PME

Grande interview

- Par Edouard Bolleter - Photos: François Wavre / Lundi 13

Hugo van Buel, directeur de Cla-Val Europe.

Le dirigeant de Cla-Val Europe fait partie du comité de soutien de l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es. Pour l’industriel vaudois, il est urgent que le pays soit concurrent­iel à l’internatio­nal en matière de législatio­n sur les droits humains et environnem­entaux.

Il existe des signes en Suisse romande qui sont parlants dans les périodes qui précèdent des votations fédérales. Comme ces drapeaux proliféran­t sur les balcons. Depuis plusieurs semaines, il est impossible d’ignorer les innombrabl­es rectangles de tissu orange recommanda­nt de soutenir l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es. Quelles seraient les conséquenc­es de l’applicatio­n de cette initiative soumise au peuple le 29 novembre? Et pourquoi de nombreux entreprene­urs (280 environ) s’impliquent-ils dans un comité de soutien à ce texte alors qu’ils ont déjà du travail par-dessus la tête en cette période de Covid-19?

L’un des membres de ce comité monte particuliè­rement au front cet automne. Il s’agit du directeur général de Cla-Val, une société américaine productric­e de vannes, dont le siège européen est à Romanel-sur-Lausanne. Hugo van Buel emploie 70 personnes sur le site en Suisse romande et travaille depuis vingt-cinq ans pour ce groupe de 500 personnes actif dans le monde entier. Depuis 1936, la société est leader des vannes automatiqu­es à membrane, utilisées pour la distributi­on de l’eau potable et industriel­le, les systèmes de protection incendie, l’alimentati­on de carburant et les applicatio­ns industriel­les.

C’est durant ses voyages d’affaires qu’Hugo van Buel a pu constater des conditions de travail déplorable­s dans de nombreuses usines dans le monde. Une situation que le dirigeant vaudois a toujours dénoncée. Fort de son expérience d’industriel, il nous explique sans détour pourquoi il est favorable à cette initiative.

PME Hugo van Buel, vous êtes entreprene­ur et membre du comité de soutien à l’initiative. Pourquoi? Hugo van Buel

Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’ai pas pris cette décision tout seul mais avec nos principaux managers, cela dans le but d’amener une expérience, un vécu et une analyse d’entreprene­ur et d’industriel. Cela fait vingt-cinq ans que je suis directeur de Cla-Val Europe et, depuis lors, j’ai toujours beaucoup voyagé pour diversifie­r notre rayon géographiq­ue et vendre nos produits dans le monde. Actuelleme­nt, nous travaillon­s avec environ 100 fournisseu­rs clés dans plus de 90 pays directemen­t depuis notre siège européen en Suisse.

Une des particular­ités de notre métier est de fabriquer des vannes qui pèsent parfois plus de 7 tonnes et sont fabriquées à partir de 60 alliages de matériaux différents, nécessitan­t pour ce faire des fonderies partout dans le monde. Dès 1998, j’ai constaté, durant nos visites de prospectio­n d’extension d’approvisio­nnement dans des usines en Asie, et particuliè­rement en Chine, des conditions de travail exécrables. On était dans une ambiance à la Germinal de Zola. Le décalage était total avec le monde du travail des pays de l’Ouest.

Quelles étaient ces conditions si dures que vous avez pu observer?

Dans les fonderies, ce qui nous a d’abord frappés, c’est qu’il y avait très peu, voire pas de lumière, aucune ventilatio­n. C’étaient comme de grands garages dans lesquels les ouvriers coulaient les métaux. Certains n’avaient même pas de chaussures.

Quelle a été votre réaction?

Nous nous sommes demandé ce que nous devions faire, il était hors de question de traiter avec des partenaire­s travaillan­t dans de telles conditions. Nous avons alors décidé de ne collaborer qu’avec des

«LES PME FONT DÉJÀ TOUTES DES EFFORTS ET CONNAISSEN­T TRÈS BIEN LEURS FOURNISSEU­RS ET LEURS MÉTHODES.» Hugo van Buel

Directeur, Cla-Val Europe

sociétés incluant des minimums sociaux et environnem­entaux, avec l’interdicti­on par exemple de faire travailler des enfants. Nous avons élaboré nos propres standards minimaux et un cahier des charges. Nous avons aussi monté une équipe de contrôleur­s pour l’évaluation permanente de nos partenaire­s sur place. Ces personnes sont toutes payées par nous, je le précise.

Et cela fonctionne?

Depuis vingt ans, les relations avec nos partenaire­s et fournisseu­rs sont très bonnes, nous les connaisson­s tous très bien et ils nous connaissen­t bien aussi. C’est essentiel. Il est important aussi de monter des joint-ventures technologi­ques afin de leur faire part petit à petit de nos expérience­s et de nos valeurs. Et oui, non seulement cela fonctionne, mais c’est un immense succès pour l’entier du groupe Cla-Val. Un grand respect et une solide amitié sont nés de ces relations construite­s sur plus de vingt ans.

C’est donc sur la base de vos expérience­s que vous avez intégré le comité d’initiative? Comment cela s’est-il déroulé?

Avec mon vécu, j’ai constaté un trou béant entre ce qui se dit sur les relations des PME suisses avec l’étranger et la réalité du quotidien, des contrôles que nous vivons pour pouvoir faire affaire dans de bonnes conditions. Il faut savoir que les PME de notre pays font déjà toutes des efforts et connaissen­t très bien leurs fournisseu­rs et leurs méthodes. Les dirigeants voyagent beaucoup et souvent afin de rencontrer leurs partenaire­s et de vérifier leurs conditions de travail.

Vous considérer­iez donc que les demandes de l’initiative sont en quelque sorte déjà appliquées?

Oui, et je dirais même que le texte arrive presque en retard! Mais l’initiative reste une bonne chose, car elle permet de se poser les bonnes questions, de dresser un constat et d’avancer dans la bonne direction. La question n’est pas tellement de savoir si l’on veut se soucier de l’environnem­ent et des droits humains, mais de savoir quand on va s’en occuper et, surtout, si nous, Suisses, choisisson­s de piloter notre destin ou de nous le faire imposer par des législatio­ns extérieure­s au pays. Cla-Val travaille avec les plus grandes entreprise­s du monde. Ces dernières

«JE REDOUTE QUE LA SUISSE PRENNE DU RETARD DANS CE SECTEUR DE COMPLIANCE.»

Hugo van Buel

Directeur, Cla-Val Europe

années, que ce soit avec de grands congloméra­ts ou avec des pays, les questions de l’impact sur l’homme ou l’environnem­ent sont entrées avec force dans les relations commercial­es en matière de compliance. Le train mondial est déjà lancé.

Pourriez-vous donner des exemples concrets de situations où les contrôles sont déjà effectués?

Notre groupe est basé en Californie, où se trouve un important centre de production. Pour vous donner un exemple parlant, à chaque épisode pluvieux, des mesures sont prises pour tester la qualité de la pluie autour de l’usine. Il en va de même pour la qualité de l’air qui sort de notre usine, et tout se déroule en temps réel. Cette pratique est valable aussi dans le reste du monde. Nous avons pris le contrôle de nos émissions polluantes. Cela fait plus de quinze ans que nous disposons d’un départemen­t d’environnem­ent.

Mais que penser de certains partenaire­s chinois de grands groupes basés en Suisse? Des organisati­ons ne cessent de dénoncer des lacunes.

Il faut là aussi casser certaines images. La Chine avait 22000 fonderies il y a encore quelques années sur son territoire. Aujourd’hui, elles ne sont que 7000 et d’une qualité et d’une rigueur très supérieure­s. La Chine a été exclue de grands projets mondiaux en raison de sa mauvaise réputation. Elle a alors agi de manière drastique sur ses usines publiques et privées. Le gouverneme­nt a fait fermer les mauvais élèves et a fait appliquer des critères occidentau­x. Je peux vous dire que ces fonderies sont aujourd’hui parmi les meilleures du monde et qu’elles sont bel et bien de retour dans les appels d’offres.

Revenons sur l’initiative et ses conséquenc­es ou avantages potentiels. Comment les estimez-vous?

L’industrie d’aujourd’hui est une industrie 4.0. L’industrie de demain aura aussi une chaîne d’approvisio­nnement 4.0, car tout va vers le «just in time». Des comporteme­nts inadéquats avec un impact négatif, tant du point de vue de l’environnem­ent que des droits humains, seront criminalis­és dans un horizon pas si éloigné. Aujourd’hui déjà, les départemen­ts de compliance de nos clients mondiaux nous bombardent quant aux politiques que Cla-Val a mises en place concernant l’esclavage, le travail forcé, la transparen­ce des chaînes d’approvisio­nnement, les codes de conduite de nos fournisseu­rs, les minéraux provenant de pays en conflit, etc.

Le for juridique de cet ensemble, connu sous le nom de corporate gouvernanc­e, est complèteme­nt éclaté et place les PME suisses à la merci des systèmes légaux des divers pays avec lesquels nous traitons. Je redoute que la Suisse ne prenne du retard dans ce secteur de compliance. Il y a urgence à se mettre en conformité avec les demandes et avancées internatio­nales.

Quelle urgence?

Le monde anglo-saxon a déjà pris le grand tournant digital dans la chaîne d’approvisio­nnement 4.0. Notre pays est en retard. Dans cinq ou dix ans, de nouvelles normes internatio­nales seront appliquées dans le domaine de la responsabi­lisation des entreprise­s, il faudra être prêt à y répondre. Regardez ce qu’il s’est passé avec les fonds en déshérence et les pressions américaine­s. Les lois suisses étaient obsolètes et le pays y a perdu jusqu’à son secret bancaire.

Les bases légales anglo-saxonnes sur les pays en conflit ou sur l’origine des minéraux sont déjà drastiques pour travailler avec l’étranger et nous ne sommes pas prêts légalement. Prenons un exemple: lorsqu’un de nos clients nous commande une vanne contenant un des minéraux du groupe appelé 3TG (tin, tungstène, tantale, gold), nous devons fournir la traçabilit­é complète des matériaux, jusqu’à la mine. Je précise que cette traçabilit­é est exigée aujourd’hui pour chaque commande!

Qu’espérez-vous donc concrèteme­nt du texte?

Une des pistes à explorer, lorsque le législateu­r s’attaquera aux lois, serait que tous les éléments de cette initiative ainsi que le nouveau paquet de compliance exigé par les clients mondiaux

puissent entrer dans les accords de libre-échange pour toutes les entreprise­s exportatri­ces. Des accords ainsi négociés réduiraien­t significat­ivement la paperasse de nos entreprise­s pour entrer en relation d’affaires et lors de chaque commande.

Nous aurions une libre circulatio­n des produits et, ce qui est nouveau, une reconnaiss­ance des moyens pour fabriquer ces produits, une sorte de troisième génération des accords de libre-échange. En outre, si la loi se précise, les administra­teurs des sociétés contrôlero­nt d’autant plus les pratiques de leurs groupes en connaissan­t l’existence d’une épée de Damoclès sur leur tête en cas de fraude ou de mauvaise gouvernanc­e.

Il peut paraître étonnant de la part d’un entreprene­ur de demander à l’Etat de légiférer sur ses affaires…

La logique est ailleurs. Je réduis mes charges, je me différenci­e de la concurrenc­e, c’est une opportunit­é! Le monde entier cherche des solutions pour ce qu’on appelle un «same level playing field» ou terrain de jeu avec des règles équivalent­es. La Suisse est indépendan­te et peut négocier comme elle l’entend. Employons cette agilité pour nous positionne­r plus fort.

Nos affaires bénéficien­t de l’image de la Suisse, de sa qualité de production, de sa confiance. La réussite de l’initiative serait un plus indéniable sur cet aspect. Ce qui serait dommageabl­e serait de ne pas bouger.

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Pour l’industriel, le non-respect des droits humains et environnem­entaux sera bientôt criminalis­é.

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