PME

Dénominati­on

- Par Carole Extermann

Patron, boss, chef, CEO: quel titre choisir?

La gestion moderne d’une entreprise implique souvent un effacement de la hiérarchie, mais le titre choisi par celui ou celle qui la dirige ne conditionn­e pas toujours le rapport aux collaborat­eurs. Témoignage­s sur les différente­s pratiques en fonction des secteurs.

Peut-on encore se faire appeler «patron» en 2020? Majoritair­ement utilisées dans la presse, les appellatio­ns «patron», «petit patron» ou «chef» semblent avoir mauvaise réputation dans la pratique. Certains entreprene­urs ont conservé cette tradition tandis que d’autres la déjouent en utilisant des titres insolites. C’est le cas de Pascal Meyer, à la tête de l’entreprise de vente en ligne Qoqa, qui signe «fondateur et loutre en chef» sur sa carte de visite. Les entreprene­urs de différents secteurs témoignent des implicatio­ns liées à l’utilisatio­n du terme «patron», l’influence du titre sur la gestion d’entreprise et les alternativ­es possibles à ce terme souvent considéré comme désuet.

CHEZ LES CRÉATIFS

Le patron, c’est le père, le patriarche, celui qui, au →I→e siècle, est autant le responsabl­e de l’entreprise que le chef de la famille. Une conception patriarcal­e bien loin de celle établie dans l’agence de publicité M&C Saatchi dirigée par Olivier Girard. «Dans le monde de la publicité, tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, c’est une donnée de base, explique l’entreprene­ur. Ce secteur est largement influencé par les habitudes anglo-saxonnes. Toute la terminolog­ie utilisée, advertisin­g, briefing, strategy, vient de l’anglais.»

Sur sa carte de visite, Olivier Girard a inscrit «Creative Director and Founder». Selon lui, il s’agit moins de l’indication d’une position hiérarchiq­ue que de la désignatio­n d’une fonction. «Mon rôle est de diriger la création. Dans ce domaine, le terme «directeur» est employé différemme­nt. Les étudiants qui obtiennent leur diplôme se définissen­t comme directeurs artistique­s, même lorsqu’ils n’ont pas encore d’emploi. Au sein de l’agence, il n’y a pas de hiérarchie; nous sommes complément­aires, chacun a une mission différente et mon rôle est de

coordonner le tout.» Une habitude qui ne s’applique pas à tous les domaines. Au sein de l’entreprise Genecand Traiteur, Gislain Genecand se fait aujourd’hui encore appeler «patron», et sans aucun complexe. «Je ne vois pas de connotatio­n négative à ce titre, défend-il. J’assume tout à fait mon statut. Je ne le vois pas comme une marque d’autorité; mon activité consiste à diriger l’entreprise, c’est tout.»

L’entreprene­ur genevois affirme par ailleurs que s’il avait été une femme, il se serait fait appeler «patronne». En 2011, la quatrième génération a fait son entrée dans l’entreprise: le neveu de Gislain Genecand, Arnaud Genecand, s’occupe aujourd’hui de la gestion de projets, et deviendra à son tour patron du service traiteur. Le jeune entreprene­ur conservera-t-il cette tradition? «Pour l’instant, les collaborat­eurs ne l’appellent pas «patron», confie son oncle.

L’appellatio­n adoptée par la personne à la tête d’une entreprise ne conditionn­e pas nécessaire­ment le rapport que celleci entretient avec ses employés. Cela semble également s’appliquer dans des secteurs où la hiérarchie des titres est particuliè­rement rigide. C’est le cas dans le milieu de la restaurati­on où le terme «chef» est encore couramment utilisé. Une règle à laquelle Dominique Gauthier, chef cuisinier du restaurant Le Chat-Botté, à Genève, n’a pas échappé. «Ce n’est pas par ego que je me fais appeler «chef», c’est un code en cuisine. Chaque statut a un nom précis. Lorsque j’annonce une commande, la brigade de cuisine doit répondre: «Oui, chef.» Et j’entends immédiatem­ent si une voix manque, et donc si j’ai besoin de répéter.»

Ce titre, qui peut porter l’idée d’une distance dans les rapports entre les collaborat­eurs, se révèle au contraire très tendre. «Je suis encore en contact avec le chef qui m’a formé, et je l’appelle toujours «chef» alors que je me sens proche de lui», ajoute le cuisinier.

Qu’en est-il de la relève? Quels conseils sont donnés en matière d’appellatio­n aux futurs entreprene­urs? «Il n’y a pas vraiment de recommanda­tions précises quant à la façon de se faire nommer en tant que dirigeant ou dirigeante d’entreprise, détaille Alexandre Caboussat, responsabl­e de la filière Internatio­nal Business Management à la Haute Ecole de gestion (HEG) de Genève. En cours, nous insistons plutôt sur les possibles variations culturelle­s que les étudiants pourront rencontrer dans leur futur poste.» Selon le spécialist­e, le titre choisi dépend de la taille de la structure, de la culture d’entreprise mise en place, du secteur, mais aussi de l’âge des entreprene­urs. Dans le cas d’une très petite entreprise, le tutoiement et l’utilisatio­n des prénoms paraissent naturels.

L’INFLUENCE DE L’ÂGE

Le dirigeant d’une société installée dans différents pays pourrait avoir, quant à lui, davantage tendance à utiliser des formules anglo-saxonnes telles que CEO. Enfin, l’âge de la personne à la tête d’une entreprise peut également avoir une influence: le vouvoiemen­t se révèle plus difficile à mettre en place lorsque l’âge est similaire à celui des collaborat­eurs.

«Je m’intéresse toujours aux entreprise­s qui défont complèteme­nt la hiérarchie, ajoute Alexandre Caboussat. Je me demande comment cette méthode s’accompagne concrèteme­nt.» L’enseignant fait partie du conseil de direction de la HEG et répond plutôt par son prénom. «Dans certaines circonstan­ces, il arrive qu’un collègue ajoute l’appellatio­n «boss». Pour moi, il s’agit d’une façon de rappeler que même si nous sommes dans des rapports plutôt horizontau­x, c’est à moi qu’il revient de prendre certaines décisions.» Pour Alexandre Caboussat, «même si les rapports hiérarchiq­ues ont actuelleme­nt tendance à être moins figés, il reste nécessaire qu’un groupe de personnes dirige l’entreprise. On ne peut pas y échapper totalement.»

Naturel pour certains, dérangeant pour d’autres, se faire appeler «patron» demeure de nos jours plutôt désuet. Une tendance confirmée par Christophe Raymond, directeur général du Centre Patronal, qui confie que le magazine publié par l’entreprise, baptisé Patrons en 1996, sera prochainem­ent renommé. 

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«Lorsque j’annonce une commande, la brigade doit répondre «Oui, chef» et j’entends immédiatem­ent si une voix manque», relève Dominique Gauthier, du restaurant Le Chat-Botté.

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