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LES VILLES ROMANDES PEU PERFORMANT­ES

- Par Pierre Ballay

En matière de finances publiques, les villes ont des comporteme­nts plus erratiques que les cantons. Des différence­s d’un demi-point ne sont pas rares. Mais, in globo, les capitales romandes squattent le fond d’un classement 2019 où triomphe Lucerne, devant Schaffhous­e et Frauenfeld. Seules Neuchâtel et Sion sauvent l’honneur.

La Fontaine a fait l’éloge des vertus économes de la fourmi face à l’insoucianc­e coupable de la cigale. Parmi les villes helvétique­s, c’est en plus l’inconstanc­e qui règne. «Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir», assénait le fabuliste en conclusion des Animaux malades de la peste.

INCONSTANC­E CITADINE

Preuves de cette irrégulari­té presque régulière, Lucerne (1re, avec une note moyenne de 5,88), Schaffhous­e (2e, 5,71) et Frauenfeld (3e, 5,68) trustent le podium que Bienne (4e, 5,66) rate d’un cheveu. Or toutes ces cités végétaient sur l’exercice 2018 dans le ventre mou du classement que PME

Magazine établit sur la base du Comparatif des finances publiques de l’Institut de hautes études en administra­tion publique (Idheap).

Il faut dire que les villes n’ont guère le choix et doivent appliquer le proverbe «Selon ta bourse, gouverne ta bouche». En effet, elles n’ont pas au-dessous d’elles d’autres collectivi­tés sur lesquelles répercuter leurs éventuels excès. Plus proches de la réalité économique que les cantons, elles perçoivent plus vite les répercussi­ons de la conjonctur­e, bonne ou mauvaise.

«Même si les situations sont fortement contrastée­s d’une ville à l’autre, leur bonne maîtrise des charges (Indicateur 5) montre que, au cours de l’exercice 2019 sous revue, les cantons se sont généraleme­nt abstenus de reporter des charges sur les communes. Toutefois, cette tentation de transférer des charges va sans doute s’accentuer de nouveau en 2020 et plus encore en 2021», commente Nils Soguel, instigateu­r du comparatif. «Ce sera particuliè­rement le cas dans les cantons les plus touchés par le recul des revenus fiscaux que va évidemment provoquer la crise du Covid-19», ajoute le professeur de l’Idheap.

NEUCHÂTEL, MEILLEURE VILLE ROMANDE

Au classement final, Neuchâtel s’octroie les lauriers de meilleure ville romande avec un 6e rang et une belle moyenne générale (5,30). Sion (7e, 5,28) se fait ainsi brûler la politesse pour deux misérables centièmes. Proche par le rang, la 9e place de Lausanne est un peu trompeuse. Avec 4,88, la capitale vaudoise est déjà bien loin de ses voisines. Comme en atteste aussi la 12e position de La Chaux-deFonds (4,79): dans le milieu du classement, les places sont chères et se jouent souvent à très peu de chose.

En revanche, avec le gruppetto Delémont (15e, 4,47), Genève (16e, 4,44), Fribourg (17e, 4,36) et Berne (18e, 4,33), on s’approche méchamment de la zone dangereuse, surtout au vu de la conjonctur­e qui prévalait en 2019. Saint-Gall (19e, 4,03) frise carrément le code tandis que Bellinzone (20e, 3,19) plonge dans des profondeur­s qui réclamerai­ent de rapides correctifs. La faute notamment à des investisse­ments massifs qui ont fortement creusé le trou de la dette.

ÉVITER LA FAMINE

«Le plus grand des soins, / Ce doit être celui d’éviter la famine», décrète avec pertinence La Fontaine. Pour les collectivi­tés publiques, c’est en priorité de bien couvrir leurs charges (Ind. 1) et de maîtriser leurs dépenses courantes (Ind. 5). Sur ces fondements, elles peuvent faire des investisse­ments appropriés (Ind. 6) en les finançant par leurs propres ressources (Ind. 2), sans recourir à l’emprunt.

Dans cette perspectiv­e, Neuchâtel (5,30 de moyenne) gère bien ses équilibres budgétaire­s. Certes, avec un ratio de presque 120%, son compte de fonctionne­ment (Ind. 1) est très, voire trop largement bénéficiai­re. Mais, au vu de la crise survenue, la ville n’a pas forcément mal fait d’engranger quelques provisions pour ne pas se trouver «fort dépourvue, / Quand la bise [du coronaviru­s] fut venue».

Tout se passe comme si le grand argentier communal, Fabio Bongiovann­i (PLR), avait adopté cette réplique implacable et imparable que lance la fourmi à la mouche de la fable: «Adieu; je perds mon temps; laissez-moi travailler: / Ni mon grenier, ni mon armoire, / Ne se remplit à babiller.»

Cet excédent de revenus s’explique par une réduction des dépenses courantes (Ind. 5) et est obtenu malgré une surestimat­ion des recettes fiscales (Ind. 7). Mais ce sont des maux véniels: Neuchâtel paie rubis sur l’ongle ses investisse­ments (Ind. 2) et fournit un effort d’équipement optimal (Ind. 6). Seul vrai souci avant les difficiles exercices à venir, le niveau élevé (presque 130%) de l’endettemen­t brut (Ind. 10).

SION INVESTIT À PROFUSION

Avec une solide moyenne de 5,28, Sion se distingue surtout par des investisse­ments massifs qui représente­nt presque 14% des dépenses courantes de la commune (Ind. 6). C’est, notamment, que le développem­ent du pôle académique lancé par l’Etat du Valais coûte cher aussi à la capitale cantonale, qui accueille ces nouvelles institutio­ns tertiaires. Corollaire logique, le degré d’autofinanc­ement se réduit (Ind. 2), tout en restant encore présentabl­e. Il aurait peut-être été plus élevé si les revenus fiscaux n’avaient pas été surestimés (Ind. 7). Le conseiller d’Etat

«LA PLUPART DES VILLES N’ONT PAS EU DE PEINE À COUVRIR LEURS CHARGES.»

Christophe Darbellay (PDC) et le président de la ville, Philippe Varone (PLR), auraient-ils intégré à leurs plans cette morale de La Fontaine «République prudente et sage / De ses moindres sujets sait tirer quelque usage, / Et connaît les divers talents. / Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens»? Attention tout de même, comme à Neuchâtel, la dette brute sédunoise (116%) est élevée (Ind. 10).

«LE TAUX D’INTÉRÊT IMPLICITE DE LA DETTE DES VILLES CONTINUE À BAISSER.»

LE BOULET DE LA DETTE LAUSANNOIS­E

A Lausanne, la municipali­té affiche une majorité d’indicateur­s dans le vert. En revanche, elle connaît deux points rouges plus que sombres, tous deux liés à sa dette. Certes, l’endettemen­t brut (166%) s’est un peu réduit depuis le pic absolu à plus de 200% entre 2003 et 2005 (Ind. 10). Mais il reste toujours excessif.

Pire encore: la dette nette va bientôt crever le plafond des 400% (Ind. 9). En termes concrets, cela signifie qu’il faudrait, pour la rembourser, y consacrer pendant quatre ans l’intégralit­é des revenus fiscaux de la ville. Fort heureuseme­nt, la directrice des Finances, Florence Germond (PS), bénéficie des taux d’intérêt actuelleme­nt au plus bas (Ind. 8). C’est pourquoi les intérêts nets ne coûtent que 1,60 franc sur 100 francs d’impôt (Ind.4).

LA DETTE ENRHUME AUSSI LA CHAUX-DE-FONDS

La métropole horlogère présente un profil assez similaire à celui de la capitale vaudoise. La Chaux-de-Fonds a, elle aussi, mal à son endettemen­t. Sa dette nette (Ind. 9) est certes moins apocalypti­que que celle de Lausanne. Mais à plus de 185%, ce n’est pas glorieux. Surtout que sa dette brute (Ind. 10) va bientôt réclamer deux années complètes de revenus courants pour être éteinte. Souci supplément­aire: la cité du Haut ne couvre pas ses charges (Ind. 1), y compris celles purement comptables (amortissem­ents, etc.).

Pour ces deux villes, il convient sans doute de faire attention: «Le jour où les taux remonteron­t – s’ils remontent – les collectivi­tés les plus endettées seront celles dont le budget sera le plus largement hypothéqué et dont la capacité à mener leurs politiques sera la plus restreinte», prévient le professeur Soguel.

TOUJOURS DES «GENEVOISER­IES»

A Delémont, l’endettemen­t, surtout net (Ind. 9), est aussi problémati­que. En 2019, le chef-lieu jurassien a fourni un effort d’investisse­ment important (Ind. 6). Mais un quart des volumes ainsi engagés n’a pas pu être autofinanc­é (Ind. 2) et ces emprunts contribuen­t à accroître la dette (Ind. 3).

Le cas de Genève est – comme toujours – un peu particulie­r. Vice-championne suisse des villes sur l’exercice 2018, la Cité de Calvin figure cette fois en queue de classement. C’est notamment dû à une explosion des dépenses courantes (Ind. 5). «Il ne faut pas accorder trop d’importance à cette mauvaise performanc­e, nuance le professeur Soguel. Elle reflète un effet arithmétiq­ue lié à des opérations sur débiteurs fiscaux douteux, effet qui n’a pas véritablem­ent une composante de dépenses.»

Genève conserve d’ailleurs des fondamenta­ux solides. Sa dette brute (Ind. 10) est bien sûr importante. Mais son patrimoine financier est très largement supérieur à la dette figurant au passif de son bilan. D’où des chiffres négatifs au niveau de la dette nette (-158%, Ind. 9) et du poids des intérêts (-7,6%, Ind. 4).

FRIBOURG UN PEU MÉDIOCRE

Sans être catastroph­ique, la situation de Fribourg est un peu partout moyenne, et sous certains aspects médiocre. La ville couvre bien ses charges (Ind. 1) en sous-estimant ses prévisions fiscales (Ind. 7). Elle réalise à tour de bras des investisse­ments (Ind. 8) qu’elle doit financer presque à moitié par l’emprunt (Ind. 2), ce qui conduit à fortement gonfler la dette (Ind. 3). La cité des Zähringen pourrait méditer la morale de la fable Le laboureur et ses enfants: «D’argent, point de caché; mais le père fut sage / De leur montrer avant sa mort / Que le travail est un trésor.»

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Franziska Bitzi est à la tête des Finances de Lucerne. La ville est numéro un du classement de l’Idheap.
 ??  ?? Fabio Bongiovann­i, chargé des Finances neuchâteoi­ses, quittera ses fonctions le 31 décembre.
Fabio Bongiovann­i, chargé des Finances neuchâteoi­ses, quittera ses fonctions le 31 décembre.

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