allemand, qui fut derrière le sauvetage de Puma en 1993 et siégea comme administrateur du groupe Kering, pense tout ce qu’il fait et fait tout ce qu’il pense. Ses réflexions, il les a également partagées dans un livre non traduit, « Le moine et le manager », dialogue avec un religieux sur la prière, le profit et les valeurs de la vie. Preuve qu’on peut à la fois agir et penser, et réfléchir à la portée de ses actions, au long terme et au type de relations que l’on veut entretenir avec ses semblables, avec le monde dans lequel on vit. Il y a une dizaine d’années, ce processus débouche sur l’installation durable de Jochen Zeitz au Kenya et son investissement dans le développement, bien avant que ce soit à la mode. «Me voilà, c’est là que je suis censé être», clame Isak Dinesen, personnage de Karen Blixen dans «Out of Africa». C’est exactement ce qu’a ressenti Jochen Zeitz
Collectionneur passionné d’art contemporain, à la tête de sa propre fondation philanthropique, Jochen Zeitz, entrepreneur allemand qui fut derrière le sauvetage de Puma en 1993, est un précurseur en terre africaine.
« Je veux donner au continent africain son premier musée d’art contemporain aux standards internationaux »
lorsqu’il a visité la réserve de Segera, au beau milieu des hauts plateaux kényans. La quarantaine rugissante, Zeitz est alors au faîte de sa carrière, président de l’équipementier Puma qui pèse plusieurs milliards de chiffre d’affaires et emploie des milliers de gens partout dans le monde. « J’adore l’aventure, la nature, l’afrique est une passion. J’y suis allé pour la première fois il y a dix-huit ans, et chaque année depuis. J’ai ainsi atterri au Kenya où j’ai acheté une maison pour voir ce que c’était de vivre à l’africaine et participer à la conservation de ces lieux uniques. » A cette époque, l’homme d’affaires passe une à deux semaines de vacances par an dans ce qui n’est encore alors qu’une confortable maison en pierre avec une vue imprenable de plain-pied sur la savane. Jusqu’à ce qu’il décide, en 2010, de transformer cette propriété en une somptueuse retraite de luxe et de charme. Deux ans plus tôt, Jochen Zeitz avait créé une fondation qui porte son nom et cherche, surtout en Afrique, à encourager et implanter les meilleures pratiques autour des 4C: conservation, communauté, culture et commerce. L’idée, portée par la « Long Run Initiative » à une échelle plus globale, est de créer et développer des projets touristiques durables, socialement et écologiquement responsables, dans des zones managées par des acteurs privés. Basée au Kenya, la fondation remplit sa mission à travers le programme Laikipia, où ses projets sont mûris avant d’être exportés. Visionnaire, Jochen Zeitz investit depuis des années au Kenya dans la protection de la nature et des communautés locales ainsi que dans l’éducation. « Le tourisme est une bonne façon d’influencer les gens qui viennent ici, de les éveiller aux questions d’agriculture, d’éducation, d’environnement, d’emploi. Ça n’a l’air de rien, mais ici nous réalisons des choses assez importantes. » Zeitz emploie plus de 500 personnes pour produire l’énergie propre afin d’assurer l’autonomie de Segera, apporter l’eau et faire pousser dans sa ferme toute proche les fruits et légumes pour ses hôtes. Segera s’étend sur plus de 20 000 hectares, dont les trois quarts ne sont pas clôturés, formant un immense sanctuaire où les grands animaux comme les éléphants trouvent à s’épanouir. Touché par la poésie et la grâce de l’art africain il y a quarante ans, Jochen Zeitz a apporté sa touche à son sanctuaire avec sa collection personnelle : plus de 200 oeuvres d’art (photos, peintures, sculptures, installations vidéo) des plus éminents artistes africains contemporains. « J’ai d’abord créé ma fondation, puis le projet a germé et s’est étendu au-delà de mes rêves. » Avant de devenir le premier musée africain contemporain, sa collection avant-gardiste a donné le «la» dans le monde de l’art: installations vidéo aux cris surprenants, des néons comme au MOMA, et des sculptures en bronze d’artistes africains du moment. Entendons-nous bien, pas question d’accumuler des statuettes ou des masques achetés sur les marchés. «Je veux donner au continent africain son premier musée d’art contemporain aux standards internationaux, confiait-il en 2013. J’y apporte plus de 500 oeuvres d’art. Mon modèle c’est le Withney à New York ou la Tate à Londres quand ils ont démarré.
______La vision du collectionneur,
comme tout ce que Zeitz touche, est mûrement réfléchie et très travaillée. C’est du dernier cri, avec curateur d’art et tout le toutim. Les oeuvres ont été acquises chez Bonham’s à Londres, dans les galeries de Cape Town où à la Documenta de Cassel, hauts lieux prisés du genre. « Jochen a rassemblé ce qui se fait de mieux, souligne l’un de ses anciens collaborateurs, il a également établi un programme de résidences d’artistes qui tournent tous les trois mois. » Au petit déjeuner on peut donc se retrouver avec Sue Williamson ou Owuzu Ankoma. «J’ai eu toutes ces idées il y a longtemps, mais elles ont pris du temps à mûrir. Il n’a jamais été question pour moi d’avoir juste un lodge ni même une ferme. Avec le tourisme, l’agriculture, nous pouvons avoir une influence bénéfique sur une population bien plus importante. On peut créer du travail localement, bien sûr, et avoir un effet multiplicateur sur les choses. Et in fine, ce n’est pas si modeste qu’on aurait pu l’imaginer au départ. » Surtout quand, comme Jochen Zeitz, on ne dort que trois ou quatre heures par nuit, qu’on est perfectionniste et qu’on se sent investi d’une mission qui vous dépasse : « C’est la curiosité qui mène ma vie. C’est comme ça que j’ai découvert les principes humains profonds que nous avons décrits dans notre livre. Cela m’a persuadé que ce que je pouvais accomplir dans le monde était important. »