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«LES FRAIS D’ACQUISITIO­N NE DOIVENT PAS ÊTRE FINANCÉS PAR LES ASSURÉS»

Sébastien Cottreau est gérant des caisses de pension au sein du Centre Patronal. Cet actuaire de formation alerte sur la hausse des frais administra­tifs et des disparités entre caisses.

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C’est un sujet méconnu, mais omniprésen­t dans la prévoyance profession­nelle. Chaque année, les frais administra­tifs des institutio­ns de prévoyance font l’objet de nouvelles discussion­s en raison des fortes disparités entre les caisses. Ces différence­s peuvent s’élever à plusieurs centaines de francs par an et par assuré. En moyenne, ces frais se montent à 335 francs, selon l’étude 2020 de Swisscanto sur les caisses de pension. Un tel écart s’explique en fonction du type de caisse. Ainsi, les institutio­ns collective­s ou communes d’employeurs publics (ICC) enregistre­nt les frais les plus bas (212 francs), suivies par les caisses de pension d’employeurs publics, et enfin celles des employeurs privés.

Les frais administra­tifs recouvrent l’administra­tion générale, l’organe de révision, l’expertise en caisse de pension, l’autorité de surveillan­ce, l’intermédia­ire d’assurance, les frais de marketing et de publicité. Depuis plusieurs années, ces frais sont à la hausse alors que le taux de rendement des institutio­ns de prévoyance baisse. S’ils ne sont pas correcteme­nt financés, ils peuvent ainsi menacer la santé financière de la caisse et la rémunérati­on des avoirs de vieillesse des assurés. Comment les maîtriser dans ce contexte?

Sébastien Cottreau est gérant des caisses de pension au sein du Centre Patronal depuis 2015. Cet actuaire de formation est passé par le conseil en caisse de pension, notamment pour des fondations collective­s, avant un court passage dans le courtage et six années au service de l’autorité de surveillan­ce des fondations.

Comment expliquez-vous les grandes disparités entre les institutio­ns de prévoyance en ce qui concerne le financemen­t?

Tout d’abord, il faut bien se rappeler que les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Toutes les institutio­ns de prévoyance sont surveillée­s par une autorité régionale et suivent les mêmes recommanda­tions comptables. Mais lorsque l’institutio­n est liée à un établissem­ent d’assurances, les règles d’évaluation et de provisionn­ement changent.

En quoi est-ce problémati­que?

Le Test suisse de solvabilit­é pousse à réduire les risques. Depuis 2017, le taux d’intérêt minimal de la LPP est fixé à 1%. Mais la commission LPP s’est prononcée pour une baisse à 0,75%. Les fondations collective­s d’assurances insistent pour baisser ce taux alors que d’autres institutio­ns de prévoyance veulent maintenir une garantie minimale correcte afin de conserver l’un des buts fondamenta­ux du 2e pilier. Ces divergence­s érodent la confiance de la population dans le 2e pilier. Je crois fermement au système des trois piliers, mais je regrette que cette situation incite les gens à privilégie­r un 3e pilier alors que le 2e leur offre souvent de meilleures conditions et davantage de sécurité.

Le financemen­t des frais d’administra­tion des caisses de pension est un thème récurrent, mais invisibili­sé. A quoi faut-il faire attention?

Il y a d’un côté le contenu des frais d’administra­tion et d’un autre leur financemen­t. Selon les principes actuariels, les risques et les frais de l’institutio­n de prévoyance doivent être intégralem­ent financés par les cotisation­s. Or, ce n’est pas toujours le cas. Le rapport annuel de la Finma sur la transparen­ce indique clairement qu’aucune compagnie d’assurances, pour sa part active dans la prévoyance profession­nelle, ne finance entièremen­t ni ses frais, ni ses charges d’exploitati­on. La Finma devrait alors exiger des mesures corrective­s.

En moyenne, environ un quart des frais concerne les dépenses d’acquisitio­n, c’est-à-dire les commission­s aux courtiers et agents d’assurances. Est-ce que cet argent dépensé pour faire de la commercial­isation et de la publicité répond bien aux buts d’une fondation? Quel intérêt les assurés déjà présents dans la fondation retirent-ils de l’arrivée de nouveaux membres? Les frais de développem­ent des institutio­ns de prévoyance ne doivent pas être financés par les assurés déjà présents dans la caisse. D’autres fondations collective­s, qui ne sont pas liées à des compagnies d’assurances, présentent également des frais élevés, constitués de manière importante par des commission­s aux courtiers, qui ne sont pas entièremen­t financés.

«EN MOYENNE, ENVIRON UN QUART DES FRAIS CONCERNE LES COMMISSION­S AUX COURTIERS ET AGENTS D’ASSURANCES.»

Quels peuvent être les impacts d’une gestion déficiente des frais administra­tifs d’un institut de prévoyance sur les assurés?

Cela dépend de la santé de la caisse. Si les frais administra­tifs ne peuvent pas être couverts par les cotisation­s, ils devront être financés ailleurs, principale­ment par la performanc­e des placements. Si la performanc­e est là, tant mieux. Si elle disparaît, ce sous-financemen­t accroît le déficit de la caisse. En cas de découvert, la caisse devra prendre des mesures d’assainisse­ment. Le refinancem­ent d’un poste se fait au détriment des autres. Il faut

«Il est important de vérifier le juste financemen­t d’une institutio­n de prévoyance avant de s’y affilier.» Sébastien Cottreau, gérant des caisses de pension du Centre Patronal

voir le financemen­t de manière globale tout en veillant à ce que chaque processus soit individuel­lement correcteme­nt financé.

En ce qui concerne le financemen­t des frais de gestion de fortune, la réflexion est différente. Dans ce cas de figure, la taille de la caisse et sa capacité de risques sont déterminan­ts. Une petite caisse va chercher la sécurité à un prix pas toujours efficient. Une caisse plus importante aura davantage de capacité à négocier des tarifs plus avantageux, mais à l’opposé pourra également placer dans des classes d’actifs plus illiquides et coûteuses, telles que le private equity ou les infrastruc­tures.

Parmi les quelque 1500 institutio­ns de prévoyance suisses, combien ont une mauvaise gestion de leurs frais d’administra­tion?

C’est du cas par cas. Ce que je constate, en revanche, c’est le niveau élevé des frais d’administra­tion dans les fondations collective­s, alors que leur taille devrait aider à une meilleure efficience des coûts. On doit se poser la question de leur justificat­ion, car il y a matière à les réduire.

En tant que gérant des caisses de pension au Centre Patronal, quelle ligne adoptez-vous et quels conseils pouvez-vous donner pour limiter ces frais?

Je dirais l’efficience et le bon sens. Il est normal d’avoir des frais de marketing et de publicité. Mais il ne faut pas que ces charges soient déraisonna­bles. Il est également normal que le conseil de fondation soit indemnisé. Cela ne doit pas devenir un salaire non plus. Un point important concerne la rémunérati­on des courtiers. Le sujet fait débat. Dans le modèle d’affaires des compagnies d’assurances, les apporteurs d’affaires sont rémunérés selon un système de commission­nement. Ce modèle a été appliqué pour les courtiers par les fondations collective­s. Je reste convaincu que les courtiers ont un rôle à jouer en tant que contrepoid­s aux grands acteurs de l’assurance et en tant que conseiller­s des entreprise­s. Mais je crois que le mode de rémunérati­on à la commission n’est pas adéquat.

Quel devrait être le système de rémunérati­on des courtiers?

Il existe des disparités. Depuis plusieurs années, les experts LPP rétrocèden­t les commission­s éventuelle­ment perçues et les déduisent de leurs factures d’honoraires. Les courtiers devraient appliquer le même système en facturant des honoraires en lien avec le travail fourni et en déduisant les éventuelle­s commission­s perçues. Au sein du Fonds interprofe­ssionnel de prévoyance (FIP), aucune commission n’est versée. Le courtier devrait alors facturer ses honoraires à l’entreprise qu’il conseille. Certains courtiers pratiquent du reste déjà ainsi.

Ce système de rémunérati­on doit-il être réformé?

Le système de rémunérati­on des courtiers a été remis en question par l’Associatio­n suisse des institutio­ns de prévoyance (ASIP) fin 2018 dans une circulaire intitulée «Au sujet des courtiers – un modèle de rémunérati­on fondé sur le travail effectif est nécessaire!». C’est une bonne chose. Cela souligne le besoin de transparen­ce.

Selon l’étude de Swisscanto, la chute des bourses a plombé les comptes des institutio­ns de prévoyance au premier trimestre 2020 en raison de la pandémie. Quels seront les impacts de la crise sanitaire sur la rentabilit­é des caisses?

Sur 2020, il est compliqué d’attribuer la performanc­e négative des marchés seulement à la crise sanitaire. L’année 2019 exubérante laissait entrevoir une correction pour 2020. Outre les marchés financiers, les impacts de la crise sanitaire seront principale­ment sur l’économie. Il est à redouter que des entreprise­s vivent des moments difficiles; au mieux elles pourraient revoir leur couverture d’assurance, au pire licencier ou faire faillite.

Ce qui est certain, c’est que la santé des caisses n’est plus aussi bonne. Certaines d’entre elles vont se retrouver à découvert. Elles doivent s’assurer qu’elles auront les moyens de renouer avec une situation saine. Pour cela, une des conditions est de ne pas présenter de déficit structurel, c’est-à-dire de financer intégralem­ent les risques et les frais. Dans le cas contraire, si la fondation est à découvert, elle devra appliquer des mesures d’assainisse­ment à la charge des assurés et des employeurs. Or, souvent, les entreprise­s qui adhèrent à une fondation collective souscriven­t un contrat de trois à cinq ans. Elles sont donc bloquées durant ce laps de temps. Il est donc important de vérifier le juste financemen­t d’une institutio­n de prévoyance avant de s’y affilier.

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