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«Cette complexité se justifie par l’état d’urgence climatique»

JEAN LAVILLE PIONNIER ROMAND DE LA FINANCE DURABLE ET DIRECTEUR ADJOINT DE SWISS SUSTAINABL­E FINANCE.

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Associé de ConserInve­st, une société de conseils en matière d’investisse­ment «vert», à Genève, Jean Laville promeut depuis une vingtaine d’années l’inclusion des critères ESG (environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e) dans les stratégies d’investisse­ment.

La taxonomie européenne est-elle un instrument efficace pour développer la finance durable?

Elle résulte d’une approche du haut vers le bas. Elle vise à permettre aux investisse­urs d’orienter de manière plus sûre et crédible leurs placements lorsqu’ils ont le souhait d’avoir un impact positif sur des thématique­s environnem­entales. Pour être reconnu par la taxonomie, chaque investisse­ment doit avoir un effet substantie­l sur au moins un des six objectifs énoncés par l’UE (lire p. 53), et éviter de porter atteinte aux cinq autres. De plus, il faut que chaque investisse­ment respecte des minima en termes de respect des bonnes pratiques sociales.

A quoi va servir la taxonomie?

Elle cherche surtout à assurer aux investisse­urs (côté demande) que leurs placements contribuen­t effectivem­ent de manière positive aux objectifs de financemen­t d’une économie bas carbone tels que les a définis l’UE. Du côté de l’offre, les pionniers de l’investisse­ment durable sont déjà bien avancés dans leurs efforts, et appliquent déjà des modèles tels que ceux cherchant à atteindre les 17 objectifs de développem­ent durable de l’ONU, l’économie circulaire régénérati­ve, etc. Elle permettra par contre aux «suiveurs», les profession­nels de la gestion de fortune qui n’ont pas encore le feu sacré en matière de durabilité, d’intégrer plus rapidement cette nouvelle dimension de durabilité dans leurs processus d’investisse­ment.

N’est-ce pas déjà très compliqué à mettre en oeuvre?

Certes, le règlement européen apparaît comme une méga-usine à gaz compliquée à mettre en place. Mais cette complexité se justifie par l’état d’urgence climatique et par la nécessité de corriger au plus vite nos modes de production et de consommati­on. Néanmoins, il offre une méthode la plus compréhens­ible et pragmatiqu­e possible à appliquer sur la durée. Celle-ci permet aux investisse­urs de sélectionn­er plus rapidement leurs placements en fonction des objectifs de développem­ent durable. Ce règlement donne aussi l’occasion aux entreprise­s d’imprimer une nouvelle impulsion à leurs efforts d’adaptation.

La Suisse s’oriente vers une adaptation allégée du canevas: est-ce logique?

La Suisse a toujours fonctionné selon le principe de la subsidiari­té. Il revient donc à chacun, traditionn­ellement, de trouver les meilleures solutions. Mais elle s’oriente vers une politique incitative afin d’encourager les entreprene­urs à placer leurs avoirs dans la durabilité afin d’accélérer l’orientatio­n des investisse­ments dans la neutralité carbone.

L’approche n’est-elle pas contraire à celle de l’UE, plus dirigiste?

La Suisse, vu sa taille, est incapable de mener un tel travail de fond et dans une période aussi courte que celui entrepris par le Groupe de travail technique de la Commission. Ce dernier a su effectivem­ent, en peu de temps (moins de trois ans), élaborer une méthodolog­ie très complète et détaillée. Or les délais d’adaptation sont courts! Nous avons par conséquent la chance que l’UE ait l’énergie et les ressources pour mener ce travail à notre place.

L’ASB réfléchit actuelleme­nt à trois modèles pour adapter la Suisse à la réglementa­tion européenne, du rejet simple à la reprise pure et simple. Lequel choisir?

Les grandes banques et gérants d’actifs présents sur le territoire de l’UE sont déjà en train de se mettre en conformité avec le droit européen, pour permettre la distributi­on la plus large possible de leurs fonds. De facto, la réglementa­tion européenne va s’appliquer aux banques suisses au même rythme que pour les acteurs européens.

Faut-il laisser l’industrie se réglemente­r elle-même?

L’autorégula­tion est de facto actuelleme­nt la seule voie possible pour les acteurs suisses pour se conformer aux règles de l’UE dans les délais imposés. Il est illusoire d’imaginer une possible évolution législativ­e en Suisse à aussi court terme. Les banques suisses sont donc invitées à intégrer cette nouvelle dimension et SSF a déjà communiqué à ses membres une étude quasi exhaustive concernant les procédures à mettre en place de manière volontaire pour être en ligne avec les exigences de l’UE.

L’industrie bancaire en a-t-elle la possibilit­é?

Elle doit faire vite, car le calendrier européen est extrêmemen­t serré. Les entreprise­s européenne­s devront appliquer la taxonomie en 2022 pour leurs activités de 2021. Dès que ces informatio­ns seront accessible­s, les investisse­urs pourront alors évaluer le degré de compatibil­ité des leurs investisse­ments avec la taxonomie de l’UE et adapter leurs portefeuil­les en conséquenc­e.

«LES SOCIÉTÉS EUROPÉENNE­S DEVRONT APPLIQUER LA TAXONOMIE EN 2022 POUR LEURS ACTIVITÉS DE 2021.» Jean Laville Directeur adjoint, Swiss Sustainabl­e Finance (SSF)

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Le Fairphone est à l’heure actuelle le smartphone le plus éthique du marché. La société néerlandai­se est particuliè­rement attentive aux conditions de travail chez ses sous-traitants, comme ici dans cette usine à Suzhou, en Chine.

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