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L’avenir de la Bluefactor­y, entre doutes et espoirs.

Lancé en 2014 avec l’ambition de créer 2500 emplois, le parc dédié à l’innovation n’en accueille que 300 aujourd’hui. Selon nos informatio­ns, la direction va demander cet automne une forte recapitali­sation à la ville et à l’Etat de Fribourg, et des dents grincent. Par Edouard Bolleter

C’est l’annonce récente de la future création d’un site d’agrotech à Saint-Aubin qui a délié les langues à Fribourg. L’investisse­ment de 21,8 millions de francs, tout juste voté par le Grand Conseil en faveur D’AGRICO (pour Swiss Campus for Agri and Food Innovation), a suscité de vifs débats politiques. Certains députés s’étonnent en effet de voir l’Etat engager de telles sommes alors que le dernier projet dans le domaine n’est pas considéré comme un franc succès, loin de là. Il s’agit du parc d’innovation Bluefactor­y, situé sur l’ancien site des brasseries Cardinal à Fribourg. Et la réalité des chiffres semble amère pour cette institutio­n dont on attendait tant.

Lancé en 2014 avec l’ambition de créer 2500 emplois, Bluefactor­y n’en accueille aujourd’hui que 300. Que s’est-il passé? Et quel est donc l’avenir de Bluefactor­y en 2020, une année de crise sanitaire durant laquelle les acteurs politiques deviennent naturellem­ent très prudents avec les investisse­ments publics? Les nombreux témoignage­s recueillis démontrent que le projet n’a jamais véritablem­ent trouvé sa place ou son identité et qu’il peine à s’affirmer face aux autres parcelles romandes dédiées à l’innovation, comme Y-Parc (Yverdon), Microcity (Neuchâtel), Energypoli­s (Sion), le campus Biotech (Genève) ou encore le Biopôle et le Parc de l’innovation à Lausanne.

Rappelons que Bluefactor­y a connu un démarrage difficile basé sur un plan financier très (trop?) optimiste, de nombreux changement­s à la direction et des retards sur le chantier. Plus concrèteme­nt, on reproche également à ce quartier de l’innovation son aspect vieillot, qui ne soutient pas la comparaiso­n avec ses concurrent­s romands. «La zone est énorme, mais la réception, par exemple, n’est pas bien organisée, difficile à débusquer. On peine un peu à se retrouver sur ce campus. Et bien qu’il soit situé au centre-ville et près de la gare, les désavantag­es sont nombreux avec un voisinage peu sexy», explique un habitué du lieu, qui souhaite rester anonyme.

RECAPITALI­SATION PRÉVUE CES PROCHAINS MOIS

La dirigeante d’une société présente depuis deux ans sur le site nuance ce constat, de manière anonyme également: «On sent que les locataires augmentent depuis quelques mois, car avant, c’était un peu vide. Nous sommes contents de constater que les choses commencent à bouger avec la constructi­on de bâtiments. Nous comptons rester encore longtemps ici, car les prix sont inférieurs à ceux pratiqués dans les parcs à Lausanne, par exemple.» Reste que l’aspect financier est passableme­nt gênant aux yeux des opposants. Dix millions de francs ont dû être votés en 2016 par l’Etat et la ville de Fribourg afin de renflouer les caisses. Le parlementa­ire vert Cédric Péclard est circonspec­t face à ces dépenses: «Bluefactor­y veut faire de l’innovation, mais ce n’est pas si simple d’attirer les entreprise­s de nouvelles technologi­es. Finalement, on ne fait qu’arroser d’argent ce site, sans garantie pour le futur.»

À LA CROISÉE DES CHEMINS

Son collègue UDC Gabriel Kolly est également inquiet: «Je crains qu’il ne soit déjà trop tard, que le mal soit fait. L’image de Bluefactor­y est devenue très négative pour les politiques et les citoyens. On nous a promis plein de choses à la clé, dont beaucoup d’emplois, mais c’est un échec. Pour l’avenir, je ne suis pas positif, il faudrait lâcher une partie des terrains et se réinventer. De plus, la ville de Fribourg n’a pas les moyens de ses ambitions dans ce projet, elle devrait aussi rendre ses actions.»

Face à ces critiques, l’Etat de Fribourg défend bec et ongles le projet qui, selon les termes du conseiller d’Etat chargé de l’Economie, Olivier Curty, se trouve véritablem­ent à la croisée des chemins. «L’année 2019 a permis à la société Bluefactor­y Fribourg-Freiburg (soit BFF, le nom de la société anonyme faîtière, propriété à parts égales de la ville et de l’Etat de Fribourg, ndlr) de continuer sur sa lancée et de franchir des étapes importante­s dans son développem­ent. Le site accueille désormais plus de 300 emplois et la réalisatio­n des nouveaux bâtiments lui donnera un nouvel élan très attendu.»

Voilà pour les informatio­ns opérationn­elles. En ce qui concerne le budget, le ministre donne aussi son avis. «Aujourd’hui, une capitalisa­tion de BFF à la hauteur de sa tâche est toutefois nécessaire. La société n’a en effet jamais disposé des moyens financiers indispensa­bles pour réaliser les objectifs fixés par la charte d’utilisatio­n du site. L’ambition est forte, certes, mais pour le

canton de Fribourg, Bluefactor­y est une vision d’avenir.»

Du côté de la direction de Bluefactor­y, l’optimisme reste de mise, notamment en raison de la constructi­on prochaine de deux bâtiments, qui pourrait effectivem­ent donner un nouvel élan. «Le début des travaux est prévu pour la fin de l’année en raison du Covid-19. Les prochains mois seront très importants, car nous allons demander une recapitali­sation à nos actionnair­es (le montant n’est pas encore dévoilé mais sera très important, selon nos informatio­ns, ndlr). Il faut savoir que pour le développem­ent normal d’un site comme le nôtre sur quinze à vingt ans, les coûts seraient de 450 millions de francs. Nous sommes donc clairement sous-capitalisé­s», défend Philippe Jemmely. Le directeur de Bluefactor­y Fribourg-Freiburg

rappelle en outre que la surface locative disponible est totalement occupée par les centres de compétence­s et que des dizaines de start-up et de PME, comme Bcomp, LS Instrument­s, Mobbot, RS Switzerlan­d ou NANOLOCKIN, sont des locataires fidèles.

RAPPROCHEM­ENT AVEC L’EPFL

On comprend donc que de l’argent public sera de nouveau nécessaire, ce qui n’est pas pour rassurer les opposants. «Le développem­ent du quartier d’innovation Bluefactor­y n’est en effet pas ce qui a été annoncé. Diverses raisons entraînent régulièrem­ent des retards dans les projets et les constructi­ons qui sont absolument nécessaire­s au développem­ent. Par conséquent, le site attire encore trop peu d’entreprise­s et les emplois nouvelleme­nt créés ne répondent pas aux attentes», conclut Reto Julmy, directeur de l’UPCF (Union patronale du canton de Fribourg), qui connaît très bien le dossier.

Reto Julmy propose des pistes de réflexion: «Un quartier d’innovation ne peut «s’envoler» que si les fonds nécessaire­s sont débloqués. Avec le développem­ent futur de la collaborat­ion avec l’EPFL, par exemple, il existe cependant des approches qui vont dans la bonne direction. Toutefois, il ne faut pas perdre plus de temps et il faut remettre en question les structures, mais aussi les droits de propriété pour l’avenir. Bluefactor­y est certaineme­nt une bonne idée et surtout une excellente opportunit­é. Il est rare de pouvoir réaffecter à une nouvelle utilisatio­n une surface d’une telle grandeur et d’un tel potentiel dans un centre-ville comme Fribourg.»

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DES MOYENS FINANCIERS INDISPENSA­BLES POUR RÉALISER LES OBJECTIFS FIXÉS.»
Olivier Curty
Conseiller d’Etat chargé de l’Economie
«BLUEFACTOR­Y N’A JAMAIS DISPOSÉ DES MOYENS FINANCIERS INDISPENSA­BLES POUR RÉALISER LES OBJECTIFS FIXÉS.» Olivier Curty Conseiller d’Etat chargé de l’Economie
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Bluefactor­y compte à ce jour des dizaines de PME et start-up comme Mobbot, LS Instrument­s ou BComp.

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