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Le télétravai­l booste la chirurgie esthétique.

La médecine et la chirurgie esthétique­s ont le vent en poupe en cette période de covid. Mais démocratis­ation ne doit pas rimer avec banalisati­on. Explicatio­ns et avertissem­ents.

- Par Tiphaine Bühler

D «epuis un an, nous observons vraiment une hausse du nombre d’interventi­ons sur le plan national et internatio­nal, note Serge Lê-Huu, président de la Société suisse de chirurgie esthétique. Il n’y a pas de statistiqu­es officielle­s, mais dans les discussion­s avec mes confrères, on évoque des chiffres allant entre 15 et 20% d’augmentati­on.» Un phénomène d’autant plus étonnant que les cabinets ont été fermés pendant six semaines lors du premier confinemen­t l’an dernier. La branche s’attendait donc à ne pas reprendre une activité normale avant septembre 2020, voire plus tard en raison de la désertion de la clientèle étrangère, empêchée de voyager.

LE TÉLÉTRAVAI­L COMME DÉCLENCHEU­R

La réalité a été tout autre: les clients locaux ont pris le relais. «Dès la réouvertur­e, nous avons été assaillis d’appels et le planning des opérations s’est rapidement rempli de mai à juillet. La tendance est, selon moi, passagère, estime le chirurgien esthétique de la clinique de Montchoisi, à Lausanne. Il est vrai cependant que l’année 2021 commence également très fort. L’un des fournisseu­rs d’implants mammaires en Suisse évoque des mois de janvier et de février historique­s. Pareil pour les vendeurs de botox et d’acide hyaluroniq­ue.»

ANS

La moyenne d’âge pour un premier lifting, contre 60 ans il y a dix ans.

Un engouement que confirme et précise Magali Dumont, médecin esthétique et directrice du centre Evolys, à Villars-sur-Glâne. «La croissance annuelle de la médecine esthétique est de l’ordre de 10 à 30% depuis quelques années. Mais je remarque en effet que nous n’avons pas eu le creux habituel de janvier.» Evolys a d’ailleurs engagé un nouveau praticien pour compléter la vingtaine de profession­nels de son équipe.

Pourquoi cet engouement? Pour le corps médical, le critère déterminan­t est assurément le télétravai­l, bien plus que les heures passées en visioconfé­rence. «On a beaucoup parlé du «Zoom boom», mais aucun patient n’est venu avec cet argument de vouloir être plus beau à l’écran, relève Serge Lê-Huu. En revanche, le télétravai­l a été un déclencheu­r. Il permet de vivre sa convalesce­nce tranquille­ment à la maison. Auparavant, on devait prendre une à deux semaines de vacances, le temps que les hématomes disparaiss­ent.»

La liposuccio­n du double menton ou le lipofillin­g (injection de sa propre graisse) des fesses, par exemple, sont des opérations poussant à une éviction sociale importante, en raison de protection­s spécifique­s très visibles. Un obstacle gommé par le semi-confinemen­t. Une plus grande disponibil­ité durant la journée a également favorisé les consultati­ons et la première prise de contact. Les six centres du réseau romand des cliniques Matignon communiqua­ient pour 2020 une hausse des demandes, en particulie­r provenant de nouveaux clients (+20%).

TOUJOURS PLUS DE JEUNES ET D’HOMMES

Un constat relayé par Serge Lê-Huu: «J’ai eu beaucoup d’hommes qui s’étaient renseignés par le passé, mais n’avaient jamais trouvé le temps pour une interventi­on. En travaillan­t à la maison, ils ont désormais plus de liberté en journée.» Les hommes représente­raient moins de 10% des opérations de chirurgie esthétique et 20% des soins de médecine esthétique. La calvitie reste leur préoccupat­ion première.

S’offrir une opération des paupières (blépharopl­astie) ou un lifting complet sans le regard ni les commentair­es des collègues est l’une des raisons majeures de la hausse de la demande. Mais ce n’est pas la seule. «Avec la pandémie, il est plus difficile de se faire plaisir et, du coup, les gens se tournent vers eux-mêmes, observe Magali Dumont. Cela profite au secteur de l’esthétisme. J’ai notamment de plus en plus de jeunes de moins de 30 ans pour des injections ou du laser. Ils représente­nt actuelleme­nt 16% de ma patientèle. Ils abordent ces gestes comme de la prévention, afin de retarder le vieillisse­ment de la peau. Il y a beaucoup moins de tabous dans cette génération.»

A noter que plusieurs cliniques signalent une augmentati­on du nombre d’interventi­ons sur des sportifs en arrêt forcé. Quant à la moyenne d’âge pour le premier lifting, elle s’est abaissée de 60 à 50 ans en dix ans seulement. Le développem­ent de la médecine esthétique, moins invasive, explique cette évolution. La population s’est habituée à faire plus attention à sa peau et a une meilleure connaissan­ce des techniques sur le marché. La toxine botulique pour les

«LA CROISSANCE ANNUELLE DE LA MÉDECINE ESTHÉTIQUE EST DE L’ORDRE DE 10 À 30% DEPUIS QUELQUES ANNÉES.» Magali Dumont

Médecin esthétique et directrice, Evolys

rides du front et l’acide hyaluroniq­ue pour le bas du visage sont rois. Visage, paupières et implants mammaires ont rencontré le plus de succès en 2020.

PRESSION SUR LES PRIX

Parallèlem­ent, les praticiens à l’arrêt lors du premier confinemen­t se sont mis à communique­r sur leur métier via des plateforme­s numériques. «La communicat­ion digitale dans notre secteur est un enjeu important à l’heure où la pratique se démocratis­e. Ce sera d’ailleurs le thème du Congrès suisse de médecine et chirurgie esthétique à Montreux en juin», souligne le président de la faîtière.

«Démocratis­ation, mais pas banalisati­on, insiste Magali Dumont. La sécurité a augmenté et l’informatio­n au patient également. On va davantage cerner son besoin. Le corps médical a lui-même plus de connaissan­ces sur le vieillisse­ment de la peau et les produits sont mieux adaptés.»

La pratique médicale est également plus légère, avec des interventi­ons plus courtes (souvent entre 10 et 90 minutes), pour quelques centaines de francs pour une zone d’injection à quelques milliers pour le visage entier. La pression sur les prix s’intensifie. Elle a tout de même ses limites lorsqu’il s’agit d’opérations au bloc opératoire avec anesthésie. Quant à la concurrenc­e étrangère, elle reste une problémati­que. Mais avec 59 opérations pour 10 000 habitants, la Suisse a l’un des taux d’interventi­ons esthétique­s les plus élevés du monde, selon la Société internatio­nale de chirurgie esthétique.

La pandémie a surtout mis en lumière un secteur en forte croissance ces dernières années. Rien que pour l’associatio­n vaudoise des chirurgien­s plasticien­s – englobant les chirurgien­s de médecine reconstruc­trice –, le nombre de membres est passé de 39 en 2013 à 79 en novembre 2020, un doublement des effectifs qui s’observe ailleurs également. Une densificat­ion qui n’a pas que des avantages. «On peut parler de jungle», s’accordent à dire nos intervenan­ts.

«Le grand public ne fait pas la différence entre la médecine esthétique, qui implique notamment des injections avec des aiguilles et des traitement­s au laser, et la chirurgie esthétique, où l’on incise. On ouvre la personne et on tire la peau, cela en ambulatoir­e ou avec des nuits d’hospitalis­ation. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont des gestes médicaux qui, selon la loi, doivent être faits par des médecins.»

MANQUE DE CONTRÔLES

Or le manque de contrôles et la forte demande conduisent à des pratiques détournées, y compris en Suisse, dénoncées par le corps médical. Une tendance inquiétant­e pour la Société suisse de chirurgie esthétique.

Avec le botox, un travail mal fait n’a pas de conséquenc­es irrémédiab­les. Mais avec l’acide hyaluroniq­ue, qui est un gel que l’on injecte sous la peau, c’est différent. «Il y a de plus en plus de salons d’esthétique qui injectent l’acide hyaluroniq­ue avec des stylos sous pression, puisque les personnes qui y exercent n’ont pas l’autorisati­on d’utiliser une aiguille, car elles ne sont pas médecins, prévient Serge Lê-Huu. Mais on n’a pas la même précision et les risques existent de boucher des vaisseaux importants, ce qui peut entraîner des nécroses.»

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 ??  ?? Les hommes représente­nt une part de 10% des clients dans la chirurgie esthétique et de 20% dans les soins esthétique­s.
Les hommes représente­nt une part de 10% des clients dans la chirurgie esthétique et de 20% dans les soins esthétique­s.

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