ARCHITECTURE
Géométries libres, plans superposés, lignes tendues et cambrées, la vision déconstructiviste de l’architecte anglo-irakienne incarne-t-elle l’architecture de demain?
Zaha Hadid, le vertige de la courbe
Ala suite de son décès brutal d’une crise cardiaque le 31 mars 2016, la presse unanime pleurait l’architecte futuriste et visionnaire. La fondation du Prix Pritzker, qui lui décerna la prestigieuse récompense en 2004, déclarait que Zaha Hadid était « une pionnière dans le domaine de l’architecture ». On qualifie de visionnaire et de pionnier quelqu’un qui a l’intuition de l’avenir, qui fraie le chemin du futur. Zaha Hadid a-t-elle vraiment été tout cela ? Quel héritage laisse-t-elle à la postérité ? Première femme à recevoir le Prix Pritzker – le « Nobel » de l’architecture – et à remporter la médaille d’or de l’institut royal des architectes britanniques, Zaha Hadid est anoblie par la reine d’angleterre en 2012. Elle livre sa première oeuvre en 1993 sur le Campus Vitra près de Bâle: une caserne de pompiers anguleuse, prétexte pour une sculpture audacieuse faite de parois éclatées et d’arêtes. Après ce premier geste architectural, elle enchaîne les succès. Des Etats-unis à la Chine, ses créations marquent l’horizon. Le tremplin de saut à skis d’innsbruck, le Centre d’art contemporain de Cincinnati, le Musée MAXXI de Rome, le musée Riverside de Glasgow, l’opéra de Canton, de Dubaï, de Cardiff, l’aquatics Centre de Londres, un nombre incalculable d’édifices construits et de projets en cours qui prouvent sa virtuosité. Lauréate du concours pour le plus grand terminal aéroportuaire du monde, le Beijing New Airport Terminal Building au sud de Pékin, Zaha Hadid a eu de quoi assouvir sa soif de gigantisme. Evoquant des ailes de papillon, ce projet pharaonique est structuré selon les principes de l’architecture traditionnelle chinoise avec une cour centrale qui dessert des espaces interconnectés. Il permettra dès 2019 d’accueillir plus de 45 millions de passagers par an.
______Oeuvres manifestes
Le Musée national des arts du XXIE siècle à Rome, l’aquatics Centre à Londres ou le Centre culturel Heydar Aliyev à Baku en Azerbaïdjan constituent autant de manifestes de la quête de Zaha Hadid pour l’espace libre, délivré de la tyrannie de la pesanteur. Des architectures à la fois légères et complexes, faites de plans superposés, de concepts spatiaux dynamiques qui provoquent parfois d’ardentes polémiques. Mais à chaque fois, un geste architectural qui marque fortement l’espace. A Rome, son paquebot en béton propose des espaces d’exposition ouverts sans distinction entre intérieur et extérieur. Une cathédrale qui selon beaucoup
privilégie l’architecture au détriment de l’accrochage et ne facilite pas la circulation qui s’effectue par de longues rampes sinueuses. Qualifié de pachyderme bossu par « Libération » qui déplorait, lors de son ouverture en 2010, que Zaha Hadid s’était édifiée un « mausolée à sa propre divinité », le Maxxi s’érige en emblème de rupture avec l’ordre linéaire de l’architecture classique. Autre silhouette illustre, le monumental London Aquatics Centre, conçu pour les Jeux olympiques d’été de Londres en 2012, s’inspire de la géométrie fluide du mouvement de l’eau. Coiffé d’une structure en forme de vague, l’édifice a été décrit par « The Guardian » comme la plus époustouflante piscine municipale du monde. Depuis son indépendance en 1991, l’azerbaïdjan a investi dans les infrastructures pour moderniser le pays et prendre ses distances du régime soviétique et de son architecture. En 2007, elle remporte le concours pour le Centre culturel Heydar Aliyev à Baku, un projet hautement symbolique pour lequel Zaha Hadid adopte la géométrie de la liberté et signe un de ses ouvrages les plus frappants. Des formes libres qui coulent du bâtiment comme de la lave incandescente des sommets d’un volcan, évoquant la fluidité en opposition à la rigidité du passé. Une imposante structure sinueuse blanche qui se détache de la colline, une architecture en mouvement qui change en fonction de l’angle depuis lequel on la regarde. Oeuvre manifeste d’une vision idéalisée de culture ouverte, multiple et démocratique, l’édifice marque intensément le territoire en dépassant les limites de l’architecture pour devenir une véritable installation artistique en soi. Délicat et robuste en même temps, l’édifice dé-
Le Maxxi s’érige en emblème de rupture avec l’ordre linéaire de l’architecture classique
gage une sensation de légèreté et de fluidité grâce au continuum radical entre extérieur et intérieur ; une seule et même surface, comme une veste réversible, la structure invisible est absorbée par l’enveloppe architecturale; les sols blancs deviennent des murs blancs qui deviennent des plafonds blancs créant un espace immaculé, irréel. Le lieu est devenu rapidement le symbole de la renaissance du pays et de son émancipation.
______Technologie et innovation
Pionnière dans l’utilisation d’outils informatiques, Zaha Hadid a toujours mis au centre de son travail la technologie et l’innovation. Son côté visionnaire s’est exprimé à travers l’usage de nouveaux matériaux, de technologies et techniques de construction innovantes. Ses projets fous ont engendré des développements en architecture ainsi que dans les domaines attenants, rendant possibles des structures impensables aupara- vant. L’architecte irakienne a redéfini l’architecture du XXIE siècle avec un répertoire qui capture l’imaginaire collectif. Refusant l’ordre linéaire de l’architecture moderne, assumant pleinement la rupture avec l’histoire, la société, le site, Zaha Hadid constitue une des principales figures du déconstructivisme architectural. Par des opérations de distorsion, de dislocation ou d’interruption sur les structures, elle a dérangé la perception et a participé à créer de nouvelles configurations spatiales. Et si ces créations passent pour des exercices de style purement formels aux yeux de ses détracteurs, il n’en reste pas moins que chacun de ses projets exprime un indéfectible optimisme envers le futur. C’est lui qui aura le dernier mot.